Vale, un projet de reprise loin d’être acquis

Un nouveau projet de reprise de l’usine du Sud a été exposé à la presse, le 5 novembre. La veille, il avait été présenté à la mission d’information provinciale pour le suivi de la cession de Vale. Le tour de table de ce projet par Trafigura, un géant suisse, représente près de 120 milliards de francs. La province Sud et l’État ont affiché leur optimisme et leur soutien, mais de nombreux obstacles pourraient bien empêcher l’aboutissement de cette offre.

Le compte à rebours tourne depuis près d’un an. Une année au cours de laquelle plusieurs projets de reprise de l’usine du Sud se sont succédé de manière plus ou moins précise sans qu’aucune ne parvienne pourtant au bout du processus. Après l’offre portée par l’Australien New Century Resources, qui a fait long feu en septembre, c’est au tour de Trafigura, géant du négoce basé en Suisse spécialisé dans le pétrole et les matières premières, d’entrer en négociation exclusive avec Vale.

La situation est toutefois beaucoup plus complexe que le cas de New Century Resources, où une société était acheteuse et Vale vendeur. Dans cette nouvelle proposition, et Antonin Beurrier, le PDG de Vale NC, l’a rappelé, Trafigura ne serait qu’un actionnaire minoritaire. Le PDG de l’usine du Sud est allé chercher le géant suisse afin de boucler le tour de table qui s’élève à près de 120 milliards de francs et apporte également son réseau de commercialisation. Cette différence considérable a pourtant recueilli l’assentiment de la présidente de la province Sud, Sonia Backes, qui entend jouer un rôle actif dans le projet de reprise, tout comme l’État qui, par la voix du haut-commissariat, Laurent Prévost, a fait savoir que « le gouvernement est disposé à soutenir, devant le Parlement, la confirmation des engagements pris par l’État en faveur de Vale NC en 2016 ». Une défiscalisation serait ainsi accordée pour la réalisation du projet Lucy ainsi qu’un prêt.

Un article publié sur le site internet du groupe France Télévisions, concernant une note confidentielle sur l’évaluation de l’offre de la Sofinor-Korea Zinc par Bercy, pose par ailleurs question sur les raisons d’une telle fuite et la position de l’État dans le dossier. L’article détaille les raisons pour lesquelles Vale aurait écarté l’offre et glisse, en guise de conclusion, « Je laisse la politique aux portes de l’usine du Sud », une citation de Sébastien Lecornu, le ministre des Outre-mer. Tout porte pourtant à croire que ce dossier est éminemment politique. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre le discours d’ouverture du 51e Congrès de l’Union calédonienne prononcé par son président, Daniel Goa. « Si l’Ican appelle à un préalable minier à toute nouvelle discussion politique, je dis que nous devons répondre présent. Et c’est dans ce sens que, d’ores et déjà, je demande aux militants, aux sympathisants et à toutes les personnes conscientes de la nécessité d’un développement harmonieux du pays de se préparer à cette éventualité, à soutenir le combat pour que l’usine du Sud devienne une usine pays. »

Opposition des coutumiers du Sud réaffirmée

La position de l’Instance coutumière autochtone de négociation (Ican) est pour le moins claire : l’usine du Sud doit devenir une usine pays, raison pour laquelle le projet de reprise autour de Trafigura est rejeté en bloc. Tout l’objet du collectif est de pouvoir remettre la main sur le massif de Goro , qui est au cœur des enjeux. L’offre telle que présentée par Antonin Beurrier associe bien des intérêts calédoniens à hauteur de 50 %, un niveau qui a clairement pour ambition de répondre aux revendications de l’Ican, mais qui ne modifie en rien la propriété des titres miniers. Rien ne dit non plus à ce stade quels seront les droits des différents groupes d’actionnaires prévus par le montage.

Le 10 novembre, une assemblée générale des huit districts coutumiers de l’aire Drubea-Kapumë s’est déroulée à Yaté et a vu la réaffirmation de l’unité des chefferies pour le rejet du projet porté par Antonin Beurrier et la reprise du dossier Sofinor-Korea Zinc. La veille, l’Ican rencontrait les responsables de l’Usoenc qui ont tenu a rappelé leur position. Le syndicat majoritaire ne défend pas un potentiel repreneur, mais les salariés. Milo Poaniewa, le secrétaire général du syndicat, estime à ce titre que Vale devrait laisser venir les ingénieurs de Korea Zinc visiter le site afin de pouvoir finaliser leur offre et exprimer publiquement leurs engagements.

En attendant, l’offre Trafigura est toujours en négociation exclusive jusqu’au 4 décembre. Sur le papier, les collectivités disposeront de 20 % de l’actionnariat. La province Sud, via Promosud ou l’une de ses filiales, prendra 10 % du capital. Les 10 % restants seront détenus par la SPMSC (société de participation minière du sud calédonien) dont la participation passera à 10 % contre 5 % actuellement. Un point particulier qui pourrait rencontrer quelques difficultés. La SPMSC est administrée par la province Sud, mais les province Îles et Nord en détiennent 50 % et le fait de ne pas avoir été informé des discussions a sensiblement agacé au moins le président de la province des Îles, Jacques Lalié, d’autant qu’il faudra mettre la main à la poche. À noter également que les présidents de ces deux provinces appartiennent à des formations politiques qui soutiennent le collectif « Usine du sud = usine pays ».

Les autres 30 % du capital destinés à être détenus par les Calédoniens se répartissent entre un actionnariat salarial du personnel de Vale pour 23 % et 7 % pour le grand public, qui pourrait acheter des actions dans le cours du premier trimestre 2021. Sur la question de combien les salariés seront amenés à apporter, la direction de Vale NC indique que le capital social total de Prony Ressources NC, la future appellation de Vale NC, sera d’un peu plus de 10 milliards de francs* (100 millions de dollars US). Les 23 % représenteront donc 2,3 milliards de francs, soit une contribution moyenne (si tous les salariés décident de contribuer) d’environ 38 000 francs par mois pendant quatre ans. La question de la non- dilution de cette participation n’est pas non plus tranchée, ce qui pourrait signifier qu’en cas de recapitalisation de Prony Ressources NC, la part des salariés serait amoindrie. Les bases de 7 % de l’actionnariat « calédonien » restent, quant à elles, encore à définir.

Pas vraiment d’actionnaire majoritaire

Les derniers 50 % de l’actionnariat devraient être détenus par Trafigura, pour 25 % et, pour 25 %, par la Compagnie financière de Prony. Cette nouvelle société, garantie par Trafigura, sera constituée par un regroupement des intérêts de l’équipe managériale dont Antonin Beurrier sera également le responsable, ainsi que ceux d’industriels pas encore connus. L’absence de partenaire industriel suscite d’ailleurs des interrogations. Une question demeure entière, celle des droits des différents actionnaires en sachant que Trafigura sera minoritaire. Le sujet est encore confidentiel et sera précisé « le moment venu ». L’absence d’actionnaire majoritaire explique probablement le recours à une assurance pour les questions environnementales. En cas de catastrophe, les autorités locales ne pourraient pas se retourner contre un industriel ayant les reins suffisamment solides pour en assumer financièrement les conséquences.

Du point de vue de la commercialisation, Prony Ressources NC ne devrait pas rencontrer de difficultés. Trafigura propose de commercialiser la production pendant six ans et le géant brésilien ne sera pas très loin. Vale s’engage à racheter 4 000 tonnes pendant les cinq premières années et 20 000 tonnes les huit années suivantes, soit la moitié de la production de l’usine du Sud qui devrait être de 40 000 tonnes de NHC (nickel hydroxyd cake, le produit intermédiaire qui doit être raffiné en sulfate de nickel pour être utilisable dans les batteries). 20 000 tonnes qui devraient être raffinées dans l’usine chinoise de Dalian.

Mais dans le fond, la question n’est pas tant sur la crédibilité du montage que sur la vision des deux projets. La stratégie industrielle est tout d’abord sensiblement différente puisque les membres du collectifs « Usine du sud = usine pays » entendent générer un maximum de retombées en produisant un produit fini et non intermédiaire, comme le prévoyait Vale à l’origine. Tout l’enjeu aujourd’hui étant de réduire les coûts pour rendre possible la démocratisation des véhicules électriques, d’où l’intérêt de délocaliser une partie de la production dans des pays à bas coût. L’autre divergence de taille porte sur la répartition des retombées. Le projet actuel propose de faire fructifier les intérêts des Calédoniens qui seront en mesure d’investir et l’autre, porté par l’Ican, voudrait que les bénéfices reviennent aux collectivités afin qu’ils puissent profiter à la population dans son ensemble.

*La société Prony Ressources NC qui remplacera Vale NC aura un capital social de 10 milliards de francs. Elle devra rembourser le prêt de l’Etat qui représente près de 23 milliards de francs ainsi que les autres prêts nécessaires pour boucler le tour de table qui s’élève à environ 120 milliards de francs auxquels il convient de retirer l’apport de Vale visant à financer le projet Lucy. Il a été question de 50 milliards de francs, mais la somme pourrait être inférieure.

M.D.