Quel impact des rats sur la biodiversité ?

Présents dans le monde entier, les rats sont parmi les espèces les plus invasives. Mais quel est son impact sur la biodiversité calédonienne, reconnue comme une des plus riches au monde ? Une thèse vient d’être réalisée en province Nord, mais de nombreuses questions restent en suspens.
La Nouvelle-Calédonie est un hot spot mondial de la biodiversité. On le répète suffisamment mais a-t-on seulement une petite idée de comment se porte notre biodiversité ? Les connaissances restent très parcellaires et se constituent au gré des études, de la curiosité des chercheurs mais aussi et surtout des crédits alloués par les collectivités et autres financeurs. C’est en partenariat avec Dayu Biik, l’association cogestionnaire de la réserve du mont Panié, et avec le financement de la province Nord que Quiterie Duron a mené sa thèse sur l’impact des rats invasifs sur la biodiversité native dans les forêts denses humides.
En termes de documentation, on ne peut pas dire que le territoire regorge d’études sur la question. Dans la bibliographie, la jeune thésarde a trouvé quelques travaux réalisés au parc de la rivière Bleue, afin de voir si le rat avait un impact sur le cagou, et aux Loyauté, cherchant à mesurer leur impact sur les perruches. À cette occasion, les chercheurs se sont aperçus que les rats consommaient également des œufs de tortue. D’autres travaux non publiés ont par ailleurs été réalisés mais il est bien difficile, comme l’explique Quiterie Duron, de se faire une idée précise des différentes pressions qui existent sur les nombreuses espèces endémiques qui peuplent le territoire.

Une pression sur les squamates
C’était une des questions que s’était posée la biologiste naturaliste même si pour avoir une réponse plus complète, un plan de gestion devra être mis en place. L’étude a tout d’abord porté sur le régime alimentaire des deux espèces de rats présentes au mont Panié, rat noir et rat du Pacifique, assez différentes tant par leur taille, que leur comportement.
Si les deux sont omnivores avec un régime à base de végétaux, d’invertébrés (insectes ou encore escargots) et de squamates (scinques et geckos), le rat noir est davantage végétarien. La chercheuse a néanmoins constaté que sur les 15 espèces de squamates présentes sur cette zone du mont Panié, 10 faisaient partie du régime alimentaire des rats dont cinq sont consommées par les deux espèces. La question d’un renforcement de la pression de prédation se pose donc.
L’étude a également cherché à voir si les oiseaux étaient impactés. Du fait du faible nombre de nids d’oiseaux dans les forêts calédoniennes, il a été décidé d’utiliser des nids artificiels avec trois types d’œufs (de poule, de caille et de passereau). Les observations ont montré que les rats ne s’intéressaient pas à ces œufs. Un résultat qui peut être sujet à discussion de par la méthodologie, mais aussi du fait que le rat est un prédateur bien connu d’oiseaux, et notamment marins (lire par ailleurs).
Point « moins négatif », venant contrebalancer
la pression qu’exercent les rats au travers de leur interaction avec la faune et la flore, les rongeurs disséminent des graines d’espèces végétales natives. Pas de quoi s’emballer tout de même puisque après avoir comparé les germinations après digestion, il s’avère que peu de graines sortent intactes et la moitié parviennent à germer, sans compter que le rat se déplace relativement peu. On est donc bien loin des qualités de dispersion de la roussette ou du notou.

Mettre en place des plans de gestion
« Dans un milieu où des espèces natives ont disparu, les espèces invasives replacent parfois certaines espèces et servent de substitut écologique », note Quiterie Duron. Le rat du Pacifique ayant été introduit il y a près de 3 500 ans par les Austronésiens et le rat noir il y a près de 150 ans, la chercheuse estime que les impacts ont donc déjà dû se produire il y a bien longtemps. Finalement, la seule façon de mesurer l’impact des rongeurs sur la biodiversité serait de procéder à une action de contrôle de la population des rats, comme prévu à l’origine.
Ces contrôles ne sont toutefois pas anodins. Ils coûtent cher, nécessitent de la main-d’œuvre dans des zones et doivent être réalisés dans la durée pour être efficaces, avec un piégeage continu, par exemple. Sur des territoires aussi grands que la Nouvelle-Calédonie, l’éradication est très difficilement envisageable. Cela n’a pas empêché la Nouvelle-Zélande d’annoncer fin juillet qu’elle se donnait jusqu’à 2050 pour éradiquer l’ensemble des prédateurs invasifs, comme le rat ainsi que l’opossum ou encore l’hermine (lire par ailleurs).
Avant d’éradiquer rats, cerfs ou autre cochons sauvages, la Nouvelle-Calédonie pourrait mettre davantage de moyens dans l’étude de ces animaux invasifs, de leur impact et dans la mise en place de plans de contrôle et de gestion avec des suivis. Des travaux et des dispositifs coûteux qui sont au prix de la préservation de notre biodiversité.
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Éradiquer ou contrôler ?
On parle beaucoup d’éradication mais concrètement, sur des zones étendues, cette éradication est très peu probable, à défaut de pouvoir contrôler les frontières entre zones contrôlées et non contrôlées. C’est toutefois le cas sur les îlots ou encore les presqu’îles. Près de 447 éradications ont été réalisées à travers le monde entier. La Société calédonienne d’ornithologie en a réussi une, en 2008, sur deux îlots au large de Koumac. Trois ans plus tard, les ornithologues ont constaté la reprise des colonies et ont même observé certaines espèces qui n’étaient pas présentes jusque-là. Des observations qu’a également pu faire Matthieu Le Corre, professeur à l’université de La Réunion et spécialiste des oiseaux marins, membre du jury de la thèse de Quiterie Duron.
À l’occasion d’une conférence, il a notamment présenté les pressions qu’exercent les différentes espèces invasives comme le rat, le chat haret (sauvage) mais aussi l’homme. L’homme pourrait d’ailleurs être prochainement à l’origine d’un essai de translocation d’une colonie qui laisserait place à la mine. En gros, cela consiste à prendre les jeunes oiseaux marins et à les placer dans leur nouvelle colonie. Les premières années de la vie des oiseaux marins se passant en mer, on ne connaît généralement le résultat de l’opération que des années après. Si la mine est à l’origine de ce projet, la translocation est également utilisée dans certains endroits pour éviter les prédateurs.
Si la capture ou la chasse permettent très difficilement d’éradiquer des espèces invasives sur des grands espaces, des chercheurs ont d’ores et déjà développé d’autres techniques qui font certes encore un peu peur, mais pourraient représenter au moins une partie de la solution à l’avenir. En modifiant génétiquement des rats notamment, des expériences ont permis d’obtenir uniquement des mâles ou des femelles. Si aucun test n’a été réalisé, on peut imaginer que les populations finissent par s’éteindre d’elles- mêmes.