Virginie Duvat, co-autrice du 6e rapport du GIEC, veille au littoral

Invitée par la Communauté du Pacifique (CPS) fin novembre dans le cadre de l’atelier bilan de PROTEGE sur la pêche côtière, Virginie Duvat a notamment animé une conférence sur la façon de s’adapter aux impacts du changement climatique sur le littoral.© A.-C.P.

Tempêtes, précipitations record, submersion, érosion… La Nouvelle-Calédonie, à l’image des autres territoires ultramarins, est particulièrement vulnérable à ces phénomènes renforcés par le changement climatique. Spécialiste des îles tropicales, Virginie Duvat étudie son impact sur le littoral et la façon de s’y adapter pour réduire les risques côtiers.

DNC : Vous travaillez sur la façon de s’adapter aux effets du changement climatique, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Virginie Duvat : Face au changement climatique, il y a deux grands champs d’action. Le premier est l’atténuation des gaz à effet de serre. C’est celui qui a été priorisé jusqu’à présent, même si l’action accuse du retard. On sait que les pays ne font pas assez d’efforts pour réduire les émissions et se replacer sur la trajectoire d’une planète qui continuera à être vivable. Le deuxième est l’adaptation, c’est-à-dire les solutions fondées sur la nature qui peuvent être déployées afin de réduire les impacts du changement climatique. Je travaille sur celles qui peuvent réduire les risques côtiers : érosion, submersion, inondation, salinisation des sols et des nappes.

En existe-t-il un exemple en Nouvelle-Calédonie ?

À Touho et Poindimié, face à la montée du niveau de la mer, des associations et des tribus travaillent à restaurer la mangrove. Cette dernière permet de capturer les sédiments qui descendent du bassin versant ‒ sachant que l’érosion des sols est très importante sur le territoire. En les capturant, la mangrove se développe verticalement, ce qui compense l’élévation du niveau de la mer et contribue à éviter une hypersédimentation qui tue les récifs.

Un projet pilote est également mené à Bourail…

L’association Bwärä Tortues Marines porte un projet de restauration de la végétation de haut de plage en replantant de la flore indigène grâce à la mise en place d’une pépinière. C’est fondamental pour contenir l’érosion côtière, puisque la végétation indigène a une meilleure résistance et résilience face à la houle cyclonique et a la capacité de capturer des sédiments et de les fixer, ce qui permet de s’ajuster à l’élévation du niveau de la mer. Enfin, cela participe à la reconstitution de l’habitat terrestre des tortues marines pour leur ponte, ainsi qu’à la préservation des plages, des zones tampon qui jouent un rôle d’amortisseur de houle.

Les solutions fondées sur la nature (SfN) sont- elles le seul levier d’action ?

Non, le risque climatique est aussi dû à l’exposition. À Touho village, par exemple, des habitations se sont effondrées, il va falloir les relocaliser plus loin de la mer afin de réduire l’exposition aux aléas météorologiques marins. C’est déjà le cas de certains bâtiments. Le troisième levier d’action concerne la vulnérabilité des populations. Il faut les informer, leur permettre d’être davantage partie prenante des décisions d’adaptation, et évaluer régulièrement les mesures déployées pour réduire les impacts du changement climatique afin de savoir si on est sur la bonne voie ou pas.

À Touho village, il va falloir relocaliser des habitations plus loin de la mer.

Quelles mesures fonctionnent ?

On est dans une phase d’expérimentation, on regarde ce qui marche et on évalue ce qui a un potentiel de réduction des risques érosion et submersion. Mais pour que ça marche, planter les bonnes espèces ne suffit pas. Il faut également une bonne gouvernance, inscrire les efforts sur le long terme, et des moyens financiers. Or, il y a des manques dans ces domaines-là.

Les pouvoirs publics tardent à s’emparer de ces programmes, souvent portés par des associations, alors qu’ils paraissent assez simples et pas si onéreux, comment l’expliquer ?

Je pense que nous sommes héritiers de la prépondérance d’une autre solution utilisée dans le monde entier : l’ingénierie côtière qui étudie, face au recul du trait de côte et à la submersion, la possibilité d’aménager des murs, des digues, des enrochements. Il en existe beaucoup d’exemples le long du littoral en Nouvelle-Calédonie. Parfois, c’est nécessaire. Mais le véritable enjeu pour les acteurs publics est de bien articuler le traitement des situations d’urgence de protection et de sécurisation ‒ maintenir une route, comme à Ouvéa, protéger un cimetière menacé à Mouli, éviter que les habitations ne soient emportées à la mer ‒ avec une démarche sur le long terme qui tienne compte des impacts actuels et futurs du changement climatique.

Les ouvrages lourds, type cordon d’enrochement, ne tiendront pas le choc face aux pressions climatiques. On n’a pas été capables de bien les concevoir pour qu’ils soient à la hauteur et on peine à les entretenir suffisamment pour qu’ils résistent au prochain cyclone. Ils ont des effets pervers, comme faire disparaître les plages et limiter l’accès à la mer. En plus, ils coûtent très chers, et les communes rurales, qui ont moins de moyens financiers que les grandes comme Nouméa, ne pourront pas tenir sur cette voie.

Quels résultats attendre des SfN ?

Elles en donneront, mais on ne sait pas jusqu’à quand, car cela dépendra aussi de l’évolution du climat. Si on reste sur une trajectoire de réchauffement accélérée, on pense qu’à partir de 2045-2050, certains écosystèmes ne pourront plus jouer leur rôle de protection parce qu’ils vont connaître un déclin, les récifs coralliens en premier. Chaque solution met un certain temps à être efficace et a ensuite une durée de vie qui est plus ou moins longue. Pour restaurer une mangrove, par exemple, il faut au moins 10 à 15 ans pour qu’elle soit mature et vraiment efficace face à des vagues cycloniques. Une fois qu’elle le sera, si on reste sur une trajectoire rapide d’élévation du niveau de la mer, elle risque d’être noyée.

Si on reste sur une trajectoire de réchauffement accélérée, on pense qu’à partir de 2045-2050, certains écosystèmes ne pourront plus jouer leur rôle de protection.

Les bénéfices de la mangrove ou de la végétation indigène sont connus, pourquoi ces solutions n’ont-elles pas été utilisées plus tôt ?

C’est ce qu’on appelle le déficit d’adaptation, c’est-à-dire le retard qu’on a dans le fait de mettre en branle le système pour sortir de l’action très localisée. Aujourd’hui, on restaure des périmètres de quelques centaines de mètres carrés de mangrove. Il faut passer à une autre échelle pour optimiser les résultats en termes de réduction des risques (érosion, submersion) et de co-bénéfices, parce que la mangrove renforce aussi les nourriceries de poissons, joue un rôle dans l’écosystème marin, et ces ressources récifo-lagonaires, qui sont quand même un peu surexploitées par la pêche, ont besoin d’être renouvelées.

On a l’impression qu’on part de très loin et qu’il y a beaucoup à faire, est-ce que cela peut marcher ?

Il n’est pas trop tard, mais il est urgent d’agir à une certaine échelle pour s’assurer d’avoir assez rapidement des résultats.

Propos recueillis par A.-C.P.

 

Le projet ADAPTOM

Virginie Duvat a effectué des recherches dans le cadre du programme ADAPTOM, qui vise à étudier le potentiel des solutions fondées sur la nature afin de réduire les risques côtiers et favoriser l’adaptation au changement climatique dans les outre-mers insulaires tropicaux français.

Quatre projets – sur 25 en tout et 10 dans le Pacifique – ont été identifiés et évalués en Nouvelle-Calédonie à Touho, Poindimié, Bourail et Nouméa. La plupart consistent à restaurer des écosystèmes dégradés, principalement des mangroves et des formations végétales de haut de plage. La chercheuse doit restituer les résultats de cette mission en mars prochain.

Lors de ce déplacement, elle lancera également un nouveau projet de recherche sur les risques côtiers futurs et l’accompagnement des territoires ultramarins dans le renforcement des politiques d’adaptation au changement climatique, en particulier avec Ouvéa, Touho, Poindimié, Ponérihouen et la province Sud sur Nouméa.