Philippe Bouchet, insatiable explorateur de la biodiversité calédonienne

L’Alis mouille à Nouméa en attendant son démantèlement. Philippe Bouchet ressentira un pincement au cœur, lui qui a passé, en cumulé, un an et demi de sa vie sur ce navire scientifique « rustique mais très efficace ». / © G.C.

La retraite n’a « rien changé ». Le professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, spécialiste des mollusques, découvreur de 700 espèces, continue de participer aux recherches scientifiques en Nouvelle-Calédonie, son terrain favori depuis 1978.

Vous le trouverez tantôt dans les eaux de la réserve Merlet, à la recherche du mythique Gourmya gourmyi, escargot marin et fossile vivant, tantôt dans les creeks de la côte Ouest. D’ici la fin du mois de juin, cependant, cherchez plutôt du côté des îlots de Poum, théâtre de la Quinzaine des nudibranches. Philippe Bouchet sillonne toujours la Nouvelle-Calédonie, son terrain de jeu privilégié depuis près de 45 ans. « Au début de ma carrière, on se disait que le jour où l’on regarderait ailleurs – au Vanuatu, à Fidji… – ce serait encore plus riche. Eh ben non… La Calédonie reste un endroit exceptionnel. »

Le jeune retraité poursuit ses recherches en tant que bénévole, sous sa casquette de professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), au côté de son épouse, la chercheuse américaine Ellen Strong.

Depuis ses premiers travaux sur les trocas, en 1978 à l’Orstom*, Philippe Bouchet a découvert près de 700 espèces et participé à en révéler « quelques milliers ». Ce palmarès faramineux doit autant à l’inégalée biodiversité calédonienne qu’à son goût pour la systématique, la science de l’inventaire. « C’est le scientifique passionné. Le monde est son laboratoire. Rien ne l’arrête pour faire progresser la connaissance », constate Pascale Joannot, directrice de l’Aquarium des lagons de 1984 à 2000.

UN CONTEUR DE LA SCIENCE

Christophe Chevillon, ancien océanographe de l’IRD, décrit un chercheur « très imaginatif », dont les techniques de collecte ont « ouvert la porte à l’exploration de nouveaux espaces ». Il a notamment emprunté aux pêcheurs philippins le lumun lumun, un filet posé de longs mois sur les fonds marins, souvent chargé d’espèces inconnues à sa remontée.

Le directeur de l’ONG Pew souligne également son sens du partage, qu’il a pu mesurer lors des restitutions publiques des célèbres expéditions de la Planète Revisitée. « Les plus grands spécialistes mondiaux étaient là, devant les scolaires et les gens du coin. Philippe captivait son auditoire, il arrivait à faire de la science un conte. C’était un truc de fou… »

Le charme opère aussi auprès des chercheurs. « C’est un pilier du Muséum, un meneur d’équipe qui sait fédérer 35 personnes et 15 nationalités différentes », salue Pascale Joannot, qui fut sa collègue au MNHN pendant 16 ans. Les mécènes, souvent des multinationales, n’y sont pas insensibles, eux non plus. « Sans eux, on ne pourrait rien faire, c’est clair et net. Philippe fait partie des scientifiques qui l’ont compris. »

PASSIONNÉ « SANS ILLUSION »

Dans le cadre de la Planète Revisitée, qu’il a dirigée pour la partie marine, Philippe Bouchet a ratissé Santo, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Guyane, le Mozambique… « On a fait tous les ans ce que les collègues des autres grands musées rêvent de faire dans une vie. Je ne pouvais pas rêver d’une carrière plus exceptionnelle », résume du haut de ses 70 ans le malacologue, dont les efforts sont encore loin d’avoir épuisé la biodiversité terrestre de Nouvelle- Calédonie. « Tout ce qu’il reste à faire, c’est effrayant… J’aimerais avoir encore deux ans pour étudier les gastéropodes. »

Les massifs miniers promettent monts et merveilles malacologiques. Mais ses mollusques adorés ne pèsent pas lourd face à l’argent du nickel. « Les bêtes que j’étudie sont des invertébrés. Ce ne sont pas des espèces emblématiques comme la baleine, le requin ou le cagou. Quand t’es pas naturaliste, les escargots, ça éclate pas… »

Il espère pour les massifs du Tchingou et du Boulinda un autre sort que celui du Ouazangou, « massacré » malgré ses innombrables espèces micro-endémiques. Entre les Calédoniens et la nature, il voit une relation « d’amour et de haine ». « Tout le monde est fier de la biodiversité… mais à horizon de 100 ans, je suis sans illusion. »

Gilles Caprais

*L’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom), fondé en 1943, est devenu l’Institut de recherche pour le développement (IRD).