Planète revisitée : Deux expéditions en novembre

Après avoir étudié les mollusques des grands fonds de l’île des Pins lors de l’expédition Kanacono, les scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle de Paris ont deux nouveaux rendez-vous ce mois- ci en Nouvelle-Calédonie : direction le Grand Sud et la Côte oubliée.

Le Muséum national d’histoire naturelle et l’ONG Pro-Natura International ont lancé en 2016 le programme Planète revisitée en Nouvelle-Calédonie, considérée comme l’un des « points chauds » de la biodiversité planétaire. Le programme impliquera ces deux prochaines années une centaine de chercheurs dans plusieurs missions terrestres et aquatiques d’envergure. L’objectif est de s’intéresser à la biodiversité « négligée » (que l’on connaît mal ou pas), de découvrir de nouvelles espèces, principalement parmi les petits invertébrés (escargots, coquillages, crustacés, insectes, etc.) dans les fonds marins, les forêts ou les eaux douces. La première campagne, Kanacono, s’est déroulée, on s’en souvient, durant trois semaines en août dernier à l’île des Pins. Il s’agissait d’explorer la faune benthique des « petits grands fonds » (entre 100 et 1000 mètres) de la ride de Norfolk. Les recherches ont été fructueuses avec de nombreuses espèces emblématiques collectées, voire mystérieuses… qui se révèleront peut-être nouvelles pour la science.

Les eaux souterraines du Grand Sud à la loupe

La seconde mission concerne le Grand Sud. Basées au parc provincial de la rivière Bleue, des équipes de chercheurs se succèderont durant un mois pour collecter la biodiversité des eaux douces, en particulier les microcrustacés ou encore les microalgues. L’objectif est d’étudier la biodiversité des lacs, des rivières, des creeks, des dolines et des eaux souterraines, en particulier dans la plaine des lacs, classée Ramsar. Il s’agit de la première séquence de l’exploration des eaux douces de la Nouvelle-Calédonie qui se poursuivra dans d’autres hydro-écorégions en province Nord. La particularité de cette expédition réside dans l’étude des eaux souterraines par deux chercheurs hydrogéologues de l’université de Lyon, ces eaux souterraines n’ayant pour ainsi dire jamais été étudiées. Les premiers résultats de la mission seront restitués le 1er décembre à la mairie de Yaté.

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Totale immersion à la Côte oubliée

Concomitamment, seize scientifiques vont passer 20 jours en totale immersion sur deux sites de la Côte oubliée et du milieu de la chaîne. Trois camps vont être installés, à Bwa Bwi, Kwakwé et Ouinné, accessibles uniquement en hélicoptère. Objectif pour eux, réaliser une étude des insectes du sous-bois des forêts du Sud. Des botanistes et des spécialistes des lézards seront également présents pour faire des échantillonnages. La particularité de cette expédition repose cette fois sur l’isolement des lieux, mais aussi et surtout sur la méthode, nouvelle. En plus des recherches classiques, le Muséum va en effet utiliser la métagénomique. Une méthode qui consiste à étudier de manière collective du contenu génétique dans l’environnement : les sols, l’air, etc. prélevés dans la nature pour savoir quels gènes et donc quelles fonctions biologiques existent dans le milieu (ce qui sert in fine à construire des profils génétiques).

La coutume de lancement de la mission Côte oubliée est prévue le vendredi 11 novembre, à la chefferie de Grand Borendy. La restitution au grand public se fera le 2 décembre à la SLN à Thio. Une restitution des deux missions est prévue le 8 décembre au centre administratif de la province Sud.


La Planète revisitée, c’est quoi ?

Au cours des 20 dernières années, les scientifiques ont pris conscience de l’immensité de la biodiversité et de ce qu’il reste à découvrir : entre 8 et 30 millions d’espèces dont probablement beaucoup sont en voie d’extinction : il est estimé que le quart voire la moitié des espèces pourrait disparaître d’ici le milieu ou la fin du siècle. D’où l’enjeu de ces expéditions conduites par le Muséum national d’histoire naturelle et l’ONG Pro-Natura International qui visent à accélérer le processus d’acquisition et de partage des connaissances.

Le programme s’intéresse à ce que l’on appelle la biodiversité « négligée », la biodiversité à laquelle on s’est moins intéressé au fil du temps qui représente pourtant 95 % de la biodiversité et joue un rôle fondamental dans l’équilibre des écosystèmes : les invertébrés marins et terrestres, lézards et autres mollusques, mais aussi les champignons, les mousses… Il se penche aussi sur l’exploration de régions difficiles d’accès et d’habitats mal connus à fort enjeu de gestion et de conservation. L’intérêt est de redonner toute leur place à ces espèces et de favoriser de nouvelles politiques de conservation qui ne soient plus fondées uniquement fondées sur les espèces emblématiques que sont les mammifères ou les oiseaux. Depuis 2006, quatre grandes expéditions ont été menées à Santo, au Mozambique, en Papouasie- Nouvelle-Guinée, en Guyane, impliquant plus de 700 scientifiques ainsi qu’une logistique sans commune mesure.

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Des manques à combler localement

Bien que les données scientifiques déjà acquises en Nouvelle-Calédonie soient importantes, les connaissances « souffrent encore de lacunes importantes », selon le Muséum. Les chercheurs ont donc ciblé les compartiments les moins bien connus de la biodiversité calédonienne, dans des zones géographiques qui présentent également un manque de données dans un contexte où les décideurs sont en demande de nouvelles connaissances (comme la Côte oubliée où il existe un moratoire sur les activités minières). Par ailleurs, sur les données existantes, on note deux « retards » sur les normes scientifiques actuelles : l’absence de données moléculaires (séquences ADN) et numériques (images des animaux vivants, sons) ou encore l’imprécision de leur géolocalisation, indispensable compte tenu du micro-endémisme. C’est pourquoi il a été décidé de réaliser la première exploration des eaux souterraines, la première caractérisation complète de la biodiversité des eaux douces du périmètre Ramsar et d’expérimenter pour la première fois la métagénomique environnementale, cette nouvelle approche de la description de la biodiversité (par l’ADN) utilisée habituellement sur les bactéries et testée ici sur des communautés entières d’insectes.


L’accord de coopération officialisé ce samedi, à Paris

À la veille du XVe Comité des signataires, et en présence des représentants institutionnels, la Maison de la Nouvelle-Calédonie ont acceuilli samedi 5 novembre, la signature d’un premier accord-cadre de coopération entre le Muséum national d’histoire naturelle, les province Sud et Nord et le gouvernement. Cet accord-cadre est le corollaire de la grande expédition La Planète revisitée localement. Le but est d’asseoir « une volonté partagée de mise en commun d’objectifs, de compétences et de savoir-faire pour la connaissance, la protection, la conservation et la promotion du patrimoine naturel exceptionnel de la Nouvelle-Calédonie.

 


Direction le Nord en 2017

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Les zones d’exploration du programme en Nouvelle-Calédonie.

En septembre, une campagne océanique hauturière de 20 jours sera réalisée aux Chesterfield et Bellona ainsi qu’aux récifs Lansdowne-Fairway. À bord de l’Alis, les scientifiques échantillonneront la faune benthique profonde (100 et 1 000 m) tandis qu’une autre équipe installée sur un atelier flottant travaillera sur la faune et la flore côtière par plongées diurnes et nocturnes. Entre septembre et octobre, 40 personnes seront mobilisées sur la zone entre les bouches du Diahot à la passe d’Amos, comprenant le plateau de Balabio et le lagon, jusqu’au récif barrière. Il s’agira cette fois d’échantillonner les petits fonds (0-60 cm) à marée basse, en plongée et par filets en ciblant les invertébrés et les algues.
La dernière opération de 2017 reprendra les principes de l’opération Côte oubliée sur trois sites : le Katalupaik et le Tonine, dans le massif de l’Inedète et le massif de Tchingou. L’objectif est d’établir des comparaisons avec les résultats obtenus en province Sud.

 

C.Maingourd ©MNHN