[DOSSIER] « Dans les familles, on savait, mais il ne fallait pas en parler »

De gauche à droite, Juanita Trigalleau-Gouraud, Marlène Theuil et Dominique Mercier. © J.-B.V.-D.

Dominique Mercier et Marlène Theuil descendent chacune directement d’un des 12 bagnards mis en avant dans l’exposition Descendants de l’Iphigénie. Elles racontent comment elles ont appris leur ascendance.

C’est par hasard que Dominique Mercier a découvert que son arrière-arrière-grand-père, Adrien Pierre Bonnardot, était un ancien bagnard. « Huit ans de sa vie » ont été occultés par sa famille. L’histoire de cet aïeul n’est connue qu’à partir du moment où il a fini de purger sa peine. « On n’en parlait pas. Il ne fallait pas en parler. Son histoire était un peu enjolivée. Certains m’ont dit qu’ils s’étaient trompés, d’autres qu’il avait été réhabilité, mais on ne m’a jamais parlé de peine », poursuit-elle.

Ce n’est qu’en participant à une conférence donnée par Louis-José Barbançon sur l’Iphigénie que Dominique Mercier comprend ses véritables origines. Lorsque l’historien cite au hasard des noms de condamnés, « le premier qui sort est celui d’Adrien Pierre Bonnardot, je me suis dit : “Mais c’est le nom de cet arrière-arrière-grand-père dont on ne nous parlait jamais” ». La Calédonienne se heurte à un mur quand elle essaye d’en apprendre davantage auprès de sa mère. Sa réponse ne laisse pas place au dialogue. « “Laissez les morts tranquilles”, terminé, fin de la discussion », rapporte-t-elle.

Adrien Pierre Bonnardot embarque sur l’Iphigénie le 5 janvier 1864. © Collection Mercier

Elle apprend la véritable histoire de son aïeul par le biais des Archives de Nouvelle-Calédonie et celles des Outre-mer. Petit à petit, elle retrace sa vie, retrouve des photos « dans les malles des grands-mères ». Des photos dont on cachait l’existence, mais qui « étaient là depuis bien longtemps », précise Juanita Trigalleau-Gouraud, membre de l’association et amie de Dominique Mercier.

Son parcours est aujourd’hui mieux connu. Condamné le 27 avril 1859 à huit ans de travaux forcés pour vol par effraction d’une maison habitée, il arrive en Nouvelle-Calédonie en mai 1864. Il est réhabilité le 8 octobre 1887. « Désormais, on en parle entre nous. » Une parole libérée pour certains, mais pas pour tous. « On ne nomme pas tous les descendants pendant l’exposition, il y a encore des réticences. On parle juste d’Adrien Pierre Bonnardot et de ses huit enfants. »

« Ce n’était que des non-dits »

L’expérience est similaire pour Marlène Theuil. Elle connaissait ses origines liées au bagne par son aïeul maternel, surveillant militaire. En 2014, elle reçoit un appel d’Yves Mermoud, président de l’association, qui lui demande de témoigner lors d’une journée des descendants du bagne. « Quand on parle d’eux, on englobe les surveillants, le personnel de l’administration pénitentiaire, etc. Je pensais donc qu’il parlait de mon ancêtre Buteri, ce surveillant militaire. » Mais en fait, Yves Mermoud lui parle de « Pierre Theuil, matricule 247, premier convoi ».

Surprise, elle interroge son père sur la manière dont sa famille est arrivée en Nouvelle-Calédonie. Celui-ci lui répond vaguement « Oh… Peut-être par le bagne ». Il aura aussi fallu à Marlène Theuil plus de 40 ans pour apprendre la vérité sur ses origines.

Condamné à 15 ans de prison pour vol avec effraction d’une maison de maître, Pierre Theuil est agriculteur de métier. Après avoir purgé sa peine, il obtient une concession à Bourail et rachète le terrain d’à côté. « Puis il a fait son petit bonhomme de chemin. Tous ses enfants vont migrer vers les Nouvelles- Hébrides. Mon père reviendra avec ma grand-mère et sa sœur. » À nouveau, le sujet n’est pas abordé en famille. En apprenant la nouvelle, sa cousine fond en larmes, émue, et lui dit « on sait d’où on vient ».

Perpétuer la mémoire pour ne pas oublier ses origines. Selon Marlène Theuil, l’histoire de ces bagnards doit aussi être transmise parce qu’ils ont fait partie intégrante de « la construction de la Nouvelle-Calédonie ».

Jean-Baptiste Vallantin-Dulac