« On a décidé d’arrêter la société »

Pour les entreprises, la période des grands chantiers des années 2000- 2010 ‒ usines, aéroport, Médipôle, logements sociaux... ‒ semble déjà lointaine. (© G.C)

Petite, moyenne et grande : trois entreprises décrivent une « contraction » de leur marché. Le changement de politique des bailleurs sociaux, qui passent de l’ère de la construction à celle de la rénovation, est décrit comme un coup d’arrêt majeur.

« On a pris la décision de terminer les chantiers en cours et d’arrêter. » Hélène Garcia s’apprête à fermer l’entreprise de plomberie fondée par son père en 2005. Pegase n’emploie plus que trois personnes, soit 13 de moins qu’à son apogée, du temps des grands chantiers des bailleurs sociaux. La directrice voit les difficultés s’accumuler au gré des marchés publics « qui n’aboutissent pas », des chantiers « retardés », des augmentations du prix du cuivre… La concurrence, elle aussi, a augmenté. « Depuis environ cinq ans, beaucoup de patentés se sont mis à leur compte et ont fait baisser les prix. Les marges fondent à vue d’œil, on est à peine à 12 %. Le fait qu’il y ait moins de chantiers, ça va réguler le marché. »

Pour sauver la société, faut-il la réorienter ? « Avec les particuliers, on pourrait travailler pour beaucoup plus cher… Mais ce n’est pas notre métier », pas plus que la rénovation. Quant à la construction neuve, Hélène Garcia n’y voit pas assez d’avenir. « On a déjà réinjecté de l’argent. On n’a pas de dettes et on ne veut pas en arriver là. »

« IL Y AURA DU TRI DANS LE BTP »

Chez Bois Concept, on subit également la « contraction du marché ». La clientèle traditionnelle du constructeur de villas de haut de gamme ‒ « les CSP+, les Calédoniens qui recherchent la qualité » pour une maison secondaire ou un investissement ‒ se fait plus rare. Noé Bertram y voit l’effet des départs du territoire enregistrés ces dernières années, de l’augmentation des taux d’intérêt et des « signaux négatifs » envoyés par le monde politique. L’entreprise et ses 38 salariés peuvent toujours compter sur 400 millions de francs de commandes, qui serviront en partie à payer les traites.

« J’attaque le remboursement des emprunts dans une situation de concurrence accrue, qui ne permet pas d’améliorer les marges, indique Noé Bertram. Sans les dettes, je pense que je serais largement en capacité de m’en sortir. Mais là, ça devient très difficile. Il est certain qu’en 2024, il y aura du tri dans le BTP. Ceux qui s’en sortiront seront ceux qui ont de la trésorerie. »

LE NICKEL, « AUJOURD’HUI, C’EST ZÉRO »

Arbé dispose encore de plusieurs chantiers importants, comme des ponts, en provinces Nord et Sud. Mais les grandes entreprises ne sont pas épargnées, assure Eric Lafitte, le directeur. « Comme tous nos confrères, on subit un effondrement de l’activité. Tous nos donneurs d’ordre, autant publics que privés, ont réduit leurs dépenses. » Le vrai « coup de massue » est venu des bailleurs sociaux qui, après les années de construction effrénée dans les décennies 2000 et 2010, se tournent toujours plus vers la nécessaire rénovation de leur parc. Puis sont venues les difficultés des trois usines. « Selon les années, le nickel représentait entre 5 et 45 % du chiffre d’affaires. Aujourd’hui, c’est zéro. » Génie civil, fondations, travaux maritimes… « On a plusieurs cordes à notre arc, mais elles tombent une à une. »

Le chiffre d’affaires est tombé en quelques années de 3 à 2 milliards de francs. Arbé, qui emploie 100 salariés, envisage de placer « 15 à 20 personnes » en chômage partiel, un statut qui nécessite une approbation du gouvernement, pour un maigre revenu de remplacement fixé à 66 % du salaire minimum garanti (SMG), soit 93 200 francs net.

Gilles Caprais

Un effet RCNC ?

En 2023, les effectifs de la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) ont perdu 200 entreprises BTP sur près de 4 000 (-5 %). Depuis 2020, la baiss est de 11,8 %. Les radiations concernent « surtout les entreprises individuelles et les artisans », indique Baptiste Faure, directeur de la CMA, pour qui la tendance s’explique en partie par « la mise en place de la réglementation du RCNC ».

Applicable depuis juillet 2020, le référentiel de la construction de la Nouvelle- Calédonie, qui a pour but de garantir la qualité des constructions dans un secteur touché par un nombre trop important de malfaçons, restreint l’ouverture d’une patente aux titulaires d’un diplôme. « La Nouvelle- Calédonie n’avait pas connu une telle baisse de son stock d’entreprises artisanales depuis 2016 », constate Baptiste Faure.