Sonia Backès : « Projet de loi constitutionnelle : le combat va être difficile »

« Si à chaque fois qu’on n’est pas d’accord, la réponse c’est la violence, on ne va pas y arriver », note Sonia Backès. (© P. Sud)

Depuis Paris, mardi 27 février, Sonia Backès, présidente de la province Sud, détaille l’amendement sur la nouvelle répartition des sièges au Congrès travaillé en vue de l’examen du projet de loi constitutionnelle. Et somme les indépendantistes de produire des avancées en vue d’un accord.

LOIS ORGANIQUE ET CONSTITUTIONNELLE

DNC : Le Sénat a adopté le projet de loi organique concernant le report des élections provinciales, c’était attendu ?

Sonia Backès : Il n’y avait pas de difficulté. Les deux amendements déposés par les socialistes pour reporter la date limite des élections ont été rejetés, le projet a été adopté en l’état, les élections seront fixées au plus tard au 15 décembre. C’est sur le projet de loi constitutionnelle que le combat va être difficile, parce que c’est là que le dégel du corps électoral est prévu.

C’est une satisfaction pour vous ?

Les Calédoniens en ont ras-le-bol d’attendre : ils ont voté trois fois non, et depuis le troisième référendum, ils ont l’impression de stagner. Il y a eu beaucoup d’espaces laissés au dialogue avec les indépendantistes pour essayer de trouver une solution. Ils ont mis deux ans à arriver autour de la table, et ils s’y sont mis quand le gouvernement [national] a mis en œuvre la menace de présenter un projet de loi constitutionnelle. Maintenant, il faut avancer. S’il y a un accord entre-temps, tant mieux, mais il n’est pas question de revenir sur le calendrier.

L’examen du projet de loi constitutionnelle a lieu fin mars au Sénat : avez-vous prévu de déposer un amendement sur la répartition des sièges au Congrès ?

On y travaille avec Virginie Ruffenach, Alcide Ponga et Nicolas Metzdorf. Quand les équilibres du Congrès ont été faits, 70 % de la population habitait dans le Sud et représentait 59 % des élus. C’était déjà au détriment de la province Sud. Aujourd’hui, on est passé à 75 %. Un électeur du Sud pèse 2,5 fois moins qu’un autre, c’est inacceptable. Notre proposition : tant qu’il n’y a pas de nouvel accord, on revient au dernier accord. En 1998, le corps électoral était glissant à 10 ans et les équilibres au Congrès étaient dans des proportions plus acceptables.

Quelle serait la nouvelle répartition ?

Aujourd’hui, on a 32 élus sur 54. Le nombre “normal” serait 40… On en propose 36 pour le Sud, 12 pour le Nord et 6 pour les îles.

Le calendrier suivi par l’État ne favorise-t-il pas les tensions ?

C’est hallucinant qu’on ait réussi à faire passer ce message. Gérald Darmanin a reçu les délégations calédoniennes 12 fois, et 12 fois il a prévenu qu’il faisait tout pour trouver un accord, mais que s’il n’y en avait pas, il transmettrait le projet de loi constitutionnelle. Il n’a rien fait d’autre que ce qu’il a dit qu’il ferait. Les indépendantistes ont joué sur le fait que l’État ne tiendrait pas parole parce qu’il aurait la trouille, ce qui n’a pas été le cas. On n’est pas dans une démocratie où c’est la menace qui fait foi. On est dans une démocratie où on cherche à trouver des solutions qui conviennent à tout le monde, parce que la population est divisée en deux.

AVENIR INSTITUTIONNEL

Les discussions se poursuivent le 8 mars. Vous vous y rendrez ?

Nous sommes allés à tous les rendez-vous, on s’est vus plusieurs dizaines d’heures, on a fait des propositions assez ambitieuses aux indépendantistes en essayant de prendre en compte leurs attentes et les nôtres. La prochaine étape, c’est qu’ils fassent des contre-propositions. La dernière fois, ils n’étaient pas calés, parce que sous une apparence d’unité, ils ne sont pas réellement unis, il y a régulièrement des positions différentes entre l’UC et l’UNI, donc on espère que ce ne sera pas le cas le 8 mars. Et que leur démarche est sincère. Nous, on rentre dans ces discussions avec l’envie réelle de trouver un accord. On peut se poser la question de savoir s’ils ne l’ont pas fait pour gagner du temps par rapport à la loi constitutionnelle.

Quelque chose d’assez ambitieux, de quoi s’agit-il ?

Le cadre dans lequel on se place est forcément celui d’un maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République. On pourra davantage en parler quand on aura avancé dans les négociations, rentrer dans le détail les mettrait en péril.

« On a 32 élus sur 54. Le nombre “normal” serait 40… On en propose 36 pour le Sud, 12 pour le Nord et 6 pour les îles. »

Un accord avant le 1er juillet reste l’objectif ?

Évidemment, on fait tout pour cela. C’est nous qui proposons, qui essayons d’avancer. On est plutôt moteur, mais il n’est pas question que cette recherche d’accord fasse encore perdre du temps. Le calendrier continue. Soit on est en capacité de trouver un accord avant le 30 juin et je pense que c’est l’intérêt de tout le monde, soit on n’est pas en capacité et on fera les prochaines élections sur la base d’un corps électoral dégelé.

Quels sont les points bloquants ?

Le fond du problème, c’est, je crois, une question de courage politique. Il faut que les responsables indépendantistes disent à leurs électeurs qu’il n’y aura pas d’indépendance, en tout cas pour un petit moment. En revanche, à l’intérieur de la République, on peut avancer sur des questions de souveraineté interne. Mais mentir, ça sert à quoi ? On remonte les troupes, et on a vu ce qu’il s’est passé avec la CCAT.

Autour de la table, il manque le parti Calédonie ensemble. Pourquoi et comment imaginer un accord sans eux ?

Dans les discussions, c’est compliqué parce qu’ils ne prennent pas parti pour les non-indépendantistes, ils rajoutent une couche pour soutenir les positions des indépendantistes. On se retrouve quasiment avec un parti indépendantiste en plus, avec des gens qui jouent contre notre camp. On considère qu’on fait les discussions avec les indépendantistes, qui sont nos vrais partenaires-adversaires politiques pour trouver une solution, et qu’on associera Calédonie ensemble à la fin pour leur présenter l’accord qu’on aura trouvé, s’il y en a un.

ÉTAT

Les ministres Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti ont annoncé des dizaines de milliards d’investissements. Quelle est votre analyse ?

C’était aussi l’objet du déplacement de Gérald Darmanin, qui n’était pas politique mais plutôt institutionnel, et qui concernait les compétences de l’État en Nouvelle-Calédonie ou l’accompagnement de l’État sur des compétences qui ne sont pas les siennes. Il est temps de passer à autre chose que l’institutionnel.

Quelles garanties avez-vous que la prison se fasse réellement ?

2028, c’est un peu long et on doit pouvoir réduire les délais. Je vais œuvrer pour cela auprès du ministre de la Justice.

POLITIQUE

Votre rentrée politique à Ko We Kara sonne-t-elle le début de la campagne électorale ?

Cette rentrée politique ne peut pas être un début de campagne, car nous n’avons pas la date des élections, pas le corps électoral, pas le nombre de sièges au Congrès… On n’entre pas en campagne dans ces conditions-là. J’ai souhaité cette rentrée politique parce que 2024 va être une année très lourde sur bien des plans ‒ politique, économique, nickel… ‒, et les Calédoniens sont en demande d’informations. Nous avons voulu ensuite faire une démonstration d’unité, c’était important.

« Il y a la nécessité de reprendre la majorité
au Congrès et au gouvernement. Pour cela, (…) je crois que l’unité est absolument indispensable dans les moments importants comme ceux que nous vivons. »

Est-il pressenti des dissidences au sein des loyalistes ?

Évidemment. Des gens ont des ambitions personnelles, ont envie de s’exprimer, c’est le jeu de la démocratie. Mais il y a la nécessité de reprendre la majorité au Congrès et au gouvernement. Pour cela, il faut une unité absolue dans le Nord et dans les îles, et éviter d’avoir des listes non indépendantistes dans le Sud qui ne passent pas la barre. Je crois que l’unité est absolument indispensable dans les moments importants comme ceux que nous vivons actuellement.

Que pensez-vous de l’initiative de quatre membres loyalistes du gouvernement de proposer un plan de relance économique ?

Les Loyalistes ont confié à Christopher Gygès la demande de travailler sur un plan de relance, ce qui a été fait avec nos élus et collaborateurs. Le document, validé par le groupe Les Loyalistes, vient d’être présenté à la presse. Christopher y a associé d’autres membres du gouvernement, et c’est une bonne démarche dans la recherche d’unité. Mais tant que nous n’avons pas la majorité au gouvernement et au Congrès, nous pouvons difficilement agir. Voilà pourquoi nous souhaitons que la province Sud retrouve le poids qui doit lui revenir au Congrès.

NICKEL

Où en est la recherche d’un nouvel investisseur dans le capital de PRNC ?

La banque Rothschild, mandatée, s’occupe de ce dossier. Selon les informations de PRNC et de Bercy, les premiers et potentiels repreneurs intéressés semblent être des gens sérieux. Une fois que le conseil d’administration de Prony Resources, prévu ce jeudi, se sera tenu, la première tranche du prêt de 16,7 milliards de francs pourra être débloquée.

L’État compte sécuriser l’approvisionnement en nickel pour la filière batterie électrique. Cet investisseur ne doit-il donc pas être européen ?

Nous avons laissé la porte ouverte à tout type d’investisseur, avec une préférence pour qu’il ne soit pas chinois. L’idée est d’accueillir surtout un partenaire sérieux, parce que nous allons avoir trois ans difficiles. Ce groupe doit donc avoir la carrure pour financer le site durant cette période ainsi que les investissements nécessaires. Nous le voyons, des constructeurs automobiles sont intéressés, ils savent que potentiellement ils peuvent perdre un peu d’argent, mais qu’ils ont un intérêt à sécuriser leur approvisionnement en nickel batterie : l’intérêt est ainsi stratégique.

Le prêt de 7,1 milliards de francs à la SLN lui permet de tenir jusqu’en avril, et après ?

Jusqu’en mai, je crois. Pour la SLN, l’État sera présent pour aider jusqu’à ce que le pacte sur le nickel se mette en œuvre. La survie de la SLN passe exclusivement par le pacte sur le nickel. Le temps que la mécanique se mette en marche, l’État sera là pour nous accompagner.

Dans un article du Financial Times, la PDG d’Eramet Christel Bories pose sans détour la question de l’avenir de la métallurgie en Nouvelle-Calédonie. Qu’en pensez-vous ?

Eramet n’a fait que des mauvais choix pour la Nouvelle-Calédonie depuis des années : fermeture de l’unité de matte, absence d’investissement dans une nouvelle centrale électrique, etc. Je ne crois pas beaucoup dans les prévisions d’Eramet. Je crois en l’avenir de la SLN.

Le pacte sur le nickel peut-il être vraiment signé le 25 mars ?

Je le souhaite. J’ai prévenu l’État : je pense que les indépendantistes vont continuer à faire du chantage sur ce point qui va tomber en même temps que le vote de la loi constitutionnelle au Sénat. Mais jamais un investisseur se positionnera pour rejoindre KNS et jamais la SLN pourra continuer à fonctionner si le pacte sur le nickel n’est pas signé. Après, chacun assume ses responsabilités.

Voyez-vous une issue positive à la recherche d’un investisseur pour KNS ?

Oui, mais les pertes prévues pour 2024 sont estimées à 370 millions d’euros, soit plus de 40 milliards de francs. Sans la subvention énergie et sans les exports de minerai, les pertes seraient trop importantes pour qui que ce soit vienne. Si en revanche le pacte est signé, un investisseur peut être intéressé.

Propos recueillis par A-C.P. et Y.M.