Pacte nickel : « De quoi avez-vous peur ? »

« Vous voulez ajourner le projet parce que vous voulez engager des négociations dans le cadre des accords politiques », a lancé le président Louis Mapou aux porteurs de la motion préjudicielle. « Êtes-vous sûrs de votre coup ? » (© Y.M.)

Frappé d’une motion préjudicielle soutenue par les indépendantistes, Calédonie ensemble et l’Éveil océanien, le projet de pacte nickel, censé redresser le secteur, repart en commission du Congrès pour des approfondissements. Quelle sera la réaction de l’État ?

Projet avancé en novembre par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, pour redresser la filière métallurgique, le pacte sur le nickel a la vie dure. Parce que son étude intervient au moment où tous les voyants, ou presque, ont viré au rouge. Parce que ce texte est à la croisée des intérêts des industriels, des politiques, de la République…

La séance du Congrès dédiée à son examen, mercredi 3 avril, a d’ailleurs réservé des moments assez surprenants : un imbroglio juridique « inédit » après l’annulation de la commission plénière la veille ou encore des applaudissements nourris venus des bancs Loyalistes et Rassemblement-LR envers le président indépendantiste du gouvernement, Louis Mapou. Au final, par 34 voix contre 18, le débat est ajourné, le document renvoyé à une discussion de travail, et le patron de l’exécutif n’est toujours pas habilité, du moins sur un plan politique, à signer ce pacte avec l’État, les métallurgistes et les provinces.

L’éventualité était devenue de plus en plus prégnante les jours précédents. Une motion préjudicielle, c’est-à-dire une proposition de retour du texte en commission plénière, allait être déposée. Cette demande fut portée en séance par les groupes Calédonie ensemble, UC-FLNKS et nationalistes, UNI ainsi que l’Éveil océanien. « Il est absolument indispensable que le pacte nickel proposé se donne les moyens d’assurer véritablement la ‘sauvegarde’, la ‘pérennité’, la ‘compétitivité’ de l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie », a indiqué Philippe Michel du mouvement non indépendantiste, moteur de la démarche.

L’élu s’est évertué à démonter les rouages du pacte, chiffres sous la main, dont celui des 8 milliards de francs par an, cette « contribution financière supplémentaire des Calédoniens » à travers la TGC pour la subvention à l’énergie. Aussi, « nous proposons que les négociations sur le pacte nickel ne soient plus menées séparément des discussions en cours sur l’avenir du pays, à l’instar du processus qui a été initié lors des accords de Matignon et de Nouméa », a mentionné le président du groupe Calédonie ensemble qui ne voit, dans le document du jour, « aucun ‘engagement fort’ des industriels et des actionnaires ».

« PAS DE PACTE, PAS DE REPRENEURS »

L’avis, sans surprise, n’est pas partagé du tout dans les rangs Loyalistes. « Cela fait six mois que les salariés et sous-traitants se demandent s’ils vont être payés à la fin du mois », a lancé Sonia Backès, qui a refait en séance l’historique des discussions autour du document. « Ce pacte ne supprime aucune forme de souveraineté à la Nouvelle-Calédonie : ni fiscale, ni minière. Au contraire. »

Les mots de la présidente de la province Sud ont rejoint ceux de la ministre Agnès Pannier-Runacher, prononcés à l’Assemblée nationale mardi 26 mars à la suite d’une question du député Nicolas Metzdorf. « On ne trouvera pas de repreneurs [pour les usines Koniambo Nickel et Prony Resources NC] s’il n’y a pas de pacte. C’est la réalité », s’est avancée Sonia Backès, décidée à ce que le document aille jusqu’au bout de sa course, c’est-à-dire sous les stylos à Paris.

La volonté du président du gouvernement est louable dans la recherche d’un partage du texte par le plus grand nombre d’élus, mais risquée sur le terrain politique : Louis Mapou tenait, non pas à signer seul le pacte, mais à le faire valider au préalable par le Congrès. Ses paroles sont allées au camp indépendantiste, évidemment, puisque ces groupes ont signé la motion préjudicielle. Les éléments contenus dans le pacte portent-ils préjudice à la doctrine nickel ? Le chef de l’exécutif a répondu par la négative. « Je souhaite que vous m’autorisiez à signer » le pacte. Le versement de tranches du prêt à PRNC est en jeu, et l’enjeu ne s’arrête pas là. « Pourquoi avez-vous peur ? On a peur de nos militants, de qui ? »

Tous les élus sont aujourd’hui un peu coincés face à ce pacte nickel, entre les engagements des uns et les réserves des autres. Une hypothèse a été émise ce mercredi : convenir de la signature en commission plénière, en accolant au fameux pacte une liste d’observations. Cette réunion des conseillers du Congrès pourrait intervenir dans les prochains jours.

Yann Mainguet

 


 

GILBERT TYUIENON
membre du gouvernement en charge du suivi des affaires minières (UC)
Gilbert Tyuienon. (© A.-C.P.)

« NOUS SOMMES DANS LE SAUVETAGE DES USINES »

« Le Congrès demande qu’on renégocie les différents engagements du pacte, ce qui veut dire qu’on va devoir reprendre les travaux en commission plénière. Alors que ce que souhaiterait le gouvernement, c’est que la délibération qui habilite le président passe, en y ajoutant une résolu- tion qui reprendrait les différents points de la motion préjudicielle. Cela serait une sorte d’accompagnement du Congrès à la signature du pacte. On verra quelle forme cela prendra, mais le gouvernement va défendre le fait qu’il faut signer le pacte parce qu’il est important pour les trois usines, les salariés et les entreprises, parce qu’il y a un certain nombre de conditions qui y sont assujetties, je pense à la 2e tranche du prêt pour PRNC et à la poursuite de l’activité de la SLN au-delà de septembre. Il faut agir vite, donc nous allons demander que la commission plénière se réunisse au plus tard la semaine prochaine. Il ne faut pas se tromper de couloir. Nous sommes dans le sauvetage des usines, le problème est devant nous. Donc peu importe la manière d’y arriver, il faut le régler. »

PHILIPPE MICHEL

président du groupe Calédonie ensemble au Congrès

Philippe Michel. (© A.-C.P.)

« LE PACTE DOIT ÊTRE RENÉGOCIÉ »

« On ne peut pas signer ce pacte pour trois raisons majeures. La première, c’est que les industriels ne prennent aucun engage- ment et ne mettent pas un franc alors qu’ils sont les premiers concernés. La deuxième, c’est que pour pallier cette difficulté, l’État propose que les Calédoniens paient à la place des industriels à hauteur de 8 milliards de francs. La troisième, c’est qu’il n’y a aucune stratégie globale de sauvetage de la filière. Historiquement, la question du nickel a toujours été au cœur des accords politiques majeurs du pays et je ne vois pas pourquoi il en serait autrement aujourd’hui, alors qu’on discute de notre avenir. Le ministre Bruno Le Maire a une approche comptable, là où le président de la République a fixé une vision et un objectif stratégique. L’Europe et la France signent des partenariats dans le monde pour garantir leur approvisionnement en matières premières et, avec la Nouvelle-Calédonie, qui a les quatrièmes réserves mondiales de nickel et qui est un territoire français, on ne le fait pas, c’est inacceptable, incompréhensible. Le pacte doit être complété, renégocié, amélioré. »

 

JEAN-PIERRE DJAÏWÉ
président du groupe UNI au Congrès
Jean-Pierre Djaïwé. (© A.-C.P.)

« L’UNI EST DANS UNE SITUATION DÉLICATE »

« Ce vote va dans le sens de notre assemblée générale du Palika de samedi, compte-tenu de l’incompréhension sur le contenu du pacte, de la position du président de la province Nord qui dit qu’il ne le signera pas, et de celle du président du gouvernement qui demande de le signer. C’est assez compliqué pour nous, parce que le voter, c’est peut-être désavouer Paul Néaoutyine, et ne pas le voter, c’est désavouer Louis Mapou. L’UNI est dans une situation délicate et on s’est dit que la meilleure chose était la motion préjudicielle pour repousser et retravailler en commission et en séance plénière. C’est aussi l’occasion de dire que le pacte pourrait davantage nous engager sur le devenir du nickel en Nouvelle- Calédonie. Louis Mapou dit être d’accord avec le contenu de la motion, mais que ce n’est pas le sujet pour le moment. Cela mérite d’être discuté. Nous faisons le grand écart parce que nous voulons faire en sorte qu’il y ait une unité entre les indépendantistes pour pouvoir voter. Il y a des choses qui ne passent pas. »

 

NICOLAS METZDORF
membre du Congrès Les Loyalistes

Nicolas Metzdorf. (© G.C.)

« J’ENCOURAGE LOUIS MAPOU À SIGNER »

« Ma lecture, c’est que le président du gouvernement va signer le pacte nickel, qu’il a envie de le signer, qu’il est soutenu par son gouvernement et que c’est de sa compétence. Le renvoi en commission est juridique parce que le Congrès estime que les articles n’ont pas été étudiés. Ce n’est pas un renvoi contre le pacte nickel, puisque le président Mapou a appelé les groupes indépendantistes à soutenir le texte. Je suis plutôt rassuré. On pourrait croire que c’est un renvoi et l’enterrement du pacte, mais j’ai l’impression que d’ici une semaine il sera signé et c’est une bonne chose. J’ai trouvé que Louis Mapou a été excellent, courageux, je suis très admiratif de son discours. Si jamais le Congrès devait encore retarder sa décision, je l’encourage à prendre ses responsabilités et à signer. Le pacte est la seule solution à même de sauver notre industrie minière. Sans le soutien financier de 100 milliards de francs promis par l’État, KNS et la SLN sont condamnées à mort. Le temps nous est compté. »

 

Propos recueillis par Y.M. et A.-C.P.