Une autre voix se dessine aux Îles

Joël Cabali Bae, Germaine Nemia Bishop et Jean-Pierre Selefen présenteront une liste pour les quatre îles. Ils sont en pleine réflexion pour affiner leur projet sociétal et économique. (© C.M.)

Des Loyaltiens indépendantistes qui ne se reconnaissant plus dans les appareils politiques s’organisent pour conduire une liste aux prochaines provinciales. Ils défendent une « troisième voix pragmatique » pour le « lancement économique » et l’ouverture des îles.

Jean-Pierre Selefen est un ancien conseiller municipal de Païta, de retour chez lui à Lifou où il a développé une entreprise de location de véhicules. Germaine Nemia Bishop, Maréenne retraitée de l’enseignement, investie dans le secteur associatif au profit de la jeunesse (association enfance et jeunesse Nece, puis Nouvelle-Calédonie) et ancienne militante du LKS, s’était présentée aux législatives de 2017 sous l’étiquette du Rassemblement autochtone pour la souveraineté partagée, un mouvement chrétien issu de la société civile. Elle avait ensuite conduit le MNIS Îles, Mouvement néo-indépendantiste souverainiste, aux provinciales de 2019. Joël Cabali Bae est un ancien militant de l’Union calédonienne, ancien conseiller municipal à Ouvéa qui a souhaité « lever le pied » il y a un an, en raison d’un « rouage politique sans débat qui perdure depuis 35 ans ».

Ensemble, ils font ce constat dans toutes les îles et dénoncent, plus globalement, un système « verrouillé » qui laisse très peu de place à la liberté d’expression, aux idées et propositions de la société civile, aux nouvelles figures, à la jeunesse, aux femmes.

« GASPILLAGE »

Ils portent un regard critique sur la gestion de leur province, évoquent une administration qui a « trop de poids » par rapport au privé, le « gaspillage » pour d’immenses projets comme le pont de Mouli, les jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail, les problèmes de transport, et prennent en exemple la situation actuelle de Tiga, coupée du monde. Comme eux, disent-ils, de nombreux Loyaltiens sont « lassés de la politique menée depuis des décennies par les mêmes personnes », explique Joël Cabali Bae.

Pour eux, le temps est aussi venu de sortir de la « vision binaire » proposée à l’échelle de tout le territoire. « On a vécu sur les séquelles du passé et pour l’heure on n’a pas réussi à se dire qu’il fallait passer à une autre période », commente Germaine Nemia Bishop. Il s’agit pour eux de « mettre en pause » l’indépendance et se focaliser à la place sur « le lancement économique des îles – sous le regard et la protection des grands chefs – pour être des acteurs dans la société et non plus des spectateurs » selon les termes de Jean-Pierre Selefen.

Ils veulent des discours qui permettent en particulier à la jeunesse de se placer non plus dans le rejet mais dans l’espoir, le respect des valeurs, du travail, l’insertion. « On peut mettre les consultations de côté et construire ensemble pour concrétiser véritablement la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur », estime Germaine Nemia Bishop.

Économiquement, ils observent que l’argent « ne circule que lors des mariages », regrettent que l’on ne puisse sécuriser les investisseurs « qui manquent de garanties ». « Il faut aussi se poser la question de notre rentabilité et de notre efficacité ».

GRANDE PROVINCE ?

Ce groupe de réflexion défendra de grands projets au bénéfice des populations, à commencer par des complexes commerciaux à Lifou, Maré et Ouvéa. « Les hôtels de luxe que l’on a, c’est bien, mais ils sont trop coûteux pour les gens ! », note Jean-Pierre Selefen.

Pour créer de l’emploi et refixer les populations dans les Îles, disent-ils, il faut investir dans les ressources existantes, « partir de ce que les gens savent faire ». « Les investissements doivent aller à la valorisation des atouts, des produits de la terre, aux entrepreneurs. » Ils pensent à des ateliers de transformation pour congeler le poisson, les ignames, le développement du noni. « Le Vanuatu, Tahiti arrivent à exporter, pourquoi pas nous ? »

Ils veulent favoriser le travail en alternance pour les jeunes, la prise en charge des enfants durant les vacances scolaires, qui impliquerait que les plus grands « respectent les biens publics », la création d’un lycée agricole à Maré, la généralisation des agents civiques ou la police coutumière. Ils souhaiteraient aussi militer pour la construction d’un hôpital. « Les populations sont obligées d’aller en province Sud, regrettent-ils, où leur aide médicale n’est pas toujours prise en compte. » Ils pointent aussi de nombreux retards dans les remboursements.

Selon eux, la provincialisation n’a pas apporté que des choses positives (« problèmes de gestion, isolement ») et ce constat « doit être regardé en face ». Alors que les discussions politiques se penchent sur notre organisation institutionnelle, sur le millefeuille d’organismes et d’outils, ils ont entamé une réflexion sur l’opportunité d’intégrer, avec le Sud, une grande province « pour optimiser l’argent et la gestion publique ».

Chloé Maingourd