Romain Hemon, la passion de l’argentique

Romain Hemon a tout appris à l'atelier Diamantino Labo photo où exerce le seul maître-artisan tireur-filtreur de France.© Titouan Moal

Expatrié depuis près de sept ans en Métropole, le Calédonien Romain Hemon est tireur-filtreur dans l’un des derniers laboratoires photo au monde spécialisés dans l’argentique. Un métier de niche où il côtoie les professionnels parmi les plus influents du milieu.

Bagnolet, en région parisienne. Cachée derrière un grand portail de garage, une petite allée couverte mène à l’atelier Diamantino Labo Photo. Sur le seuil de la porte, pas de pancarte ou d’enseigne visible pour guider le visiteur. L’endroit, presque confidentiel, est pourtant bien connu des photographes. Le laboratoire de 350 m2, fondé en 2009, est en effet l’un des plus grands au monde entièrement dédié au tirage de photos argentiques.

À l’intérieur, la température dénote de la touffeur urbaine de cet été prolongé. Le silence y règne et une légère odeur de bain révélateur et de liquide fixateur flotte dans l’air. Dans la pièce principale, des lampes LED à intensité variable retransmettent parfaitement la lumière du soleil de midi, permettant ainsi d’apprécier les détails des diverses photographies qui tapissent les murs, mais surtout de celles qui sèchent, posées à plat un peu partout dans l’atelier.

TRANSMISSION

C’est justement la tâche à laquelle s’affaire Romain Hemon en cette fin de journée. Dans la salle qui sert habituellement à procéder aux tirages en lumière rouge, il déroule minutieusement des papiers de grand format où des paysages en noir et blanc de Naples, immortalisés depuis une fenêtre, viennent d’être révélés, comme par magie, par les bains chimiques. « C’est cette étape qui m’a fait tomber amoureux de l’argentique, commente le Calédonien de 29 ans. Ce moment où tu redécouvres l’instant capturé et emprisonné sur la pellicule. »

Avec ses cinq ans et demi d’expérience, Romain Hemon fait figure de bras droit dans cet atelier presque entièrement peuplé de jeunes disciples. Aujourd’hui, il forme Emma, une stagiaire qui étudie en école de photo. Des gestes précis et méticuleux qu’il a lui-même appris de Diamantino Quintas, fondateur du laboratoire et seul maître-artisan tireur-filtreur de France.

« Je ne veux pas être considéré comme le dernier des Mohicans, lance avec un léger accent l’homme d’origine portugaise. J’essaie toujours de m’encadrer d’apprentis afin de pouvoir partager ma passion. Il est primordial de transmettre cette connaissance pour que le métier ne se perde pas. Car à notre époque, même les écoles ne forment plus les jeunes à cet art. »

« Ce qui m’a touché, c’est son humilité et son respect. Il a de grandes valeurs humaines », raconte Diamantino Quintas (à gauche) au sujet de Romain Hemon. © Titouan Moal

DÉCLIC À RIO

Arrivé de Toulouse, où il étudiait en première année de BTS photographie pour un stage de quelques semaines, le métis d’origine vietnamienne, wallisienne et européenne n’est jamais reparti et n’a même pas terminé sa formation : « quand il m’a proposé de rester travailler à ses côtés, cela a été pour moi une véritable fierté. Je ne voulais pas rater cette opportunité ».

Il faut dire que le Nouméen a toujours eu la fibre artistique. Passionné de danse depuis sa tendre enfance, il s’initie aussi bien au hip-hop qu’à la samba, au cabaret qu’au ragga dancehall. Membre de l’école Art et Mouvement, il monte régulièrement sur scène avec la troupe Dança Brazil de Carine Richez-Raguin. C’est avec elle qu’il part au Brésil, fin 2016, afin de participer à des répétitions avec l’une des plus vieilles écoles de danse de Salvador de Bahia et défiler à l’occasion du Carnaval de Rio.

« Un de mes amis avait apporté son appareil photo argentique et m’a initié, raconte Romain. Un après-midi, alors que tout le monde faisait la sieste, je suis parti me promener seul sur la plage et j’ai apporté avec moi le boîtier. Cela a été un véritable déclic. »

INSPIRATION ET PARTAGE

Il a alors 22 ans et, déscolarisé à la suite d’une tentative de licence de droit à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, il décide de prendre le large avec l’insatiable envie d’approfondir ses connaissances. Il passe sa première année de BTS entre Toulouse et Paris. Mais à l’école, il n’aborde que brièvement l’argentique et souhaite en apprendre davantage.

Il postule à l’atelier Diamantino Labo Photo. « C’était très intense. Diamantino est quelqu’un d’extrêmement rigoureux. Il m’a bousculé psychologiquement, mais cela m’a fait grandir d’un coup. »

Aujourd’hui, Romain Hemon continue de cultiver son amour de la photo. Grâce aux rencontres surtout. Agnès Varda, le photoreporter de guerre Gilles Caron, Michel Poivert, Robert Doisneau ou encore James Barnor, de grands noms de la photographie sont passés et passent encore par l’atelier de Bagnolet.

Près de 300 clients, professionnels ou amateurs avertis des quatre coins de la planète, avec qui le Calédonien a la chance de discuter : « c’est une vraie richesse que d’avoir la légitimité de pouvoir partager leur travail. Ils nous racontent leurs démarches, leurs émotions. Diamantino a 40 ans d’expérience et est vraiment spécialisé dans le tirage d’art. Beaucoup nous disent qu’ils n’arrivent pas à trouver de tireur capable d’interpréter aussi bien leurs œuvres. »

Une proximité qui nourrit sa propre inspiration. Sur son temps libre, Romain se livre à des prises de vue. En témoigne son exposition sur les endroits inaccessibles et oubliés de l’ancienne abbaye de Clairvaux, présentée dans la commune en 2018. Avec une préférence pour l’argentique, bien évidemment.

Romain Hemon
en train de dérouler les papiers grand format et de découvrir les photos.© Titouan Moal

 

Tireur-filtreur, acteur essentiel de la création artistique

Peu pratiquée de manière professionnelle, l’activité de tireur-filtreur argentique se fait de plus en plus rare. Quelques explications pour mieux comprendre ce travail, à cheval entre choix artistiques et expertise technique.

On a tous en tête les images vues dans les films. Une chambre noire éclairée par une lumière rouge, des bacs d’émulsion chimique et une cordelette parsemée de pinces à linge pour faire sécher les quelques tirages argentiques, qui se découvrent petit à petit sur le papier blanc.

Le travail de Romain Hemon, c’est exactement cela, mais à une échelle plus grande et surtout plus professionnelle. Si le photographe capte la vie, le tireur-filtreur, lui, accompagne la renaissance de cet instant piégé sur une pellicule photosensible en le transférant sur du papier. Un maillon indispensable de la chaîne de production artistique qui, de par ses choix, peut grandement influencer le rendu définitif.

CHAMPIGNONS ET ŒUFS D’AUTRUCHE

Premier levier, le choix du support. « Au labo, on a une vingtaine de papiers différents, dont des modèles qui ne se fabriquent même plus et que l’on conserve précieusement », dépeint le Calédonien. Taille, surface, couleur de blanc, brillance… De nombreux paramètres qui auront une incidence sur l’image finale. Mais parfois, photographes et tireurs travaillent de concert sur des expérimentations : « on a déjà fait des tirages sur des galets, des champignons, des planches de bois de deux mètres de haut et même à l’intérieur d’œufs d’autruche ».

Romain Hemon sort un tirage photographique du bain de chimie. © Titouan Moal

EXPOSITION PRÉCISE

Direction ensuite la chambre noire, où le négatif est exposé à une source lumineuse extrêmement contrôlée ‒ à l’aide d’une machine nommée agrandisseur ‒ et projetée sur le support sélectionné. Là encore, de multiples curseurs modifient sensiblement l’image, qu’elle soit en couleur ou en noir et blanc. « On choisit par exemple le temps d’exposition, mais aussi de concentrer ou d’atténuer la lumière sur certaines zones pour éclaircir ou densifier des détails, jouer sur les clairs-obscurs », précise Romain Hemon.

Le papier photosensible est ensuite plongé dans des bains chimiques, dont la température et le temps de trempage viennent une nouvelle fois impacter le rendu, avant de sécher quelques heures, bien à plat.

Si certains artistes ont une idée précise de la manière dont doivent être tirées leurs œuvres, une connexion se crée le plus souvent avec le tireur-filtreur. « Il y a des photographes qui me laissent pratiquement toute liberté. Ils posent un état d’esprit, un sentiment, une émotion et je propose des “écritures” différentes », explique le propriétaire du laboratoire où officie Romain, Diamantino Quintas. Un travail qui se fait main dans la main.

Titouan Moal.