Ruamm : le dialogue « renoué »

Les suspensions de séance et les discussions entre élus, ici Milakulo Tukumuli, auteur du projet de loi et rapporteur, ont été nombreuses pendant la séance, débutée à 14 heures et levée vers 20 h 30. / © A.-C.P.

Le projet de loi réformant le Ruamm, tant décrié, est en passe d’être adopté après une journée mouvementée au Congrès, mercredi 18 octobre. Son examen a été reporté au lendemain, jeudi, le temps pour les élus de retravailler le texte afin de parvenir à un consensus. Les petits patentés et les secteurs aidés doivent être préservés.

Quatorze heures, mercredi. La séance sur l’examen du projet de loi de réforme du Régime unifié d’assurance maladie et maternité (Ruamm) commence. Elle semble bien mal embarquée. Depuis des mois, le texte est attaqué de toutes parts.

Le collectif Agissons solidaires, qui regroupe organisations patronales et chambres consulaires, et les élus non indépendantistes reprochent la méthode, le calendrier, le fond. « C’est un sparadrap sur une jambe de bois, un prisme purement comptable à un problème structurel et organisationnel de notre système de santé », estime Philippe Gomes (Calédonie ensemble). Ce sera « catastrophique, pour Françoise Suve (Les Loyalistes), une énorme casse sociale pour les bas salaires et les patentés, on va encore plus asphyxier les ménages ».

Philippe Gomes a dit regretter que la réforme proposée par l’Éveil océanien soit « injuste », « va détruire des emplois », ne revoie pas la gouvernance du système de santé et n’envisage pas la maîtrise des dépenses, lors d’une conférence de presse lundi 16 octobre. / © A.-C.P.

RÉUNION DES CHEFS

Alors tout est bon pour retarder l’examen du texte. Calédonie ensemble dépose une motion préjudicielle à laquelle s’associent Les Loyalistes et le Rassemblement-LR. Rejetée. Philippe Gomes insiste. Après une suspension de séance, il propose une pause de 24 heures afin d’examiner les amendements qui doivent être déposés par Milakulo Tukumuli (Éveil océanien), dans une volonté de « renouer le dialogue après cette politique du fait accompli ».

Le collectif Agissons ensemble, qui regroupe les organisations patronales (Medef, CPME, U2P) et les chambres consulaires (CMA, CCI, CAP), sous pression ces derniers jours avec les négociations, a assisté à la séance, mercredi. / © A.-C.P.

À la place est choisie une réunion d’explication avec les présidents de groupe. Prévue pour durer une heure, ce n’est que près de trois heures plus tard que les élus retrouvent le chemin de l’hémicycle. Un compromis a été trouvé. « Il fallait un peu de pleurs et de crêpages de chignons pour arriver à un consensus, c’est comme ça dans notre pays », réagit Milakulo Tukumuli.

Des efforts sont consentis. Un premier amendement, qui fait suite à un accord avec le collectif Agissons solidaires, résultat d’âpres discussions ces derniers jours, consiste à enlever la suppression des exonérations pour les secteurs aidés et les bas salaires. En contrepartie, « un calendrier sera mis en œuvre dès la semaine prochaine pour travailler sur la modernisation de ces dispositifs. Il y a un abus, tout le monde le sait ».

LES PETITS PATENTÉS « PROTÉGÉS »

Le deuxième concerne les travailleurs indépendants dont les revenus sont inférieurs à deux salaires minimums (17 000 selon Milakulo Tukumuli sur les 26 000 patentés que compte la Nouvelle-Calédonie), qui cotiseront « 7 % et non 13,5 % ». « C’était l’objectif de la réforme. Vous gagnez beaucoup, vous contribuez. Ceux qui n’ont pas assez de revenus continuent d’être protégés. » Il s’agit, pour l’élu, d’un changement inévitable. « Les indépendants disent que c’est injuste. Mais non, on répare une injustice, car ils cotisent à des taux différés depuis maintenant 20 ans. »

Mercredi matin, Virginie Ruffenach annonçait que les 36 amendements déposés par Les Loyalistes et le Rassemblement-LR avaient été rejetés lors de leur examen en commission la veille de la séance, mardi 17 octobre. / © A.-C.P.

Des propositions des groupes Les Loyalistes et le Rassemblement-LR sont également acceptées. Notamment celles concernant des mesures d’économies, affirme Virginie Ruffenach : réduire de 10 % la couverture des petits risques, mettre en place un non-remboursement forfaitaire de 100 francs par boîte de médicaments prescrite, instaurer un jour de carence pour les fonctionnaires comme dans le privé, ce qui représente près de 1,4 milliard d’économies. « Chacun fait un bout du chemin pour arriver à quelque chose de commun, se satisfait l’élue du Rassemblement, avec des garanties sur un travail consensuel sur les différents taux qui seront appliqués pour arriver à quelque chose d’acceptable pour les travailleurs indépendants. » L’élue évoque également l’affectation d’un demi-point de TGC en faveur du système de protection sociale.

VERS UN VOTE À L’UNANIMITÉ

Au retour en séance, vers 20 h 15, décision a été prise de reporter l’examen du projet de loi. Les présidents de groupe ont rendez-vous le lendemain matin – « il y a encore des petites choses à régler », précise Milakulo Tukumuli –, avant une convocation l’après-midi. Et l’espoir d’un « vote à l’unanimité ». Maintenant, tout le monde y croit. Beaucoup d’agitation pour pas grand-chose ? « C’est la posture politique qui nous empêche les uns et les autres de nous voir et de nous parler. Cela veut dire que le dialogue est là et que l’esprit de l’Accord de Nouméa n’est pas mort. C’est important, espérons que ce soit de bon augure pour le reste. »

Anne-Claire Pophillat

 

UNE MÉTHODE CRITIQUÉE

Le texte a été mis à l’ordre du jour d’une séance du Congrès par le gouvernement alors qu’une commission spéciale, créée en mars après la mobilisation du collectif Agissons solidaires, travaillait dessus afin de trouver un consensus d’ici la fin de l’année. Prenant par surprise les élus non indépendantistes et le collectif dont les travaux ont été, de fait, suspendus. Cette « précipitation », ce « passage en force », « cette provocation » ont été largement critiqués.

Mais stratégie ou pas, la méthode a fonctionné, puisqu’il a été réalisé plus d’avancées en quelques jours qu’en six mois. Les réunions se sont enchaînées entre Agissons solidaires et Milakulo Tukumuli, qui ont finalement trouvé un accord. Le collectif, qui avait annoncé une manifestation mercredi, l’a d’ailleurs annulée. Les syndicats de salariés, eux, ont réaffirmé leur soutien à la réforme.

LA RÉFORME

Le texte initial, porté par Milakulo Tukumuli, prévoit un taux unique de cotisation pour les travailleurs indépendants et les salariés du privé et du public à 13,5 % pour une couverture complète. Les patentés, qui cotisent entre 5 et 9,5 %, devront davantage participer. Jusqu’à présent, le manque à gagner, qui représente environ 4 milliards de francs, est compensé par la Nouvelle-Calédonie à travers l’Agence sanitaire et sociale.

Les salariés, ponctionnés eux à hauteur de 15,5 %, seront gagnants. Le projet de loi envisage également de mettre un terme aux exonérations des secteurs aidés (hôtellerie, agricole et gens de maison) et à l’abattement dont bénéficie les bas salaires, ce qui coûte plus de 2 milliards de francs. En tout, un déficit annuel de quelques 10 milliards de francs.

LA SUITE

Le projet de loi examiné au Congrès prévoit le cadre de la réforme. Les taux de cotisation seront précisés plus tard, dans les délibérations d’application. « Cela nous laisse du temps pour en discuter et voir comment on arrive à protéger les plus petits travailleurs et les plus âgés, précise Milakulo Tukumuli, mais il faut adopter la délibération avant la fin de l’année pour une mise en œuvre en janvier 2024. » Le taux de 13,5 % « n’est pas encore décidé ». Jusqu’où est-il possible d’aller ? « Un taux unique qui ne rapporterait pas d’argent et n’en ferait pas perdre, c’est 12,5 %, donc la marge de manœuvre est mince. Sinon, il faudra récupérer ailleurs, par l’augmentation de la CSS, de la TGC, des impôts, je ne crois pas qu’on puisse passer entre les gouttes. »