Sauvetage des usines : quelle est la place de l’État ?

L’usine de KNS à Vavouto est confrontée à une sous-production due à une baisse de la teneur en nickel du minerai traité ainsi que des problèmes techniques passés. (© Archives Y.M.)

Alors que les discussions se poursuivent sur le sauvetage des trois usines métallurgiques, le ministre Bruno Le Maire a exposé à l’Assemblée nationale la proposition de l’État formulée aux actionnaires de KNS et chiffrée à 24 milliards de francs. Ce qui interroge sur l’efficacité de son soutien massif accordé jusqu’à présent.

Le ton était ferme. « L’État pourra accompagner, mais je vous le dis sincèrement, ce n’est pas sérieux si on accompagne et si le travail sur, d’une part, l’export nickel n’est pas fait, et sur les coûts de production n’est pas fait. » Par ces mots, tenus le 26 juillet 2023 place des Cocotiers, le président de la République, Emmanuel Macron, donnait ses indications en faveur du sauvetage de la filière métallurgique en Nouvelle-Calédonie et positionnait la possible intervention de la puissance publique. Les trois usines voient aujourd’hui la perspective de la cessation de paiement s’approcher. Les discussions entre l’État et la SLN, d’un côté, et Prony Resources New Caledonia de l’autre, sont en bonne voie pour aboutir à une aide. Tandis que les pourparlers se poursuivent à Paris avec la SMSP, Glencore et la direction de KNS.

L’État a apporté, en dix ans, environ 200 milliards de francs aux trois usines en Nouvelle-Calédonie, sous forme de prêts,

de défiscalisation, d’avances en trésorerie…

Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, a d’ailleurs dévoilé l’offre mise sur la table dans sa réponse mardi à la question du député Renaissance, Nicolas Metzdorf, à l’Assemblée nationale. « J’ai fait des propositions à Glencore pour l’usine du Nord. Nous avons proposé 60 millions d’euros de subvention sur le prix de l’énergie, 45 millions d’euros de ressources supplémentaires, un prêt de 100 millions d’euros : 200 millions d’euros pour la seule usine du Nord pour garantir sa pérennité sous forme de soutien public », a énuméré le locataire de Bercy. Soit 24 milliards de francs au total. « Maintenant, c’est aux actionnaires de prendre leurs responsabilités. Nous n’irons pas plus loin et nous n’allons pas subventionner à perte. » Une phase de pression est en cours autour, notamment, des positions de la province Nord sur la filière minière.

Le député Nicolas Metzdorf a interrogé
le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, à l’Assemblée nationale, sur le soutien potentiel de l’État envers l’industrie métallurgique en Nouvelle-Calédonie. (© Capture d’écran LCP)

ACCENTUATION DEPUIS 2016

Calé sur trois piliers ‒ l’export de minerai brut, l’énergie et l’alimentation de l’Union européenne en nickel batterie ‒, le « pacte sur le nickel », censé redresser le secteur, est étudié en ce moment. D’après un porte-parole du ministère des Finances cité par l’agence de presse Reuters, les négociations se poursuivront jusqu’à la fin de ce mois de février. « Plus tard, ce n’est pas possible, car les besoins de financement sont immédiats. » La réussite de ce plan tiendrait-elle à la signature d’un accord global sur le nickel avec les trois usines ?

Les actuels échanges interrogent la place de l’État dans la filière en Nouvelle-Calédonie. À la lecture du rapport de l’Inspection générale des finances et du Conseil général de l’économie publié en juillet 2023, les « expositions publiques » directes atteignent près de 700 millions d’euros « et s’ajoutent de nombreux soutiens indirects ». Les métallurgistes ont bénéficié d’aides, notamment depuis 2016, année de l’effondrement du cours du nickel et de l’accélération de la délocalisation de la production chinoise en Indonésie. La SLN et Prony Resources New Caledonia ont obtenu plusieurs prêts directs. Les trois complexes industriels ont disposé de mécanismes de défiscalisation. La Cour des comptes avait d’ailleurs dressé, en 2020, un bilan assez critique de l’usage des fonds publics.

Bruno Le Maire a détaillé, pour la première fois publiquement, l’aide proposée à KNS et évaluée à 24 milliards de francs. En toute logique, le soutien accordé aux deux autres usines devrait être de la même ampleur. Des prêts d’un montant identique avaient été consentis en 2016 à la SLN et à Vale NC, ex-PRNC. (© Capture d’écran LCP)

« ÉTAT POMPIER »

Selon des calculs sur les dix dernières années, le soutien au sens large de l’État en faveur des opérateurs du Nord, du Sud, de Doniambo et ses centres, a atteint environ 200 milliards de francs. Des politiques et directions d’usine se félicitent de telles interventions massives, mais « la compétence nickel est calédonienne, et l’État vient à la rescousse... », s’interroge Glen Delathière, délégué syndical du SGTINC à la SLN, qui voit « un État pompier, et heureusement qu’il est là ! Toutefois, sur le fond, on n’a pas résolu les problèmes ». La priorité demeure la compétitivité et la rentabilité. Or, « l’État est intervenu à plusieurs reprises, pas pour une prise de participation au capital par exemple, mais pour des prêts avec un taux d’intérêt, des frais à payer... », ajoute le syndicaliste.

Et après ? Pour un observateur assidu du marché, inquiet, le « pacte sur le nickel » en construction s’intéresse à l’énergie, mais ne prend pas a priori en compte le coût du travail : 450 000 francs en salaire mensuel moyen dans l’industrie métallurgique sur le territoire, contre 32 000 francs en Indonésie, d’après ses chiffres. « Soit dix fois moins. » S’ajoute la menace d’une évolution de batteries pour véhicules électriques sans nickel et d’une surproduction de ferronickel, estime l’expert. « De fait, l’État prend des risques. »

Yann Mainguet