La Villa Cachée expose jusqu’au 30 juillet une collection de poteries papoues, issues principalement de la vallée du Sepik, le plus long cours d’eau de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Lors d’une conférence, Dominique Barbe, historien de l’art océanien, a décrit la provenance, l’usage et la symbolique de ces pièces du XXe siècle.
La teinte grisée et irrégulière qui par endroits les recouvre, atteste de leur usage dans les familles, les villages. Comme le temps, le feu a laissé ses marques. Il a servi à les cuire, à chauffer leur contenu, de la nourriture ou une potion. Difficile désormais de déceler la couleur originelle de l’argile qui les compose ou des pigments naturels qui ont servi à les colorer. Mais ces poteries gardent de leur superbe. Isabelle Demarcq, gérante de la Villa Cachée, est à l’origine de cette exposition de pièces rassemblées par son ex-mari, le collectionneur Didier Zanette, sur le terrain papou pendant plus de 20 ans. Elle souhaitait faire connaître ce pan de l’art océanien.
Dans les ouvrages ou les collections de la région ‒ extrêmement productrice ‒ la poterie est le parent pauvre. « Il y a beaucoup de bois, de sculptures, des masques, des lances, des massues, des boucliers, des choses assez fortes, plutôt masculines, explique-t-elle. Avec la poterie, on va du côté féminin avec de la rondeur, un peu de fragilité mais avec des objets qui résistent dans le temps et puis qui nourrissent… Pour moi, ce sont des objets formidables. »
ANCESTRAL
En Papouasie-Nouvelle-Guinée où les activités sont très genrées, la poterie est principalement une affaire de femmes. En tout cas la réalisation même des objets, puisque les hommes, davantage sculpteurs, se réservent la partie décoration. C’est aussi la raison pour laquelle cet art est moins documenté, selon l’historien Dominique Barbe. « Les anthropologues et les ethnologues étaient le plus souvent des hommes et ils ont eu essentiellement accès au travail des hommes. Ce n’est pas fortuit si le gros ouvrage de référence sur la poterie papoue a été réalisé par deux ethnologues femmes [Patricia May et Margaret Tuckson, The traditional Pottery of Papua New Guinea, Kensington, NSW 1982] » Des femmes donc, qui réalisent depuis des siècles des objets avec une technique et des motifs qui n’ont quasiment pas évolué. « On a des styles de poterie que l’on retrouve sur des siècles par endroits. On distingue la même symbolique des esprits, de la nature, des animaux totémiques qui protègent. » Les objets présentés, datés du XXe siècle, peuvent être considérés comme étant modernes mais les techniques sont traditionnelles.
massifs. S’ils n’ont plus aucune utilité, ils font partie du patrimoine familial.
Les érudits comme Dominique Barbe, peuvent deviner leur provenance : la vallée du Sepik, grande voie fluviale, et les montagnes au nord du fleuve jusqu’au golfe de Papouasie. Des zones marécageuses où l’on trouve aisément de l’argile rouge, blanche ou noire. « Je peux quasiment suivre l’itinéraire du collectionneur. Il n’y a que quelques centres potiers dans le pays. Et souvenons-nous que le copyright en art a été inventé par les Océaniens. C’est-à- dire qu’un groupe ne peut pas faire les mêmes motifs, ni les mêmes techniques que le groupe d’à côté. » Pratique pour les historiens ! Dans ces régions, les poteries sont montées en colombin (lire ci-contre), technique utilisée par les peuples depuis la Préhistoire. Celle en battoir est davantage utilisée en Papouasie indonésienne. Dominique Barbe a observé, dans cette zone du Sepik, des similitudes avec les poteries austronésiennes, c’est-à-dire des Lapitas, quand d’autres du lac Chambri ont probablement été influencées par les Moluquois (îles des Moluques, Indonésie). « Ils ont dû apprendre aux Papous à faire de la poterie : les techniques sont les mêmes. Derrière ces pièces, on arrive à voir des échanges extrêmement anciens. »
POUVOIR ET PRESTIGE
Pour les Papous, la poterie n’est pas indispensable dans la mesure où ils ont toujours cuit leurs aliments à même le feu ou dans des fours sous terre et mangé dans des feuilles ou des plats en bois. « La poterie vient en plus », résume l’historien. Mais son usage est avéré pour la cuisson (avec une forme qui lui permet d’être directement plantée dans le foyer) ou pour manger les plats à base de sagou. Beaucoup peuvent aussi servir durant les cérémonies. Selon Dominique Barbe, la poterie « est un élément extrêmement symbolique, quasiment un élément de pouvoir » dans ces zones. Pouvoir qui peut s’exercer géographiquement autour du fleuve permettant les échanges à proximité. On les retrouve généralement dans un rayon de 40 km autour du centre potier, et jusqu’à 180 km. Habitués à vendre et à échanger ces objets, les Papous ont pu aisément les fournir aux Européens contre des objets manufacturés, gages, là aussi, de richesse.
L’historien évoque par ailleurs un rapport très fort avec la mort, le religieux, la magie. « Comme à l’époque Lapita, on retrouve des poteries dans les caves funéraires papoues. Les Iatmul et Sawos surmodèlent aussi les crânes. Des légendes racontent que le premier crâne surmodelé est un crane jeté dans un marécage. On l’a retrouvé et il est recouvert de terre, c’était une poterie. » La diffusion de la ferraillerie et du plastique a eu raison des usages au quotidien, mais les plus belles pièces sont conservées par les Papous. On en trouve dans les maisons ou dans les églises. Le caractère symbolique et sacré demeure. Encore mieux, l’art ancestral se perpétue : les potières (maîtres-potiers) transmettent toujours leur travail aux plus jeunes. D’autres centres renommés sont encore actifs dans la région, sur la côte ouest de l’île de Santo au Vanuatu, ou encore à Fidji. Là encore entre les mains des femmes.
Chloé Maingourd
Po (è) terie du quotidien : jusqu’au 30 juillet à la galerie de la Villa Cachée – 27 boulevard Extérieur, (dans le prolongement de la route de l’Anse-Vata), Nouméa.
La technique du colombin
C’est une technique ancestrale assez difficile. On extrait l’argile ou les argiles, on bat ensuite la terre pour en extraire les impuretés (les petits cailloux, le sable), opération qui peut prendre plusieurs heures. Ensuite, la terre est mise à sécher, opération très délicate : si l’argile est trop humide, le pot va s’effondrer. Pour monter son pot, la base de la terre est placée le plus souvent sur un tore. On part du bas, on met les colombins les uns sur les autres. L’argile est montée avec les doigts, puis avec un coquillage (photo p.14) ou un peu de coco qui permet de la lisser. Le pot ne doit pas être pas trop épais pour éviter qu’il craque au feu. L’objet va sécher durant trois jours, puis la femme ou l’homme interviendra pour le graver : il sera ensuite mis à cuire en meule sur un bout de bois, pas trop fort, durant une demi-heure. Vient enfin, la peinture réalisée par un homme.