Pêche côtière : mieux gérer pour durer

404 navires de professionnels sont enregistrés pour la pêche lagonaire, effectuée dans les eaux qui s’étendent des côtes jusqu’à 22 km.© CPS

La CPS1 a dressé le bilan de PROTEGE2 dans le secteur de la pêche lagonaire. Parmi l’une de ses réussites, la création d’un Observatoire en Nouvelle Calédonie. Alors que le programme s’achève l’année prochaine, la question se pose de la pérennisation de la structure, que les acteurs de la filière appellent de leurs vœux.

Ce n’est pas un hasard si un des axes d’intervention de PROTEGE concerne la pêche côtière en Nouvelle-Calédonie. Au cœur de la société, elle joue un rôle social et culturel, représente un moyen de subsistance pour de nombreux habitants du littoral et constitue une filière économique d’environ 450 pêcheurs professionnels.

C’est afin de mieux l’appréhender qu’un Observatoire des pêches côtières a été mis sur pied il y a quatre ans. Son rôle ? Collecter et centraliser les informations existantes, améliorer et analyser les données et proposer des indicateurs utiles au pilotage des pêches, qu’elles se fassent à pied, en apnée, au filet ou à la ligne.

L’objectif poursuivi est de « gérer les ressources et les hommes et femmes qui les pêchent », avance Matthieu Juncker, coordinateur régional des pêches côtières de PROTEGE à la Communauté du Pacifique (CPS). Afin que « tout le monde puisse continuer à vivre de la mer », ajoute Pablo Chavance, ingénieur pôle marin à l’Adecal Technopole. D’où l’intérêt de connaître « l’intensité de la pêche » et « d’aider les collectivités à améliorer leur mode de gestion ».

PILOTER À L’ÉCHELON LOCAL

Dans le cadre de ses travaux, l’Observatoire a porté une attention particulière sur les espèces à enjeux, en vue d’assurer la durabilité des stocks. « On sait qu’il faut faire attention aux crabes de palétuvier, aux espèces profondes comme le vivaneau, aux holothuries, aux perroquets à bosse, aux langoustes et aux poissons de récif », liste Pablo Chavance.

L’ingénieur a également accompagné les collectivités dans leur volonté de piloter à un échelon plus local. Cela permet d’être plus pertinent en fonction de ce qui est pêché, comment, où, de l’état de la ressource et du nombre de pratiquants. Résultat, « la relation entre les acteurs s’est améliorée et les pêcheurs sont plus impliqués dans les actions de gestion. Ils récupèrent les données de terrain et constatent à quoi cela sert, particulièrement dans le maintien de leur activité ».

Alors que PROTEGE touche à sa fin, l’enjeu est maintenant de trouver les moyens financiers pour pérenniser l’Observatoire. Car la tâche n’est pas achevée. Contrairement à la pêche professionnelle, l’activité non commerciale « est mal suivie » et pas assez encadrée. Pablo Chavance estime aussi qu’il serait pertinent que le comité de gestion territorial consacré aux holothuries aille plus loin au niveau de la réglementation.

Aujourd’hui, 2 espèces sur 14 sont gérées par quota. Il faudrait que toutes soient concernées afin de « limiter les quantités capturées pour que cette pratique puisse perdurer dans le temps ». L’ingénieur souhaiterait aussi que ce type de comité soit utilisé pour d’autres ressources.

Si la pêche côtière contribue à faire vivre une filière économique, une grosse partie de l’activité, vivrière, permet de nourrir les familles.© CPS

DES SORTIES EN MER PLUS COURTES AVEC EL NIÑO

Autre volet largement abordé, les conséquences du changement climatique sur la profession et la façon de s’y adapter. Virginie Duvat, experte invitée en qualité de professeure de géographie spécialiste des îles tropicales et autrice d’un chapitre du 6e rapport du Giec, a été marquée par les nombreux témoignages sur les conséquences déjà palpables du réchauffement.

Les épisodes marqués d’El Niño ont par exemple participé à la baisse du nombre de crabes. Un décalage de la saisonnalité de la pêche a également été observé. « Il faudrait revoir les périodes de fermeture, puisque le cycle biologique des espèces se modifiant, il va falloir adapter le calendrier. » Certains professionnels ont noté l’augmentation du développement d’algues filamenteuses sur le récif, « ce qui impacte son état de santé », ainsi que le renforcement de l’alizé pendant des périodes plus longues lors des épisodes El Niño, perturbant les sorties en mer et réduisant le temps de pêche.

Les discussions ont évoqué le maintien, dans ces conditions, de la capacité des pêcheurs à assurer la viabilité de leur activité. La gageure ? S’adapter à ces changements et intégrer ces problématiques dans les futurs plans de gestion.

1. Communauté du Pacifique. 2. Projet régional océanien des territoires pour la gestion durable des écosystèmes.

 

La pêche lagonaire c’est…

447 pêcheurs professionnels en 2021, dont 398 embarqués et 49 à pied

599 millions de francs de chiffre d’affaires

832 tonnes pêchées (poissons récifo-lagonaires, holothuries, crustacés, poissons profonds, poissons du large et mollusques)

12 060 jours de mer

3 041 kg par pêcheur (643 kg aux îles Loyauté, 2 248 kg en province Nord et 5 125 kg en province Sud)

Source : Bilan 2021 de l’Observatoire des pêches côtières

 

© CPS

La gestion participative en Polynésie

En Polynésie française, les autorités ont retenu, comme principale action, la gestion participative. Un travail mené avec les communautés des îles concernées a débouché sur un état des lieux des pêcheries ainsi qu’une liste de priorités, explique Gabriel Sao Chan Cheong, responsable de la Cellule gestion et préservation des ressources lagonaires. « On a discuté et réfléchi avec les populations et le maire aux mesures à mettre en place. » Il a été décidé de réglementer l’activité selon des zonages délimités, par exemple interdire la pêche au fusil à tel endroit.

Et ça marche, affirme Gabriel Sao Chan Cheong. « L’avantage est que les communautés choisissent les règles, donc elles se les approprient, les appliquent et assurent une surveillance afin de vérifier que tout le monde les respecte. Ainsi, elles gèrent elles-mêmes la ressource. » Cette méthode s’est révélée « beaucoup plus efficace qu’avec un contrôle des services centraux basés à Tahiti ».

 


 

Un observatoire à Wallis-et-Futuna

L’archipel manquait de données. « On avait peu d’informations et il y avait une vision très divisée sur l’état des ressources », introduit Bruno Mugneret, technicien à la Direction des services de l’agriculture, de la forêt et de la pêche. Grâce à l’Observatoire, les services ont pu bénéficier « d’une évaluation bien plus précise » et juste des stocks. « Des espèces sont dans un état inquiétant. Cinq types de perroquets sont par exemple dans une situation critique. » Ce serait aussi le cas de certaines loches. Deuxième enseignement : les perroquets seraient particulièrement affectés par la chasse de nuit. « Elle est théoriquement interdite, mais la réglementation n’est pas vraiment appliquée », ce que souhaitent changer les autorités.

L’autre réalisation rendue possible par PROTEGE est celle d’un comité local des pêches qui réunit l’ensemble des acteurs, professionnels, autorités, chefferies… Pour le technicien, cela a permis une prise de conscience. « Il y a eu un changement de la perception des ressources et de comportement de quelques pêcheurs. » Mais, souligne Bruno Mugneret, « on doit continuer la mise à jour des données ». Or, avec la fin de PROTEGE, la question du devenir de l’Observatoire « fait partie des inquiétudes ». Le pérenniser est « la priorité ». Une réflexion est menée sur des solutions de financement et sa future gouvernance.

 

♦ PROTEGE, c’est quoi ?

Il s’agit du Projet régional océanien des territoires pour la gestion durable des écosystèmes. Coordonné par la Communauté du Pacifique (CPS), il s’adresse aux pays et territoires d’outre-mer (PTOM) et intervient en Nouvelle- Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna (ainsi que Pitcairn jusqu’au Brexit), à travers des opérations en agriculture et foresterie, pêche côtière et aquaculture, eau et espèces envahissantes. Démarré en 2019, il va s’achever en 2024.

♦ Un financement européen

PROTEGE est financé par des fonds européens grâce à une enveloppe régionale dédiée de 36 millions d’euros (plus de 4,2 milliards de francs), dans le cadre du 11e Fonds européen de développement (FED). Il a participé à mettre en œuvre des projets « en soutien aux politiques publiques », relève le chef du bureau de la Commission européenne pour les pays et territoires d’outre-mer du Pacifique.

Alors que le programme s’achève l’an prochain, une nouvelle enveloppe financière du même montant est annoncée. Elle sera dédiée cette fois aux systèmes alimentaires durables, « produire plus localement, manger mieux, avec des circuits courts… ». Ce plan doit commencer en 2025. Pierre-Henri Helleputte assure également que « les territoires sont éligibles à d’autres financements », afin de maintenir des outils mis en place tels que l’Observatoire des pêches côtières.

 

Anne-Claire Pophillat