« Réhabiliter des quartiers en voie de ghettoïsation »

Après des années de construction effrénée, la politique du logement social prend une autre direction. Celle de la réhabilitation face à un parc vieillissant. Mais aussi de l’aide à l’insertion et du soutien à l’activité commerciale. Le point avec Philippe Blaise, premier vice-président de la province Sud.

♦ « Un modèle à bout de souffle »

Le constat est partagé. Il est temps d’arrêter de construire à tour de bras. La demande n’est plus la même, notamment pour des raisons démographiques. « Le modèle est complètement à bout de souffle, il n’est plus soutenable », affirme Philippe Blaise. D’autant que nombre des projets qui ont été réalisés n’étaient pas équilibrés financièrement. « Ils perdaient de l’argent et ne permettaient pas de financer les rénovations. » Conséquence, des résidences vieillissantes et délabrées, avec des bailleurs confrontés à un phénomène de vacance de logements et de perte de revenus.

♦ Changement de stratégie

Une nouvelle stratégie a été mise en place depuis environ un an, indique Philippe Blaise. Mettre l’ensemble des partenaires (province, communes, opérateurs sociaux et associations de quartier) autour de la table pour développer une démarche adaptée, c’est-à-dire moins construire et réhabiliter « des quartiers qui sont en voie de ghettoïsation ». La province a décidé de ne plus apporter sa garantie à des opérations « qui ne remplissent pas des critères financiers d’équilibre, ne répondent pas à des normes de qualité ou n’ont pas été acceptées par les communes et les populations locales. On n’est plus dans une logique de confrontation, mais de coopération. »

♦ Rénover et sécuriser

Cette approche est inscrite dans le plan provincial du logement et de l’habitat que les élus doivent valider lors de l’assemblée du 31 mars. « Il s’agit d’une feuille de route. L’idée, c’est de sortir du quantitatif pour faire du qualitatif. Mais, sans l’aide de l’État, on ne peut pas y arriver. » Car pour mener à bien cette vaste réhabilitation, d’importants fonds sont nécessaires. Il s’agira de bien négocier la prochaine génération de contrats de développement.

Cela se traduit aussi par la mise en place de l’opération Habile – Habitat tranquille dans quatre quartiers prioritaires : Magenta Tours, Montravel et Tindu à Nouméa et Takutea à Dumbéa. « On crée des projets avec la mairie, le bailleur et les associations référentes et on essaye de voir ce qui a du sens en termes de travaux pour redonner de la sécurité et de la sérénité. »

♦ Insertion et activité

Il s’agit d’un volet essentiel, considère Philippe Blaise. « Il faut permettre aux gens qui sont éloignés de l’emploi de retrouver un petit boulot puis de démontrer qu’ils sont employables. Sans travail, il n’y a ni autonomie ni résorption des inégalités. » D’où le lancement, en février, aux Tours, d’un chantier d’insertion encadré par Active, en lien avec l’association Mieux Vivre à Magenta Tours. « C’est une action pilote. Il est indispensable d’avoir des associations référentes sur place pour avoir la participation et le soutien de la population. »

Autre élément essentiel : le tissu commercial. « Il faut faire revenir de l’activité », insiste Philippe Blaise. La province a donc décidé de traiter les quartiers prioritaires au même titre que des zones rurales éloignées lors de l’attribution de subventions. « Dorénavant, on va soutenir un commerce qui veut s’installer à Tindu, à Montravel ou à Takutea, comme s’il s’établissait en Brousse. » Un système de « boutique partagée » pourrait également voir le jour à destination des artisans qui ont peu de moyens. « Cela permettrait d’héberger des artisans et de redonner de la vie dans ces quartiers. »

♦ En Brousse

L’offre de logements sociaux en Brousse devrait aussi être augmentée afin de répondre à la demande, notamment sur les territoires où se développe l’activité, comme Boulouparis, La Foa et Bourail. « La province porte une stratégie de développement des communes de l’intérieur avec des aides à l’acquisition de maisons clé en main, un programme qui mériterait d’être étendu. » Il existe aussi un dispositif d’aide à la rénovation destiné à ceux qui n’ont pas les moyens d’emprunter.

 


200

Après un objectif de 1 000 logements sociaux par an, les besoins en construction sont évalués aujourd’hui à 200, voir 250.

 

Et la mixité ?

« Ceux qui en parlent ne sont pas ceux qui la vivent, glisse Philippe Blaise. Aujourd’hui, on gère l’héritage du passé. On a fait beaucoup de logement social trop concentré. Par exemple, à Takutea, on a mis au même endroit 80 % de la population ayant des conditions sociales difficiles. On n’a pas pratiqué la mixité. Mais, ce n’est pas ça le problème. Aux Villages de Magenta, logements sociaux et intermédiaires se côtoient et ça ne fonctionne pas très bien parce qu’il y a des familles bien insérées et d’autres en grave difficulté, ce qui crée des clashs. Je crois qu’on a surtout besoin d’encadrement social, c’est pour ça qu’on parle d’un plan provincial du logement et de l’habitat parce qu’au-delà du logement, c’est tout un tissu social qu’il faut soutenir, notamment les associations, aider les gens à retrouver du travail, etc. »

 

Anne-Claire Pophillat (Archives DNC/A.-C.P.)