Nouvelle-Calédonie : Qui fera quoi au second tour ?

La Nouvelle-Calédonie ne vote décidément pas comme la métropole : ça, on le savait ! Mais cette fois-ci, à l’approche du référendum d’autodétermination de 2018, les électeurs du Caillou ont décidé d’adresser un message clair à leurs édiles politiques : ne nous laissez pas tomber ! Marine Le Pen en a largement bénéficié et pose un problème à la droite calédonienne : quelles consignes de vote donner pour le second tour ?

Au premier tour de la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy rassemblait en Calédonie près de 50% des suffrages, avec une participation de 55% des inscrits. Dimanche, seulement 1 774 voix séparaient les suffrages de François Fillon (31,13%) et Marine Le Pen (29,09%), alors que la participation était en retrait avec 48,14% des exprimés.

Si les provinces Îles et Nord placent en tête, le candidat officiel du Parti socialiste, Benoît Hamon (avec une participation traditionnellement très faible), la province Sud et la Nouvelle- Calédonie, globalement, restent arrimées à droite. François Fillon totalise 31,13% des voix, talonné cependant par les 29,09% de Marine Le Pen, qui fait plus que doubler son score par rapport à 2012 et face à Nicolas Sarkozy. Dans la plupart des bureaux de vote de l’agglo, Marine Le Pen devance même le candidat des Républicains, mais aussi à La Foa, Bourail ou Pouembout… Alors, pourquoi ce réveil du vote frontiste ?

Bianca Hénin, la secrétaire fédérale du Front national, l’attribue au « travail de terrain » de ses équipes, mais aussi à « l’extrême lassitude des Calédoniens qui ont le sentiment d’être lâchés par l’État et par une partie de la droite classique ». Force est de constater aussi, que « les assises de l’avenir », sorte de consultation des Calédoniens avant le référendum, proposée par François Fillon et relayée par Pierre Frogier et Bernard Deladrière, n’ont convaincu personne à droite. Quant à la conversion tardive d’Emmanuel Macron à la Calédonie française, elle laisse planer le doute sur sa sincérité ou l’opportunisme de cette annonce à 48 heures du premier tour de scrutin. L’ancien ministre de François Hollande réalise tout de même une percée en Calédonie avec un score de 12,76% des votes exprimés, alors qu’il était inconnu.

Côté sécurité, les Calédoniens ont dit et redit ne pas être rassurés par les discours de l’État socialiste. Idem pour leur avenir institutionnel. Aussi, lassés de ne pas être entendus, ils ont lancé « un cri d’alerte », comme l’affirme Gaël Yanno, « un message clair auquel on ne peut pas être sourd », complète Harold Martin. « Quand le plus petit commun dénominateur demeure la France et que la droite parlementaire ne l’incarne plus assez le vote FN est un repli, complète un professeur de droit et observateur de la vie politique locale. Le calendrier et la proximité du référendum ont fait le reste ». En clair, Fillon n’est pas Sarkozy. Mais ça, aussi on le savait.

Dès lors comment aborder le second tour ? Sitôt le message du premier tour digéré (les Calédoniens veulent plus de droite) des voix s’élèvent dans la sphère républicaine pour honnir le vote Macron, comme Harold Martin : « L’ancien ministre de François Hollande change d’avis sur la Calédonie tous les jours. Je ne pourrais jamais voter pour lui ! ». Ou Gaël Yanno : « Un grand nombre d’élus nationaux Les Républicains ont déjà fait le choix d’un vote républicain. En tant que Calédonien avant tout et en mon âme et conscience, je ne peux les suivre dans ce choix… ». Certains font même le choix d’un vote frontiste, à titre personnel, comme Pascal Vittori, Gil Brial.

Lucide sur le dernier dimanche électoral, Sonia Backes annonçait dès le lendemain du scrutin : « Parce que les Calédoniens ont prouvé leur liberté par rapport aux consignes des partis. J’ai confiance en leur discernement pour déterminer lequel des deux candidats répondra le mieux aux enjeux qui attendent la Nouvelle- Calédonie, en particulier pour ce qui concerne notre maintien au sein de la République et le retour de l’autorité de l’État ». Une analyse plutôt que des consignes !

Un tempo que lui empruntent Pierre Frogier et Bernard Deladrière, 24 heures plus tard : « Pour la France, l’extrémisme du Front national apporterait malheurs et divisions. Son programme économique nous amènerait à la faillite. Mais l’absence de ligne idéologique claire de M. Macron ne lui permettra pas, non plus, de mener à bien les réformes dont la France a besoin. Pour la Nouvelle-Calédonie, il revient à chacun d’entre nous de réfléchir, en conscience, à ce qu’il y a de mieux pour notre avenir et celui de nos enfants », affirment l’un et l’autre. Le patron du Rassemblement fait aussi remarquer « qu’aucun des deux candidats présents au second tour, n’est issu d’une des deux familles politiques qui ont conçu et mis en œuvre les accords de Matignon et de Nouméa ».

« Ni Macron, ni Le Pen », résumaient mercredi matin Les Nouvelles. Mais le Rassemblement ne prône pas non plus le vote blanc. Compliqué ! Reste que la même question fait débat chez Les Républicains de métropole, où Christian Estrosi propose de radier leurs élus qui appellent à voter Le Pen, alors que les sarkozystes ne tombent pas dans le piège de l’exclusion.

Dans la sphère Calédonie ensemble, Sonia Lagarde a d’emblée pris fait et cause pour un vote Macron au second tour, « seul à incarner l’alternance » à ses yeux. Un coup de pouce direct qu’appréciera certainement Patrick Louis, représentant du candidat sur le territoire, à la recherche d’un coup de booster pour le faire décoller des 12 points. Philippe Gomès, sensible à moult tropisme avant de pencher pour Macron peu avant le 1er tour de scrutin, a lui aussi indiqué qu’il voterait, « à titre personnel » pour lui au second tour, mais que son choix n’engage pas son parti. Le candidat sortant de la 2e circonscription marche sur des œufs : le vote frontiste (« vote refuge de circonstance », selon lui) a été le plus fort dans les fiefs Calédonie ensemble, de l’agglo et de la côte Ouest notamment… En contradiction avec ses options de « chef de paix », donc. S’il veut certes appartenir à la future majorité présidentielle, Philippe Gomès sait aussi qu’il lui faut d’abord se faire réélire ! Donc il a le verbe prudent.

Côté indépendantiste, enfin, l’UC recommande toujours à ses troupes de ne pas participer au scrutin, alors que le reste du FLNKS, qui avait soutenu la candidature de Benoît Hamon, appelle ses militants à « faire barrage au Front national en votant Macron ». Tout comme les Progressistes de Michel Jorda.

Reste finalement à savoir quelles conséquences aura la ruine de la maison Fillon sur les législatives de juin en Calédonie ? Que valent aujourd’hui les investitures Fillon ? Les dissidents d’hier le seront-ils encore demain ? Des réponses ne vont pas tarder.

M.Sp.

© Pierre-Christophe Pantz