Que faut-il faire pour changer les pratiques ?

 

Les moyens mis en œuvre

♦ Protege : 30 millions de francs pour l’agroforesterie

L’Union européenne a apporté un financement de 15 millions de francs sur cinq ans à l’agroforesterie en Nouvelle-Calédonie via le dispositif Protege et la Chambre d’agriculture et de la pêche. Cette enveloppe a permis de créer un réseau de 15 parcelles d’expérimentation réparties dans les trois provinces, qui sont le lieu de formation des candidats à l’agroforesterie. Les fonds financent aussi l’accompagnement individuel et l’investissement matériel.

Protege a attribué 15 autres millions de francs pour l’agroforesterie en élevage à la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

♦ Province Sud : 23 millions de plus

Pour soutenir le développement de l’agroforesterie, la province a lancé un appel à projets destiné à créer 25 parcelles « de 0,5 à 10 hectares » et à planter 11 000 arbres. Éleveurs et maraîchers ont jusqu’au 31 mars pour postuler à la première vague de financements provinciaux, qui s’élèveront au total à 23 millions de francs.

Nicolas Pebay, chef de la Direction du développement durable des territoires, a bon espoir de voir les candidatures affluer. « C’est une vision de l’agriculture qui est en train de prendre. Il y a une volonté de réduire l’empreinte environne-mentale qui rejoint celle de la province. »

♦ Agence rurale : 1,5 milliard pour le climat

Les actions « directes et indirectes » en faveur de l’agriculture face au changement climatique représentent une enveloppe de 1,5 milliard de francs, indique l’Agence rurale : amélioration des compétences techniques, gestion des sols et fertilisation (notamment avec des aides à l’achat d’engrais organiques, de semences agréées en agriculture biologique ainsi que d’espèces destinées à l’agroforesterie), protection des cultures (réduction de l’utilisation de pesticides chimiques, aides à l’achat de moyens de lutte biologique), alimentation animale (favoriser les aliments bio), etc.

 


François Japiot, responsable du pôle végétal à la Chambre d’agriculture

« Il faut des meneurs parmi les agriculteurs »

 

DNC : Quels espoirs peut-on placer en l’agroforesterie ?

François Japiot : Si on parle d’adaptation au changement climatique, c’est la meilleure solution d’un point de vue technique, il n’y a pas photo. Les arbres limitent l’érosion. Ils apportent un ombrage qui permet de réguler la température des cultures. Le mûrissement est plus lent, les produits sont meilleurs, les plantes produisent plus longtemps.

Où se situent les difficultés techniques ?

Pour de petites surfaces, sans recours aux machines, l’agroforesterie peut rencontrer beaucoup de succès. Je pense notamment au café sous ombrage, sur la côte Est. Mais les volumes resteront limités. Si l’on veut être autosuffisant, il faut penser à des modèles plus productifs. C’est là que se situe le plus grand enjeu. Concernant les grandes cultures, il faut repenser l’aménagement parcellaire pour à une agroforesterie qui a recours aux machines, chez les céréaliculteurs de la côte Ouest par exemple.

Que faut-il faire pour convaincre les agriculteurs réticents ?

Les changements, ce sont les agriculteurs qui les apportent. Il faut des meneurs parmi eux, des gens reconnus qui parviennent à convaincre grâce à leurs résultats. C’est le plus important. Ensuite, aux convaincus, il faut fournir un accompagnement technique très efficace. Enfin, il faut un soutien financier pour aider les agriculteurs pendant la période de transition, où la production et les revenus sont plus faibles.

 


Ce qu’ils en pensent

 

Quatre acteurs du secteur de l’agriculture donnent leur vision et des pistes qui permettraient d’être à la fois davantage résilient face aux conséquences du changement climatique, mais aussi de contribuer à l’atténuer.

 

Adolphe Digoué, membre du gouvernement en charge de l’agriculture

« On a besoin de jeunes qui s’installent »

« Si on ne s’interroge pas sur notre modèle, on va à l’échec. On s’est lancé dans l’agriculture intensive dans les années 1970 et on en voit aujourd’hui les limites. On prend le chemin inverse. Il ne s’agit pas de faire une révolution, mais d’accompagner l’adaptation au changement climatique. Les agriculteurs sont conscients des enjeux, personne n’est contre le changement. La question, c’est comment multiplier les initiatives intéressantes ? Sur les terres coutumières, par exemple, on a besoin de jeunes qui s’installent, avec leur motivation, leurs convictions. Il faut leur trouver du foncier. Ensuite, il faut organiser l’écoulement des produits issus de ces petites exploitations. Pour la viande et les pommes de terre, l’Ocef structure la filière. Dans les autres filières, pourquoi ne pourrait-on pas imaginer la même chose ? Quelle que soit la façon, si l’on réussit, on s’attaquera à la fois à la sécurité et à la transition alimentaire. »

 

Pauline Baudhuin, chargée de suivi opérationnel à la Chambre d’agriculture et de la pêche

« Mettre en place des filières »

« Le changement climatique a des conséquences directes sur l’activité des agriculteurs : chaleur, sécheresse, pluies intenses, vents renforcés… Tout cela engendre des difficultés pour rentrer sur les parcelles quand elles sont inondées, peut favoriser l’apparition de nouveaux ravageurs ou de nouvelles maladies et changer les conditions de production avec des cycles de culture plus longs ou plus courts. Les agriculteurs sont donc contraints de faire évoluer leurs pratiques. On travaille avec eux à lever les freins qui les en empêchent. On dépend beaucoup de l’extérieur pour les semences, les intrants, l’alimentation animale. Alors on essaie de mettre en place des formations, des filières de production locale et de diversifier les sources d’alimentation animale. Au niveau de l’élevage, on peut avoir des pâturages tournants dynamiques, avec un nombre d’animaux adapté et des rotations plus fréquentes au gré de la pousse de l’herbe, mais aussi des couverts végétaux pour lutter contre l’érosion des sols. Ce mouvement, à la marge au début, l’est de moins en moins, des agriculteurs ont commencé à essayer des choses et en parlent autour d’eux. On est partisans de ces démonstrations de terrain qui sont le meilleur moyen d’inciter les autres à changer. Après, il manque un plan climat à l’échelle du pays, une stratégie globale. »

 

Franck Soury-Lavergne, président de l’association Bio Calédonia

« Il nous faut un plan à long terme »

« C’est une question vitale. Je suis persuadé que si l’on ne prépare pas l’évolution des pratiques, on la subira par la force du changement climatique. Mais en agriculture, les changements ne se décrètent jamais. Nous sommes des chefs d’entreprise, nous devons être sûrs de ne pas nous casser la figure. Mais attention, les chèques ne règlent pas tout. Au-delà des aides financières, l’important est de montrer des exemples de réussite et c’est ce que Protege parvient à faire en agroforesterie. Les fermes de démonstration sont une vitrine des résultats de ceux qui ont osé se lancer, elles prouvent que c’est possible. Et puisque les évolutions sont très longues, je pense vraiment qu’il nous faut un plan de développement à moyen terme, à long terme, avec un vrai portage de la part des institutions. »

 

Théau Gontard, chargé de mission transition agroécologique et pêche à l’Agence rurale

« Cultiver des plantes comestibles locales »

« L’agriculture est fortement liée au changement climatique. Elle contribue à l’émission de gaz à effet de serre, elle en subit les conséquences avec l’intensification des phénomènes extrêmes, la fragilisation des sols et les pertes de rendement, mais elle peut aussi l’atténuer grâce au recours à l’agroforesterie, à la réduction des intrants chimiques ou encore en favorisant les circuits courts. L’Agence rurale donne des aides à l’achat de semences et d’engrais organiques biologiques, à la reconversion, etc. L’institution mène également un projet de développement d’une filière de plantes comestibles locales (chou kanak, basel, embrevade) adaptées au climat. Nous devons changer notre façon de consommer, qui est de type européen avec des produits saisonniers (salade, tomate), que nous arrivons de moins en moins à produire. On a déterminé 50 plantes consommables qui peuvent entrer dans l’assiette des Calédoniens. Nous avons un gros travail à réaliser pour les faire connaître, montrer comment les cuisiner et leurs bénéfices pour la santé. Je pense aussi qu’il manque une stratégie claire de développement de l’agriculture calédonienne de demain. »

 


Cinq milliards de subventions

En 2020, « l’agriculture et les territoires ruraux » ont été subventionnés à hauteur de cinq milliards de francs, dont quatre apportés par la Nouvelle-Calédonie. Le premier poste de dépense est « le soutien des prix et la réduction des coûts » (1,9 milliard) qui comprend, par exemple, les aides à l’achat d’engrais et de carburant, devant la « gestion des aléas de production » (un milliard). Le chiffre d’affaires de la filière s’est élevé à 13,7 milliards de francs.

 


Dégâts : 600 millions en trois mois

Près de 1 000 déclarations de sinistres ont été enregistrées par la Caisse d’assurances mutuelles agricoles (Cama) depuis le mois de décembre. « La saison des pluies est catastrophique », estime Jean-Claude Condoya, président de la Cama, qui s’attend à des indemnisations d’environ 600 millions de francs.

 

Gilles Caprais et Anne-Claire Pophillat (© Archives DNC/G.C. et C.M., CAPNC et A.-C.P.)