Sonia Waehla Hotere, la quête de soi

Sonia Waehla Hotere, née en 1977, est originaire de la tribu de Luecila, à Lifou. Elle vient de publier une nouvelle, La Planète K, dans un recueil en hommage aux 80 ans du Petit Prince, publié par l’association Rencontre des auteurs francophones, basée à New York. (© A.-C.P.)

Sa recherche identitaire l’a finalement ramenée chez elle, à Lifou. C’est là que l’enseignante a commencé à écrire des livres jeunesse, pour que les enfants kanak puissent voir des personnages qui leur ressemblent. Sonia Waehla Hotere vient de participer à un ouvrage collectif sur les 80 ans du Petit Prince.

Sonia Waehla Hotere n’a jamais imaginé avoir son nom sur un livre. Pas elle, cette petite fille de Lifou qui a grandi à Tindu. C’est vrai, « quels sont les espoirs qu’on a pour les enfants des quartiers ? », « est-ce qu’on voit leur potentiel ? », interroge-t-elle. Et pourtant. Son nom est bien apparu sur la couverture d’un livre, Kamen et Trotro, la reine des cigales, en 2012, son premier. « J’ai eu l’impression d’être sortie victorieuse d’un combat. J’en avais les larmes aux yeux. J’écris dans cette idée-là, que les jeunes se voient autrement que ce que les autres disent qu’ils sont. »

L’écriture, Sonia Waehla Hotere la découvre à 8 ans, quand son père lui offre un journal. À 21 ans, lors d’un service missionnaire à Fidji, elle entame une réflexion sur la réappropriation de son identité kanak. Quelques années plus tard, ne trouvant pas d’histoires mettant en scène des enfants kanak pour sa fille, elle commence à en imaginer, mélangeant ce que les anciens lui racontaient petite, son vécu et ce qu’elle invente. Cela deviendra sa mission : « Écrire des histoires pour enfants avec des caractères qui nous ressemblent, afin qu’ils puissent s’y reconnaître. » À l’opposé de ce qu’elle a connu, Blanche Neige ou La Belle au bois dormant.

LES QUESTIONNEMENTS

Dans ce processus de quête identitaire et culturelle, son séjour à Fidji fait office de révélateur. « Je vois des gens qui me ressemblent, qui parlent leur langue et qui sont fiers. » Plus tard, à Hawaï, où elle suit des études d’anglais, Sonia Waehla Hotere remarque la façon dont les autochtones essaient de maintenir leur culture et « de sauver le peu de choses qu’ils peuvent sauver, comment ils sont animés par une force, c’est incroyable ». Cela engendre de nombreuses questions sur qui elle est, ce qui l’anime. « Je cherche un sens à ma vie, à ce que je peux apporter sur cette terre. »

C’est là-bas qu’elle croise la route de celui qui deviendra son mari, un maori, avec qui elle a beaucoup en commun. À l’image des parents de Sonia Waehla Hotere, qui se sont arrêtés de parler drehu à la maison une fois arrivés à Nouméa, les siens ont arrêté de parler le maori au profit de l’anglais quand ils ont quitté la tribu pour Auckland. « Ce n’était pas leur faute, ils ont été influencés, ils ont cru qu’ils faisaient ça pour notre bien. » Elle souhaite donner autre chose à ses enfants sur sa terre de Lifou, où ils vivent avec leurs deux enfants. Cela passera par les histoires.

LA NAISSANCE DE L’AUTRICE

Son mari l’y incite, mais passer de l’oralité à l’écrit n’est pas si évident. « Ce n’est pas notre culture, alors que raconter est naturel, c’est notre héritage. » C’est du moins ce qu’elle pense jusqu’à ce qu’elle se lance. Et devienne « Sonia l’autrice ». « C’est venu assez naturellement et ça m’a surprise. » Le plus incroyable, c’est la satisfaction, le sentiment qu’elle éprouve en écrivant. « J’étais excitée, je pouvais passer des heures à refaire une phrase, etc. »

Quand l’autrice publie son premier ouvrage, cela fait près de trois ans que l’histoire dort dans son ordinateur. Son mari l’encourage. Il dépose le manuscrit à la Maison du livre, qui la met en lien avec Liliane Tauru, des éditions Plume de Notou. Suivent Kamen a mal à l’oreille en 2013, qui présente une plante médicinale et une chanson en drehu, et La Feinte de Trotro en 2015. Le lien se recrée avec sa langue. « Le drehu fait partie de moi. Même si pendant un long moment on a été très distant, il ne m’a jamais quittée. »

Son quatrième ouvrage, Le Fantôme du pandanus, sur les aventures de Waeho, marque un virage dans son aventure littéraire. Sonia Waehla l’illustre et le publie elle-même. Elle crée sa maison d’édition, Ifejicatre, et veut montrer que les kanak sont capables de faire. « Il y a une pression énorme sur nous avec tous les stéréotypes qu’on trimballe, les kanak sont comme ci, comme ça, et on focalise souvent sur ce qui est plutôt négatif. Alors c’est important de briller pour dire qu’on est plus que ça. »

LE PETIT PRINCE SUR LA PLANÈTE KA

Son dernier projet dépasse les frontières. Sonia Waehla a participé au recueil en hommage aux 80 ans du Petit Prince porté par Rencontre des auteurs francophones, basée à New York, et sorti en juin. Sa nouvelle fait voyager le héros de Saint-Exupéry jusqu’à La Planète Ka. L’idée lui est apparue un soir, deux jours avant la deadline. « Je me disais, c’est une histoire d’ailleurs, comment je le fais venir chez moi le petit prince ? »

La planète Ka, c’est sa petite île de Lifou, parce qu’en drehu, beaucoup de mots commencent par cette lettre. Le petit prince devient prince Kachocho, qui veut dire petit. Il y a mademoiselle Kaza, l’amoureuse, celle qui est jolie, et deux tribus, celle des Kangazo, ce qui est mauvais, et des Kalolo, ce qui est bon. « À travers mes écrits, je veux aider les autres à connaître le drehu, donner la capacité à chacun d’apprendre sa langue. »

Cette histoire de quelques pages, Sonia Waehla Hotere travaille à la rallonger pour la sortir vers la fin de l’année. « C’est ma manière à moi d’amener l’autre dans notre monde. À nous de nous ouvrir, de créer des ponts. » La suite ? Continuer à avancer et « rencontrer d’autres kanak qui sont dans la même démarche de présenter notre culture et d’exister dans le monde du livre. C’est important qu’on prenne notre place et qu’on s’impose, même si ça ne fait pas partie de nos traditions. » C’est aussi pour cela que Sonia Waehla écrit.

 

LA PLATEFORME RENCONTRE DES AUTEURS FRANCOPHONES

Rencontre des auteurs francophones a été créée par Sandrine Mehrez Kukurudz en 2020 à New York, aux États-Unis. La plateforme compte plus de 345 écrivains de 48 pays. Le réseau, parrainé par Marc Lévy et marrainé par Amanda Sthers, propose chaque année le Festival des auteurs francophones en Amérique qui, en 2024, s’étendra dans d’autres pays du monde. La structure, très active, a lancé sa maison d’édition et dispose, en ligne, d’une librairie, d’un forum d’auteurs, d’émissions, d’un café littéraire, d’un blog, d’une chaîne Youtube…

Plusieurs antennes ont été ouvertes cette année, notamment l’Océanie, gérée par Claudia Rizet, originaire de Nouvelle-Calédonie. Outre Sonia Waehla Hotere, d’autres Calédoniens en sont membres, Marynka Tabi, Yannick Jan et Jean-Michel Guiart. Ces deux derniers, avec Claudia Rizet, ont participé à l’ouvrage collectif Hommage à Albert Camus, qui sortira le 7 novembre.

 

Anne-Claire Pophillat