Philippe Blaise : « L’indépendance, ce serait la disparition des classes moyennes calédoniennes ! »

L’un des secrétaires généraux des Républicains calédoniens, Philippe Blaise, imagine ce que serait la Nouvelle-Calédonie en cas d’indépendance et preuves à l’appui. Un glissement progressif vers le tiers-monde, une situation dramatique à bien des égards pour l’ensemble des Calédoniens et la disparition progressive des classes moyennes. Démonstration.   

Simple hypothèse de travail : si le référendum de 2018 conduisait à l’indépendance, quelle serait la situation économique et sociale de la Calédonie
plus tard ?

Sortir de la France, et cela pour toujours, aurait des conséquences lourdes pour le quotidien des Calédoniens. On pourrait supposer que tout ne s’arrêterait pas d’un seul coup et que la France se désengagerait progressivement de son soutien financier et technique, sur quelques années.

Mais dès le lendemain d’un oui à l’indépendance, il y aurait des effets immédiats. On le constate déjà maintenant puisque les investissements ralentissent. Quand les gens n’ont plus de garanties sur leur avenir économique et social, sur la valeur de leurs placements ou de leurs biens immobiliers, ils se protègent en arrêtant d’investir ou en plaçant leur épargne ailleurs.

Ce qui me paraît certain, c’est qu’on verrait le départ de nombreux médecins qui rentreraient en Métropole, car ils n’auraient aucun intérêt à rester dans un pays qui ne pourrait plus payer leurs salaires. Ce serait vrai pour d’autres professions très qualifiées, ingénieurs, enseignants, informaticiens, professions libérales, pour lesquelles la Calédonie n’a pas de vivier local.

Le départ de la France aurait comme conséquences à moyen terme un violent trou d’air dans nos finances publiques et surtout une dévaluation de la monnaie locale, parce que la France n’aurait aucun intérêt à subventionner nos déficits commerciaux en maintenant une parité franc CFP-euro qui nous est très avantageuse. Ce que beaucoup de partisans de l’indépendance ne voient pas, c’est que le franc CFP n’a strictement aucune valeur à l’extérieur. Pour acheter nos voitures, nos médicaments, notre nourriture, nos produits pétroliers, nous payons en devises, euros, dollars australiens ou dollars US. La Nouvelle-Calédonie n’a pas ces devises, elle est donc avantagée par la parité avec l’euro. Demain, il faudrait dévaluer pour que notre monnaie soit ramenée à sa vraie valeur, sur la base des exportations ou des revenus du tourisme ou des gens qui voudront encore mettre de l’argent frais en « Kanaky ».

Ce qui veut dire que le pouvoir d’achat des habitants diminuerait.
En fait, on irait certainement vers une économie de type Fer de Lance, avec deux mondes qui se côtoient : la sphère des expatriés, liés à la mine ou aux très grandes sociétés, avec des salaires occidentaux et la capacité à payer des médecins, des services, des voitures, et la sphère des locaux avec des salaires réels et un niveau de vie à la baisse. Je pense que l’on assisterait à la disparition de la classe moyenne calédonienne telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Cela se produirait sur quelques années, mais les acteurs économiques anticiperaient la tendance, dès la première année : comme l’investissement serait réduit, nous aurions des pertes d’emplois et la pénurie entraînerait une baisse des salaires sur les nouveaux emplois créés.

Il est clair que les nouvelles générations vivraient beaucoup moins bien que celles de leurs parents.

Quelle place occupe aujourd’hui la France dans le niveau et la qualité de vie des Calédoniens ? En d’autres termes, que pèsent réellement les transferts sur le quotidien des Calédoniens ?

L’impact le plus immédiat, c’est la part des transferts publics qui financent une partie de nos dépenses. En tout, ce sont 150 à 160 milliards, selon le périmètre. Le plus gros morceau, c’est l’enseignement secondaire, 50 milliards, totalement assumé par la France. Nous sommes incapables de le prendre en charge. C’est deux fois le rendement de notre impôt sur le revenu.
Mais ces transferts sont très importants aussi pour les provinces et les communes. Nouméa reçoit 10 % de son budget avec la dotation de l’état, mais en Brousse et dans les Îles, ça monte à 30 ou 40 %.

Au total, le soutien de la France, même s’il ne bouge plus depuis 2008 en valeur absolue, reste essentiel pour financer nos emplois publics, qui sont fondamentaux pour le rééquilibrage. Si on enlevait l’aide de la France, il faudrait supprimer 4 ou 5 emplois publics sur 10 ou baisser les salaires de tout le monde de 40 %.

Ça a l’air énorme, mais regardez ce qui se passe aujourd’hui avec les petits déficits du budget : des emplois sont déjà menacés dans des établissements publics.

Si nous ne sommes pas capables de financer l’enseignement secondaire, il faudrait sans doute que les parents paient pour la scolarité de leurs enfants ou ne les envoient plus à l’école, comme c’est le cas au Vanuatu.

Ces transferts, c’est ce qu’on peut appeler la main visible, mais il y a aussi une partie invisible dans les budgets, tout aussi vitale…

Toutes nos collectivités ou nos établissements publics ou nos SEM, comme pour le logement social, financent leurs investissements avec des emprunts octroyés par l’Agence française de développement ou la Caisse des dépôts et consignations. On veut bien nous prêter parce que nous appartenons à la République. Si demain nous étions indépendants, avec une monnaie dévaluable, on ne nous prêterait plus rien ou alors des clopinettes.

Donc adieu le logement social, les travaux routiers, adieu les carnets de commande pour le BTP et ses milliers d’emplois.

Il y aurait aussi un impact sur le système bancaire, parce que nous serions obligés d’aller chercher des ressources en Métropole pour combler notre déficit local. La Calédonie est un pays jeune avec des besoins pour son développement. Là encore, si nous sortions du système actuel avec une monnaie dévaluable, il faudrait considérablement réduire la voilure. Il y aura toujours des banques, mais elles prêteront beaucoup moins et juste aux riches. C’est ce qui se passe dans le Fer de Lance, où les gens ont beaucoup moins accès au crédit pour acheter des maisons ou des voitures.

Tout ça contribuerait à accroître les inégalités !

En fait, en étant branchée sur la France, c’est comme si notre économie, privée ou publique, était branchée sur du 220 volts sans limite d’ampérage. Demain l’indépendance, ça veut dire passer sur groupe électrogène en espérant qu’on pourra acheter du mazout….

Un résultat serré entre le oui et le non à l’indépendance pourrait aussi avoir de graves répercussions sur le niveau social du territoire ?

Si le non à l’indépendance l’emporte d’une très faible marge, cela sera interprété en Métropole comme une question de temps et représentera une victoire du camp du largage de la Nouvelle-Calédonie.

Les acteurs économiques et nos partenaires financiers commenceraient donc à se désengager.

Il faut que le non à l’indépendance soit clair et franc. Le camp loyaliste fait régulièrement 60 % des voix aux élections locales, il faut que ce soit le score minimum. C’est très faisable, car beaucoup de militants indépendantistes, qui voteront toujours indépendantiste aux élections locales, sont de plus en plus conscients de la catastrophe économique et sociale que représenterait l’indépendance avec notamment la perte des salaires du public si essentiels au rééquilibrage, pour eux, pour leurs retraites, leur accès à une santé moderne, pour l’accès à l’école, pour l’avenir de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Le combat pour la reconnaissance du peuple kanak, c’est une chose, mais les gens ne sont pas suicidaires.

En fait beaucoup de gens réalisent que dans le système actuel d’autonomie, la Nouvelle-Calédonie a presque tous les avantages de l’indépendance, mais n’a aucun de ses inconvénients ou de ses maladies incurables.

Peut-on cependant encore améliorer le statut de très large autonomie dont bénéficie aujourd’hui la Calédonie dans la République ? Et comment ?

Nous sommes déjà allés très loin dans l’autonomie avec des compétences que nous avons du mal à assumer seuls, comme le droit civil ou le droit commercial ou encore la sécurité civile.

Contrairement aux boniments des « nationalistes » non kanak, il y a un moment où on franchit la ligne rouge et qui fait que la France ne se sent plus responsable et obligée de nous aider. Ça se voit très bien quand on rencontre les fonctionnaires parisiens lors des Comités des signataires. Ils sont motivés pour nous aider et nous financer parce que nous sommes dans la République. Ça a du sens pour eux. Mais si nous sortons de la République, même sous une forme associée, ils nous laisseront nous débrouiller seuls. Nous ne relèverons plus de leur responsabilité.

Donc si nous voulons éviter les scénarios réalistes développés plus haut, il ne faut pas franchir la ligne rouge ; il nous faut rester une collectivité de la République. C’est un des engagements de la charte des valeurs des Républicains calédoniens.

L’état doit aussi rester très présent pour nous protéger des dérives locales. Ce qui se passe à la province Sud avec le refus d’embaucher des collaborateurs de l’opposition, qualifié de « détournement de pouvoir » et « atteinte à la démocratie » par le tribunal administratif, montre que le danger est réel.

Si les mêmes mettent la main sur l’audiovisuel public, à travers l’article 27, ou sur une partie des compétences régaliennes, nous irions tout droit vers une dictature. Seule la République nous en protège avec l’indépendance et la neutralité de ses représentants.

En revanche, notre système local qui a été bâti pour donner un peu de pouvoir à tout le monde, est à bout de souffle et il n’est plus soutenable financièrement. Il y a des redondances administratives, des gaspillages, des incohérences. Ça se voit dans l’enseignement, les aides médicales ou encore l’environnement. Tout est à repenser et là, les Calédoniens sont totalement responsables d’eux-mêmes. Cela fait partie des défis à relever.

 

La Calédonie face aux pays de la zone en quelques chiffres :