« Nous sommes en phase épidémique »

C’est désormais une certitude, le Covid-19 circule depuis au moins trois semaines sur le territoire à bas bruit. Et l’on peut désormais parler d’épidémie. Seules solutions pour éviter la catastrophe, le confinement strict et la vaccination de masse en particulier des personnes à risque et surtout en surpoids ou obèses.

DNC : Vous alertiez depuis plusieurs semaines sur l’introduction du virus. Nous y sommes. Que pouvez-vous dire de ce départ d’épidémie ?
Dr Thierry de Greslan : On a la mauvaise surprise de découvrir que le virus est présent sur plusieurs sites du territoire en même temps, dans les Îles mais aussi dans le Nord, sur la côte Est et à Nouméa. Il circule donc depuis au moins trois semaines à bas bruit. 80 % des formes sont paucisymptomatiques (peu de symptômes, NDLR) ou asymptomatiques et on a donc une circulation virale qui ne s’est manifestée que quand on a eu les premiers cas graves, le premier patient de réanimation et une patiente hospitalisée en pneumologie. On a aujourd’hui la certitude absolue que ce virus nous a déjà mis dans une phase épidémique, en phase 3, c’est- à-dire avec une circulation virale active liée à la virulence et à la contagiosité du variant Delta.

Partant de ce constat, comment la voyez-vous évoluer ? Est-ce le scénario catastrophe que l’on redoutait ?
Je suis de nature optimiste, donc le scénario catastrophe, je n’en veux pas. Le confinement de la population le plus strict possible et le plus rapide possible était la seule solution. La deuxième opportunité qu’on a, c’est de faire vacciner de manière massive pour éviter que la transmission se fasse sur des populations à risque. À risque, c’est tout simplement l’obésité. Ce n’est pas seulement le grand âge. C’est-à-dire que toute la population calédonienne qui est de manière très importante en surpoids doit être vaccinée. Il n’est plus temps de tergiverser sur les risques liés au vaccin. Il faut protéger les gens contre des formes graves, des séquelles et des séjours en réanimation qui souvent se terminent mal. On a une petite fenêtre de tir pour éviter la situation catastrophique de la Polynésie française.

Quel est le profil des malades ?
Tous les malades graves Covid sont des non- vaccinés. On a découvert des cas sur des patients qui étaient hospitalisés pour d’autres raisons, pour un AVC, un problème gynécologique, mais qui étaient vaccinés et qui n’avaient quasiment pas d’atteintes pulmonaires. On a découvert qu’ils étaient positifs parce que désormais on fait des tests systématiques.

Toute la population calédonienne qui est de manière très importante en surpoids doit être vaccinée.

Comment le CHT s’organise-t-il concrètement ?
Là, on est en train d’essayer de sécuriser au maximum nos filières entre Covid et non Covid. Pour cela, on fait un dépistage de l’ensemble de nos malades. Depuis mardi et jusqu’à jeudi, on va dépister tous les patients et tous nos personnel, à commencer par les non-vaccinés pour qu’on puisse avoir une cartographie précise de l’infection sur le Médipôle. On a demandé à la Dass de nous accompagner sur ce point. Les mêmes cartographies seront faites au CHN, à la clinique et au CHS. Tous les établissements sont en train de tester de manière massive dans les 24-48 heures afin de savoir précisément où on en est des chaînes de transmission au sein de nos structures. Ensuite on pourra sécuriser au mieux nos systèmes d’entrée et les flux de passage.

Dans ce contexte, la continuité des soins peut-elle être maintenue ?
La continuité des soins sera maintenue coûte que coûte, sachant qu’on est déjà en déficit de personnel. On maintiendra la meilleure qualité des soins. On prendra les patients Covid sur des critères d’hospitalisation, c’est-à-dire quand il y aura un risque d’aggravation et les patients qui sont Covid positif et asymptomatiques, essentiellement les vaccinés, on les surveillera en hôtel avec un protocole qu’on a mis en œuvre avec la DSCGR, même s’ils présentent peu de risques de décompensation. Dans les semaines qui viennent, on va hospitaliser un grand nombre de personnes en hôtel directement quand ils sont vaccinés, pour éviter de les laisser en population générale et qu’ils contaminent d’autres personnes.

Il ne faut pas saturer les centres de prélèvement par la peur.

Avez-vous déjà demandé des renforts de la réserve nationale ?
Oui, on a demandé des renforts de la réserve nationale parce qu’on sait que dans 15 jours, trois semaines, peut-être même avant d’ailleurs, on va avoir une situation de saturation de la réanimation du CHT.

Une augmentation à 50 % de la couverture vaccinale serait-elle suffisante selon vous pour amortir le choc à l’hôpital ?
C’est vraiment le minimum pour qu’on limite la catastrophe. Notre objectif, c’est plus de 80 %. Il faut que l’on passe à plus de 4 000 vaccinations par jour. Nous sommes montés de 900 à 2 000 sur la Calédonie, 2 200 mardi, c’est un bon début, mais il faut vraiment redoubler d’efforts dans les 15 prochains jours pour passer à 4 000.

N’écoutez pas les gens qui vous déconseillent le vaccin.

Quelle capacité de tests avons-nous ? Est-on toujours à 800 par jour ?
On peut effectivement monter à 800 par jour. Mais, on est limité, on n’a pas une puissance de feu ni un nombre de techniciens formés infini, et ils ne peuvent pas travailler H24. Donc c’est vrai que 800, c’est le chiffre qu’on a annoncé pour l’instant sans compter l’aide des laboratoires privés qui peuvent en faire 200, peut-être un peu plus par jour. C’est peut-être insuffisant, mais si on arrive à tester de manière ciblée les gens qui ont des symptômes, le nez qui coule, une perte de l’odorat, une toux, ce sera plus intéressant. Il ne faut pas saturer les centres de prélèvement par la peur. Avec cette idée que  » j’ai peut-être été en contact avec quelqu’un qui revenait de Lifou  » ou je ne sais quoi. Ce serait une erreur. Ceux qui n’ont aucun symptôme, il ne faut pas qu’ils aillent se faire dépister aujourd’hui, il faut qu’on se concentre sur ceux qui ont des symptômes pour qu’on puisse savoir où sont les foyers épidémiques.

Quel est votre message à la population ?
Par pitié, vaccinez-vous. N’écoutez pas les gens qui vous déconseillent le vaccin. C’est une très grosse responsabilité qu’ils prennent de déconseiller ce vaccin. On a des morts à Tahiti chez des gens jeunes en surpoids. Donc il faut se faire vacciner, c’est la seule solution, on n’a pas de plan B. On a la possibilité de sauver le pays en allant vite. Il faut le faire. Moi, j’y crois encore. Même si on va être débordés, on ne sera peut-être pas sur-débordés. Donc il faut vraiment y aller.