Plongée dans l’incertitude pour le tourisme

La crise du Covid-19 paralyse les déplacements internationaux et a mis à genoux l’industrie mondiale du tourisme. Même si ce secteur constitue une part relativement faible du produit intérieur brut calédonien, il représente tout de même de nombreux emplois. Les perspectives à moyen, voire long terme, sont plutôt sombres. Reste le tourisme local qui cherche à tirer son épingle du jeu.

Depuis de nombreuses années, le tourisme calédonien cherche à se développer. Les efforts risquent aujourd’hui d’être réduits à néant. La crise du Covid-19 met à genoux l’économie mondiale et pénalise tout particulièrement les déplacements internationaux. Les perspectives en la matière sont plutôt inquiétantes. Les grandes compagnies aériennes tablent, au mieux, sur un retour à la normale d’ici deux à trois ans. Les chiffres publiés par l’Association internationale du transport aérien (IATA) à la mi-avril donne la mesure des pertes. Selon l’association, les recettes des compagnies vont chuter de 55 % en 2020, soit près de 314 milliards de dollars US (plus de 3 450 milliards de nos francs). Une estimation encore moins optimiste que la précédente qui datait du mois de mars.

Plus largement, les experts redoutent un repli du secteur touristique de l’ordre de 60 à 80 % sur l’année. En termes d’emploi, l’Organisation mondiale du tourisme prévoit la mise en danger de 100 à 120 millions d’emplois directs. Globalement, les pertes financières pourraient se chiffrer aux environs de 1 200 milliards de dollars (environ 133 320 milliards de francs). Des chiffres qui donnent le tournis.

L’industrie touristique calédonienne, qui n’est qu’une goutte d’eau, sera tout de même très fortement touchée. D’autant que la reprise pourrait se faire de manière très progressive. S’il ne s’agit encore que d’hypothèses, le trafic aérien ne pourrait retrouver son niveau de 2019 que d’ici une dizaine d’années. La peur du Covid-19 et les mesures de distanciation sociale constituent un véritable défi pour les transporteurs.

La compagnie internationale Aircalin a d’ores et déjà annoncé que son chiffre d’affaires avait chuté de 80 %. Après avoir pris des congés le premier mois, les salariés vont pouvoir bénéficier du chômage partiel. La compagnie intérieure, Air Calédonie, qui a également subi de plein de fouet les conséquences du confinement, a pour sa part pu reprendre un programme de vols normal. Le gouvernement a décidé, le 5 mai, de redonner plus de souplesse à la compagnie domestique en l’autorisant à ne plus soumettre à l’approbation gouvernementale la répercussion du coût de la surcharge carburant et des frais administratifs sur le prix du billet d’avion. Aircal évaluera désormais ses surcoûts chaque semestre et est libre de fixer le montant de ses frais administratifs, en accord avec sa politique tarifaire. La conséquence pourrait être une augmentation du prix des billets.

Pertes abyssales

Les deux compagnies à capitaux publics vont essuyer des pertes abyssales, tout particulièrement Aircalin dont le P-DG a fait savoir qu’elles pourraient se chiffrer à sept à huit milliards de francs. Si aucune annonce n’a encore été faite à ce jour, les réflexions quant à l’avenir de la compagnie et son refinancement ont déjà été engagées. Pour mémoire, Aircalin emploie près de 480 personnes en Nouvelle-Calédonie et affichait un chiffre d’affaires de l’ordre de 19 milliards de francs en 2019. Pour éviter la faillite, les collectivités, à commencer par la Nouvelle- Calédonie qui est l’actionnaire majoritaire (le territoire possède 99 % du capital social), devront mettre la main au porte-monnaie (lire par ailleurs).

Ce n’est pas une simple menace, mais bien une réalité. À travers le monde, les liquidations de compagnies ont d’ores et déjà commencé. Et ce soutien ne saurait s’arrêter à des mesures de chômage partiel. Les coûts fixes d’une compagnie aérienne sont élevés et la trésorerie d’Aircalin, au mois de décembre 2019, était d’environ 10 milliards de francs. Une somme qui permettra de la maintenir à flot pendant quelques mois tout au plus.

Le projet de délibération prévoyant de modifier les obligations contractuelles des agences de voyage et de la compagnie aérienne internationale va dans le sens de préserver ces entreprises. Pour Aircalin, ce sont près de 2,4 milliards de francs qui ont été encaissés pour des billets d’avion actuellement inutilisables. De leur côté, les agences de voyages doivent près de 1,1 milliard de francs, dont une bonne partie est également due par Aircalin.

Trop fragile juridiquement, le projet de délibération a été renvoyé au gouvernement. Ce dernier espère toutefois le représenter très prochainement sous la forme d’une loi du pays aux élus du Congrès. Il ne fait toutefois aucun doute que ce nouveau texte sera attaqué du fait qu’il porte clairement atteinte aux droits des consommateurs. Il n’existe de fait aucune garantie, in fine, que les avoirs soient remboursés, en particulier si les établissements étaient placés en liquidation judiciaire.

Les agences de voyages disposent d’un fonds de garantie de seulement cinq millions de francs et les contrats ne sont pas couverts par les assurances. À noter également qu’on a peu de données sur la situation financière de ces sociétés. Sur les huit agences de voyages que compte le territoire, six n’ont pas déposé leurs comptes au registre du commerce, dont celle de la présidente du syndicat.

L’UFC-Que choisir, fermement opposée à ce projet, s’inquiète notamment que les avoirs ne puissent permettre d’acheter à terme des prestations équivalentes dont les prix auraient flambé. Une crainte appuyée par l’Autorité de la concurrence qui s’est également saisie du dossier et a apporté plusieurs critiques de poids et des recommandations. Reste à savoir si elles seront suivies. En attendant, certains clients ont eu la surprise de recevoir des appels téléphoniques de leur agence leur demandant de venir régler le reste des arrhes de leurs réservations afin de pouvoir bénéficier d’un avoir. Pour l’UFC, les agences de voyages ont accès aux prêts garantis par l’État et ce n’est donc pas aux consommateurs d’assumer les difficultés de trésorerie des entreprises. Selon l’association, ces 3,5 milliards de francs sont autant d’argent qui n’est pas réinjecté dans l’économie et ne contribue donc pas à la relance.

Car dans l’ombre de l’aérien et des agences, c’est toute une frange de l’industrie touristique qui va souffrir et plus particulièrement les acteurs travaillant avec les touristes venant de l’extérieur et en particulier les grands hôtels de l’agglomération nouméenne. En cas de frontières fermées trop longtemps, ils pourraient avoir bien du mal à assurer la pérennité de leur activité. Avant même la crise du coronavirus, globalement, le taux de remplissage était déjà faible.

Plus généralement, selon des chiffres datant de 2007, l’Institut de la statistique et des études économiques évalue les retombées touristiques à près de 32,8 milliards de francs, chiffres qui comprennent le chiffre d’affaires des deux compagnies aériennes (soit 18 milliards de francs pour Aircalin et près de quatre milliards pour Aircal). Autrement dit, hors aérien, les retombées du tourisme représenteraient une dizaine de milliards de francs pour les hôteliers et les prestataires. Ces chiffres comprennent également le poids du tourisme domestique, c’est-à-dire les dépenses des Calédoniens qui voyagent sur le territoire et qui sont de l’ordre de 4,7 milliards de francs (enquête TNS de 2014).

Sauver les acteurs par le tourisme local

L’espoir des responsables politiques réside dans la capacité à dynamiser ce tourisme local, tout au moins pour éviter le pire. La province Sud a présenté, le 7 mai, son plan de relance du tourisme domestique. L’idée de la province est de lancer une grande campagne de communication pour encourager les Calédoniens à découvrir ou redécouvrir le territoire. Mais comme l’a précisé Sonia Backes, la présidente de la province Sud, la plupart des prestataires sont déjà « pleins » pour les trois mois à venir, voire six mois pour les activités les plus en vue. Le peu de prestataires est aujourd’hui l’un des handicaps identifiés lors des Ateliers du tourisme de 2015 qui avaient défini les grandes orientations pour assurer le développement touristique.

Mais force est de constater qu’en cinq ans, le chantier a peu avancé, voire reculé sur certains points. C’est tout particulièrement le cas de la gouvernance. Les Ateliers prévoyaient notamment une gouvernance centralisée, regroupée au sein d’une agence du tourisme, voire d’une direction au sein du gouvernement. On en est aujourd’hui bien loin. La présidente de la province Sud a ainsi expliqué que « la volonté affichée de travailler ensemble était bien hypocrite », dans le sens où la province Nord ne contribue qu’à hauteur de trois millions de francs pour le financement de la promotion touristique à l’international quand la province Sud met près de 490 millions de francs. Pour Sonia Backes, s’il existe un intérêt à défendre conjointement le tourisme à l’extérieur du territoire, les provinces sont « clairement en concurrence. Chacun essaie d’attirer la clientèle sur son territoire ».

Au-delà de savoir qui a tort ou raison, la situation nuit clairement au développement du tourisme en ne permettant pas la mutualisation des moyens publics. De fait, la formation est un enjeu majeur pour la qualité du service, souvent pointée du doigt, tout comme le transport qui n’est pas à proprement parler une compétence provinciale, mais à laquelle les provinces contribuent largement. De manière plus générale, cet antagonisme entre provinces ne devrait pas favoriser l’unité du territoire et contribuera difficilement à « rendre fiers les Calédoniens de leur culture et de leur pays ». La Nouvelle-Calédonie devra très probablement redéfinir sa stratégie touristique en tentant de mettre la politique à son service et non l’inverse.


Plan social chez Aircalin

Aircalin ne baisse pas les bras et envisage cinq scenarii. L’hypothèse privilégiée est une reprise début 2021, mais dans des conditions particulières. Le nombre de sièges sera limité à environ 45 % de la capacité normale. La compagnie a également décidé de suspendre ou supprimer, il est encore trop tôt pour le dire, les lignes sur Osaka et Melbourne pour se concentrer sur Tokyo, Sydney et Brisbane.

L’arrivée des derniers nouveaux avions est également légèrement différée. Les investissements ont été soit reportés soit annulés pour alléger au maximum les charges et les contrats de sous- traitance renégociés. Pour compléter le tableau, la direction prévoit une réduction de 20 % de la masse salariale, soit un milliard de francs. Un effort colossal qui passera par un plan de départs volontaires, la renégociation des conventions collectives et, potentiellement, des licenciements économiques. Les négociations devraient très prochainement commencer pour qu’un accord puisse être trouvé avant la fin de l’année.

En parallèle, l’entreprise va devoir recourir au prêt garanti par l’État pour un montant de 4,8 milliards de francs. L’actionnaire sera également sollicité pour une avance en compte courant (prêt de trésorerie) à hauteur de deux milliards de francs. Dans ces conditions, Aircalin pense pouvoir passer le cap et à condition que le trafic puisse reprendre progressivement avant de retrouver le rythme de 2019 d’ici 2024. Dans le cas contraire, notamment si les frontières devaient rester fermées trop longtemps, Didier Tappero, le PDG, estime que l’actionnaire pourrait être mis à contribution pour sauver l’entreprise de la faillite.


Le Sheraton en bout de course

Sonia Backes l’a évoqué, le Sheraton de Deva vit peut-être ses derniers mois. L’hôtel fait perdre à la province Sud près d’un milliard de francs par an. Un gouffre financier qui est notamment le résultat d’un surdimensionnement, comme le souligne l’actuelle présidente de la collectivité, qui estime que le projet serait rentable avec une soixantaine de chambres. Il en compte 180. Le projet avait été validé en 2010, sous la mandature de Pierre Frogier, et a coûté une vingtaine de milliards de francs, sans compter les pertes d’exploitation épongées par la province. Sonia Backes a annoncé qu’une réflexion était en cours sur l’avenir de l’hôtel dont le taux de remplissage moyen est de l’ordre de 33 %. Des choix devraient être faits d’ici la fin de l’année.


Maintenir une image sur la scène internationale

Nouvelle-Calédonie tourisme point Sud entretient son image de destination touristique au niveau international. « Nous maintenons un minimum de bruit pour ne pas disparaître de la circulation, souligne Julie Laronde, la nouvelle directrice. Nous avons également renforcé notre plateforme de e-learning pour les agents de voyages ». La raison est relativement simple. Selon une étude de l’institut Kantar, six mois sans communication fait perdre 40 % de la notoriété acquise.


Une bulle dans le Pacifique ?

L’Australie et la Nouvelle-Zélande envisagent de créer un corridor permettant à leurs ressortissants de voyager dans ces deux pays peu touchés par le coronavirus. Jacinda Ardern, la Première ministre néo-zélandaise, a indiqué que les travaux pourraient commencer dès que les conditions sanitaires seraient réunies. Cette bulle devrait permettre d’aider à relancer l’économie et donc le tourisme, une source de revenus importante pour la Nouvelle-Zélande ainsi que l’Australie.

L’idée plus générale, selon les Premiers ministres des deux grandes puissances du Pacifique Sud, serait de pouvoir redévelopper un tourisme entre les pays n’étant pas touchés par l’épidémie de Covid-19. Plusieurs territoires français se sont prononcés en faveur de ce projet. La Nouvelle- Calédonie a également fait savoir que la piste était intéressante. Le gouvernement n’a toutefois pas saisi les autorités de santé pour travailler sur la question.

Dans le même temps, les parlementaires calédoniens ont diffusé un communiqué dans lequel ils appelaient à revoir un des paragraphes d’une loi adoptée par l’Assemblée nationale qui pourrait permettre à des ressortissants étrangers de ne pas être placés en quatorzaine, comme le prévoit les dispositifs calédoniens.

Au-delà des tensions autour des compétences de l’État et de la Nouvelle-Calédonie, la situation sanitaire du territoire est autant un atout qu’une difficulté. Le virus n’a semble-t-il pas circulé au sein de la population, ce qui a permis de préserver la santé de la population. En revanche, le fait que le virus n’ait pas circulé place le territoire dans une situation difficile s’il souhaite conserver ce statut. Cela implique de maintenir des confinements stricts à tout nouvel arrivant, ce qui est clairement un obstacle majeur à une reprise du tourisme.


Le tourisme de croisière touché ou coulé ?

AFP via Getty Images

L’industrie de la croisière, qui connaissait ces dernières années une croissance très importante, a connu un coup d’arrêt particulièrement brutal. Plusieurs cas de passagers coincés sur des paquebots n’ayant pas de port disposé à les accueillir a particulièrement marqué
l’opinion, comme l’histoire du Diamond Princess, au Japon, sur lequel était d’ailleurs embarqué un couple de Calédoniens. Les protocoles sanitaires, pourtant déjà très stricts à bord, n’ont pas empêché la transmission du virus, ce qui devrait constituer un défi important pour les faire évoluer en vue de rassurer les futurs passagers. La question des prix va également se poser. Ce sont des tarifs abordables qui avaient permis l’essor de ce tourisme.

La plupart des grandes compagnies, à commencer par Carnival qui possède la marque P&O, se sont déjà lourdement endettées. Le groupe américain a récemment emprunté près de six milliards de dollars pour passer la crise. Une situation qui devrait donner un sérieux coup de frein aux projets pourtant structurants qui étaient prévus au port autonome de la Nouvelle-Calédonie pour accueillir les croisiéristes. Ce sont plusieurs milliards de francs qui étaient engagés dans ces travaux par le port autonome et la mairie de Nouméa. Le gouvernement avait, quant à lui, un projet d’aménagement des quais en village océanien pour un milliard de francs. Autant d’investissements qu’il sera difficile de rentabiliser sans touristes.

M.D.