Vertébrés terrestres menacés : comment la Calédonie les protège des espèces envahissantes

Nous évoquions la semaine dernière la lourde menace que représentent à l’échelle de la planète les espèces invasives sur les vertébrés terrestre insulaires, qui sont les plus en danger au monde. L’occasion cette semaine de s’intéresser à ce que nous mettons en place localement pour lutter contre ces invasives.

Parmi les espèces de vertébrés terrestres (poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères) les plus menacées au monde, la plupart vivent sur des îles, ont analysé une équipe internationale de chercheurs dont les conclusions ont récemment été publiées dans la revue Science Advances.

Selon cette étude, élaborée à grande échelle, 41 % des espèces de vertébrés terrestres les plus menacés au monde évoluent en milieu insulaire. Et si les îles ne représentent que 5,3 % des terres émergées de la planète, elles ont abrité 61 % des extinctions connues depuis l’an 1500.

Concrètement, il ressort que sur 1 288 îles accueillant des vertébrés menacés, 1 030 abritent également des espèces invasives. La majorité étant des rats (présents dans 78 % des îles concernées) puis des chats harets, des chiens et des ongulés ensauvagés (porcs, vaches, chèvres). Plus globalement, les chats sauvages et les rongeurs ont été au cours des derniers siècles responsables d’au moins 44 % des extinctions d’oiseaux, petits mammifères et reptiles. Pourtant, rappellent les chercheurs c’est sur ces îles, notamment de taille réduite, qu’il est le plus facile de protéger les espèces de vertébrés contre les espèces invasives, principales responsables de leur déclin.

Quelles espèces menacées

En Nouvelle-Calédonie, les communautés natives (ou autochtones) animales (et végétales) isolées du reste du monde, ont aussi connu une évolution propre résultant à la fois d’une originalité remarquable mais aussi d’une haute sensibilité à l’effet des perturbations, notamment aux invasions d’espèces absentes auparavant.

On trouve ici une cinquantaine d’espèces de vertébrés terrestres figurant sur la liste rouge de l’Union internationale de l’UICN des espèces menacées. Il y a notamment sur la Grande Terre 6 espèces d’oiseaux (Cagou, Egothèle, Rallidés, Méliphage toulou), 3 espèces d’oiseaux marins (pétrels, sternes), 2 espèces de mammifères (Chalinolobe néo-calédonien, Nyctophile néo-calédonien) et pas moins de 34 espèces de reptiles (geckos, scinques..). Deux tiers de la faune reptilienne serait menacée d’extinction…

Et en ce qui concerne les îles on trouve notamment la perruche d’Ouvéa et le Butor d’Australie, à Lifou et à Maré le Minioptère des Loyauté, le Gecko géant à museau rugueux et le Scinque aux hanches pâles, à l’Île des Pins et enfin la Sterne néreis à Beautemps-Beaupré, les Îlots du sud (Amédée, Ua…) et plus loin, mais toujours dans la ZEE aux Chesterfield.

Ces espèces subissent la présence humaine ainsi que la présence de 49 espèces animales exotiques envahissantes dont le rat noir, ou le chat, qui sont au premier rang des responsables.

Coordination

Outre le travail précis qui est effectué en matière de biosécurité pour empêcher l’introduction en Nouvelle-Calédonie de nouvelles espèces nuisibles, il y a un important travail de terrain pour lutter contre les espèces envahissantes déjà présentes.

Localement c’est le pôle Espèces Envahissantes (PEE) du Conservatoire d’espaces naturels de Nouvelle-Calédonie qui est chargé d’assurer, à l’échelle pays, la coordination de la mise en œuvre d’un programme de lutte contre les espèces exotiques envahissantes animales comme végétales.

Le PEE a établi une liste de 70 espèces envahissantes prioritaires et parmi les têtes d’affiche figurent les espèces animales suivantes : le Cerf rusa, le cochon ensauvagé, le lapin européen, le chat haret, le bulbul à ventre rouge, la fourmi électrique, la chèvre ensauvagée, le rat noir, le rat surmulot ou encore le rat du Pacifique.

Concrètement le PEE développe des outils de suivi (niveaux d’impacts, cartographies des prélèvements, état des populations) et de régulation (dispositifs techniques de piégeage de cochons, cerfs, tortues de Floride, modalités de chasse participative ou professionnelle, capture, opération mâchoires) qui servent à l’ensemble des partenaires locaux impliqués dans la lutte contre les envahissants (Gestionnaires, associations ou particuliers). Il centralise également les données d’opérations et de prélèvements effectués par les partenaires investis dans la lutte opérationnelle.

De nombreuses actions et partenaires

Le PEE a contribué au développement et à l’installation d’un dispositif de piégeage de cerfs en forêt humide par l’intermédiaire de miniparcs de capture à fermeture automatique au Parc des Grandes Fougères. Il coordonne par ailleurs l’opération de collecte et d’achat des mâchoires de cochons et de cerfs (faons et biches) à l’initiative de l’APICAN, ainsi qu’un test pilote de faisabilité d’étude du domaine vital des cerfs et des cochons en forêt humide, à l’initiative de la province Nord.

En Province Sud, une convention de « gestion des espèces animales envahissantes » entre la province et la Fédération de chasse a été signée donnant carte blanche aux chasseurs pour réguler sept espèces animales (cerfs, cochons, lapins, chèvres, chiens et chats ensauvagés, bulbul à ventre rouge).

Autres exemple d’action, le programme ambitieux de l’éradication du rat du Pacifique, constituant une menace direct sur la faune (et la flore) native de l’atoll Beautemps Beaupré, un site exceptionnel de reproduction des tortues et des oiseaux marins.

Démarré en 2015, ce dernier a été mis en place dans le cadre d’un plan de gestion des Atolls d’Ouvéa et Beautemps Beaupré, avec le soutien du programme INTEGRE, l’Association pour la sauvegarde de la biodiversité d’Ouvéa (ASBO), le GDPL Bomene Tapu et la province des îles Loyauté. Malgré la détéction de rats survivants fin 2016, cette expérience a été bénéficiaire sur la colonie de sternes fuligineuses multipliée par trois entre 2015 et 2016 et servira à un second plan d’action élaboré cette année.

A Hienghène, l’Association Dayu Biik mène un programme de régulation des cerfs et cochons depuis 2011 dans le cadre du plan de gestion de la Reserve du Mont-Panié et de la gestion de deux captages municipaux dégradés. Les cerfs sont régulés sur 3000 hectares de forêt humide (chasse ou battue, chasse professionnelle, régulation en hélicoptère).

On pourrait également mentionner la lutte contre le cerf et le cochon dans le cadre des projets RESCCUE et INTEGRE de la CPS qui vise à protéger les captages d’eau dans la zone côtière Nord Est.

Une veille constante

Une partie importante du travail dans la lutte contre les espèces envahissantes consiste à sensibiliser et informer le public qui peut contribuer comme autant de sentinelles pour la détection de nouvelles espèces envahissantes ou suspectes.

Dans ce cadre, le PEE du Conservatoire coordonne une cellule de veille qui permet une détection précoce des envahissants et une réaction rapide pour les enrayer. Au premier semestre 2017, 70 signalements ont ainsi et reçus et analysés par cette cellule de veille sur un total de 200 signalements depuis 2015.

En juin 2017, la cellule a contribué à enrayer la première intrusion du merle des Moluques à Lifou. La présence d’un seul spécimen a été confirmée mais le CEN poursuit son action afin de s’assurer de l’éradication effective de cette espèce au fort potentiel d’invasion. Des listes d’espèces prioritaires à surveiller et des fiches d’identification pour tous les contributeurs partenaires ou bénévoles de cette veille sont actuellement en phase d’édition.

 

Contact « Cellule de veille : 75 30 69

www.cen.nc /web/cen/signaler


Le chat haret

En Nouvelle-Calédonie, L’IRD a étudié le régime alimentaire des chats haret en analysant leurs crottes récupérées dans la nature. On y trouve plumes, écailles, ongles ou griffes. Ces éléments ont permis de déterminer le régime alimentaire de ces chats sauvages composés essentiellement de reptiles, d’oiseaux marins comme les pétrels et surtout de roussettes. Il a été déterminé que plusieurs centaines de milliers de roussettes sont consommées chaque année par les chats ensauvagés.

C.Maingourd avec le Conservatoire d’espaces naturels, Sciences Advances et l’AFP

©CEN/DR