Rencontre inattendue avec un dek-men

Le dek-men est une sous-espèce endémique. Le merle des îles (Turdus poliocephalus xanthopus) est répandu dans l’Asie-Pacifique. / © David Ugolini

Alors que la Société calédonienne d’ornithologie (SCO) était en mission prospection sur l’île de Faayo, en baie de Banaré à Poum, son président David Ugolini est tombé nez à nez avec un merle des îles calédonien. Ces dernières années, cet oiseau n’avait jamais été observé ailleurs qu’à Yandé et Néba.

La montre de David Ugolini affiche 9 h 30 lorsqu’il débarque sur l’île de Faayo. Deux autres membres de la Société calédonienne d’ornithologie posent les pieds sur le sable.

Ces amoureux des oiseaux partent en direction de la forêt. Ils se séparent pour identifier les espèces présentes et alimenter l’Atlas de la biodiversité communale de Poum. Bien sûr, ils ont en tête ce que les anciens de la région leur ont raconté. Petits, ils connaissaient le dek-men, le merle des îles calédonien. Cet oiseau était répandu sur la pointe de Tiabet et sur l’île Faayo. Puis, du jour au lendemain, plus rien. Aucune observation dans ces zones.

Les ornithologues amateurs gardent cette information à l’esprit lorsqu’ils entrent dans la forêt sèche. David Ugolini entend un petit passereau. Ah ! Un petit lève queue. Il l’enregistre sur son application. Il écoute une tourterelle verte, une colombine du Pacifique. Et là, tout à coup, il perçoit un cri en mitraillette. « Les oiseaux, je les connais à l’oreille : celui-là, je ne l’avais jamais vu, jamais entendu. »

FACE-À-FACE

Évidemment, il pense immédiatement au dek-men. « Je me dis, il faut garder son sang- froid, il y a peu de chance. » Mais ce chant l’interpelle. Il se manifeste une seconde fois, plus près. Montée d’adrénaline. David Ugolini est peut-être en présence de l’oiseau le plus rare du territoire. Que doit-il faire ? Prendre une photo ? Ses jumelles ? Il choisit de le garder dans son champ de vision pour en avoir le cœur net. Une branche devant lui s’éclaire d’un rayon de soleil. Pouf ! L’oiseau se pose dessus. « Je ne vois pas sa tête, mais son plumage marron chocolat. Il n’y en a pas d’autres qui ont ses caractéristiques. »

Le volatile est à 30-40 mètres. Son bec et ses pattes sont jaune orangé. David Ugolini en est certain. Il a mis la main sur le merle des îles calédonien. Il profite rapidement de l’instant avant d’appeler tout de suite ses collègues. « J’étais en panique avec le téléphone », rit-il. L’oiseau s’envole.

Les richesses de Poum recensées

L ’Atlas de la biodiversité communale vise
à mieux connaître, faire connaître et protéger la biodiversité qui fait la richesse de Poum. La démarche de l’ABC consiste à réaliser un inventaire de la faune, de la flore et des milieux, sur terre comme en mer.

 

Les membres de la SCO changent leur objectif pour la journée : faire la chasse au dek-men afin de ramener la preuve de son existence ici. « On a parcouru l’île et on a observé deux groupes de trois oiseaux. On en a vu au moins 12 différents. » La joie l’envahit.

OISEAU DE BON AUGURE

Les îles de Yandé et Néba étaient jusqu’à présent considérées comme étant les seuls et derniers refuges des quelque 50 à 80 couples reproducteurs. « Cet oiseau est vu très régulièrement là-bas, mais il n’y avait eu aucune observation rapportée ailleurs que sur ces deux îles », souligne le président de la SCO.

Des prospections réalisées en 2005, 2013 et 2014 pour le rechercher dans les forêts côtières de la Grande Terre et des îles du nord ont toutes été infructueuses. « Une nouvelle population observée sur une île différente, ça permet de ne pas placer tous les œufs dans le même panier. » On ne sait jamais ce qu’il peut arriver.

Espèces disparues ou éteintes ?

Il existe des espèces qui n’ont pas été observées depuis plus d’un siècle et qui ne sont toujours pas classées éteintes.
« La redécouverte d’espèces comme le lori à diadème, l’egothèle calédonien ou le râle de Lafresnaye constituerait des événements majeurs », indique Isabelle Jollit, ornithologue. C’est pourquoi il est primordial de lutter contre les feux qui détruisent « irrémédiablement les habitats des oiseaux » et contre leurs prédateurs (chats, rats, etc.).

 

Il y a quelques années, un incendie s’était déclaré à Néba, faisant trembler les ornithologues. Qui dit forêt partie en fumée, dit disparition d’un habitat et d’une population. « Heureusement, les forêts littorales n’ont pas brûlé, mais il y a un autre problème sur cette île : c’est la présence des cerfs. Ils ravagent le sous-bois et le dek-men a tendance à se réfugier au sol. »

L’avoir repéré à Faayo mais aussi à Yava est donc une excellente nouvelle. Les deux îles sont les plus proches de la Grande Terre. Cette découverte redonne de l’espoir. Le merle des îles est bien passé inaperçu jusqu’à ce jour sur des îlots régulièrement fréquentés par les populations locales et même prospectés par les scientifiques. Il est si discret, si furtif, qu’il cohabite peut-être avec nous. Ouvrons l’œil…

Edwige Blanchon