[ DOSSIER ] « Un enfant a besoin de sécurité »

La violence peut être verbale, psychologique, physique et économique. Ce dernier volet s’applique aussi aux enfants, insiste Jena Bouteille. « On voit des jeunes privés d’accès aux biens de première nécessité, comme les chaussures, les vêtements... Quand on va en stage dans ces conditions, on se retrouve en difficulté pour s’insérer dans la société. » (@ G.C.)

Les coups n’empêchent pas la transgression, martèle la direction de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse. La DPJEJ invite à ne pas tomber dans le jugement moral des parents, qui ont besoin d’être accompagnés, d’autant qu’aucune catégorie sociale n’est au-dessus de la violence.

« C’est à cause de vous que ça va mal. » Jena Bouteille a trop souvent entendu cette phrase. La directrice de la DPJEJ constate amèrement que de nombreux parents voient l’interdiction des coups comme une porte ouverte à la délinquance. « Ce n’est pas la violence qui empêchera leurs enfants de transgresser. C’est beaucoup plus compliqué que ça. »

Avant toute chose, « un enfant a besoin de sécurité affective et matérielle », ce qui implique un traitement « juste ou équitable », et notamment une cohérence des sanctions. « Malheureusement, on s’aperçoit que les enfants ne comprennent pas toujours pourquoi ils sont frappés. Quand on décortique avec les parents le moment du passage à l’acte de violence, on s’aperçoit souvent que c’est leur environnement qui les a engagés vers cet acte : difficultés au travail, dans la famille, etc. »

CLASSES SOCIALES SUPÉRIEURES, « PAS FORCÉMENT » EXEMPLAIRES

Jena Bouteille prône « un discours ouvert » envers les auteurs de violences. « D’une part, on fait la distinction entre la personne qui met une tape sur les mains et celle qui frappe avec un marteau », un exemple qui ne sort pas de son imagination mais de son expérience. D’autre part, elle invite à ne pas porter de jugement moral. « Les gens ont besoin d’accompagnement, tout l’enjeu est de les diriger vers les bons professionnels » : psychologues, éducateurs, addictologues…

Dans le cas de l’alcool et du cannabis, les parents sont parfois amenés à prendre conscience de l’exemple qu’ils donnent. Réalisée en 2022 par la province Sud, l’étude Bien dans mes claquettes dit que 89 % des élèves de 3e ont au moins un adulte consommateur d’alcool dans leur entourage, les taux étant de 81 % pour le tabac et de 50 % pour le cannabis. « Comme l’alcool, la violence touche toutes les ethnies et toutes les catégories socioprofessionnelles », insiste la directrice.

Si les classes populaires sont surreprésentées au tribunal correctionnel, c’est que leurs délits sont particulièrement repérables. « Quand ça se passe en squat, avec beaucoup de personnes autour, avec une assistante sociale qui passe, on entend. Mais en réalité, lorsqu’on regarde au sommet de la pyramide, on ne voit pas forcément une exemplarité. »

AVEC LES COUTUMIERS, LA DISCUSSION EST POSSIBLE

Dans le cadre du Plan territorial de sécurité et de prévention de la délinquance, la DPJEJ travaille avec les autorités coutumières, qui affichent une position favorable à la pratique de l’astiquage (lire par ailleurs), sans pour autant refuser la discussion. « Quand je donne des exemples de graves violences constatées par nos services, on me répond : “ça, ce n’est pas de l’éducation, c’est de la barbarie”, apprécie la directrice. À partir du moment où l’on est d’accord d’un point de vue sémantique sur ce qu’est l’éducation, ce qu’est la violence, ce qu’est le développement attendu de l’enfant, on peut construire quelque chose. »

 


La protection de l’enfance,
une « lourde responsabilité »

La DPJEJ assure plusieurs missions : protection de l’enfance, prévention de la déscolarisation et de la délinquance, lutte contre l’incarcération et récidive (fin 2023, 16 mineurs étaient emprisonnés au Camp-Est). La direction gère deux établissements de placement judiciaire (les foyers d’action éducative de Nouville et de Païta) ainsi que des familles d’accueil, pour un total de 60 places. Ses effectifs comptent 110 agents (+30 % en sept ans) : psychologues, assistants de service social, éducateurs, cadres sociaux-éducatifs, coordinateur du Plan territorial de sécurité et de prévention de la délinquance (Pierre-Christophe Pantz), etc. « Ce n’est peut-être pas assez, mais les moyens engagés ont fortement augmenté », insiste Jena Bouteille, d’autant que la Nouvelle-Calédonie est le seul territoire français où l’État n’a pas la compétence de la protection judiciaire, ce qui est « une lourde responsabilité, y compris au niveau du pouvoir politique ».

Gilles Caprais