Nouméa au royaume du burlesque

Samedi soir, à Las Vegas, la troupe Burlesque Nouméa n’a pas raflé le titre de meilleur groupe de performeuses au monde. Mais elle revient à domicile avec beaucoup de fierté d’avoir participé à cette grand-messe du burlesque, où les strass et le glamour ne sont que les apparats d’un discours résolument engagé et libérateur.

Dans le lointain sillage de Dita von Teese et Dirty Martini, la troupe calédonienne a eu l’immense honneur de fouler la scène du Burlesque Hall of Fame (BHOF), samedi soir. Organisé chaque année à l’hôtel Orleans de Las Vegas, ce festival est devenu le grand rendez-vous de la communauté burlesque, où les performeurs des quatre coins du monde se retrouvent et se produisent à guichets fermés. « C’est en quelque sorte les championnats du monde du burlesque », compare une ancienne danseuse ayant connu la gloire dans les années 1970.
En s’immergeant, quatre jours durant, dans l’univers sexy et extravagant du BHOF, les Calédoniennes ont pu découvrir la diversité et le discours très politique de ce courant artistique né il y a plus d’un siècle en Europe, et qui a connu un regain dans les années 1990 avec l’avènement du New Burlesque aux Etats-Unis. « Ce lieu est mon église », a déclaré l’une des présentatrices du festival. Une église, un temple… La Mecque du burlesque en somme, « où chacun a le droit d’être qui il veut ».

Des ambassadrices du Caillou

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Sélectionnées parmi 500 candidates originaires du monde entier, la troupe Burlesque Nouméa a misé sur le charme et l’humour à la française avec un tableau décalé, inspiré de Gym Tonic, l’émission culte de Véronique et Davina. Tandis que l’artiste solo Coco Pearl a joué les ambassadrices du Pacifique en dansant le tamure, en mode burlesque. Deux tableaux très réussis, qui ont valu aux artistes calédoniennes des éloges de la part des professionnels mais qui n’ont pas suffi à triompher des Screaming Chicken, une troupe canadienne déjantée, qui ne comptait pas moins de vingt-sept danseuses habillées en poules sur scène. « Nos danseuses n’ont pas démérité, lâche Frédéric, l’un des nombreux supporters calédoniens venus encourager la troupe. Et au moins maintenant, grâce à elles, les gens savent que la Nouvelle-Calédonie existe. »

Un discours militant

Côté spectateurs, « difficile de faire mieux », estiment Foxy Lady et Mademoizelle Fanfan. « Il y a une vraie interaction et le public joue le jeu en portant des tenues excentriques. » Un amour, une ferveur et un grain de folie partagés aussi bien par les spectateurs que par les artistes qui, jusqu’au bout, ont prouvé que le burlesque était bien plus que l’art de l’effeuillage. La magnifique Lada Redstar, que le public calédonien avait découvert l’an dernier au Festival burlesque de Nouméa, a interprété un numéro poignant, dénonçant les atrocités commises pendant la guerre en Bosnie, son pays d’origine. Deux autres reines du burlesque, également connues des Calédoniens, ont impressionné le public de Las Vegas par leur amour de la scène, malgré les aléas de la vie. Blessée suite à un récent accident de la route, Trixie Little, Miss Exotic World 2015, a interprété samedi soir un très beau numéro en béquilles et fauteuil roulant à paillettes. Tandis qu’Imogen Kelly, Miss Exotic World 2012, a prouvé, en se produisant dimanche soir, qu’on pouvait continuer à briller sur scène même après une très grave maladie. En clair, « the show must go on »*.

* Le spectacle doit continuer.


La cité des mariages

Les danseuses de Burlesque Nouméa ne sont pas les seules à avoir pris le chemin de Las Vegas. Une vingtaine d’autres Calédoniens, dont quelques maris, enfants, parents et amis de la troupe, les ont accompagnées dans ce périple américain pour les encourager sur la scène du BHOF, le soir de la compétition. Deux couples ont profité de cette parenthèse enchantée pour renouveler leurs vœux avec toute la troupe et son fan-club dans la capitale des mariages.

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Un demi-siècle d’ode à la femme

Véritable institution pour l’ensemble de la communauté burlesque, le BHOF a soufflé sa cinquantième bougie l’an dernier. L’événement est né aux USA en 1965, sous l’impulsion de Jennie Lee, la fondatrice et présidente de la ligue des danseuses exotiques, avec deux ambitions : rendre hommage à l’histoire du burlesque et insuffler des vocations de performeuse auprès de la nouvelle génération, pour que celle-ci porte à son tour le message de ce festival et du burlesque en général. Jennie Lee a commencé à recueillir des objets de collection dans son bar, le Sassy Lassy, avant de déménager dans un ranch à Helendale, en Californie, dans les années 1980.

A sa mort en 1990, Dixie Evans, « la Marilyn Monroe du burlesque » a hérité de cette précieuse collection et en a fait un musée. Avant-gardiste et pleine de vie, elle a permis de faire de cet endroit un lieu de culte pour toute une nouvelle génération de performeurs qui ont remis le burlesque au goût du jour à partir des années 1990. Depuis 2010, le musée n’est plus sur la propriété de Helendale où se tenait jadis le Burlesque Hall of Fame, mais sur la célèbre Freemont Street dans le vieux Las Vegas. Une étape incontournable pour la troupe qui a découvert ou redécouvert certaines pages de l’histoire du mouvement, de ses origines à nos jours, ainsi que son essor aux États-Unis, terre promise du burlesque.

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Rencontre avec des légendes

Chaque année, les organisateurs du BHOF partent à la recherche des icônes du mouvement burlesque pour les inviter à se produire sur l’immense scène du festival, mais également à partager leur histoire. Un rendez-vous poignant.

La soirée consacrée aux légendes du burlesque, vendredi soir, est sans conteste celle qui aura le plus marqué le public. Ce spectacle riche en émotions a permis de découvrir d’anciennes performeuses comme Suzette Fontaine, dont les débuts remontent à la fin des années 1950, ou encore Kim Gaye, qui dansait jadis dans le même club que Tina Turner. Septuagénaires, voire octogénaires pour certaines, ces ravissantes grand-mères, voire arrière-grand-mères, ont enfilé de nouveau corsets, bas résille et chaussures à talons pour faire revivre la magie de celles que l’on appelait pudiquement autrefois les « Exotic Dancers », les danseuses exotiques, dans une Amérique encore plus puritaine qu’elle ne l’est aujourd’hui. Si les gestes étaient hésitants pour certaines, d’autres ont conservé leur assurance et leur tempérament de feu. « On ne peut pas rester insensible devant un tel spectacle. Voir des femmes de cet âge sur scène et aussi à l’aise avec leurs corps permet d’effacer les années. C’est une très belle manière d’exister et de mettre à l’honneur la féminité jusqu’au bout sans limite d’âge, s’enthousiasme Stéphanie, alias Lady Fantasy, qui a eu une pensée émue ce soir-là pour sa propre grand-mère. Elle aurait adoré voir ça ! Ces légendes ne sont pas là pour la performance mais pour partager des émotions. On leur doit tout, ce sont elles qui ont ouvert la voie. »

« À notre époque, tu ne pouvais être ni grosse, ni tatouée… Et encore moins avouer ton homosexualité »

Un sentiment partagé par Carine, alias Lady Carioca. « Moi qui commençais justement à me poser des questions sur mon âge et qui me demandais si je devais arrêter… Certes, elles ne se produisent plus au quotidien mais elles ont montré sur scène que le charme opérait toujours malgré les années. »

Au-delà du charme et de la sensualité, ces légendes sont aussi les ambassadrices d’un mouvement engagé. « À notre époque, tu ne pouvais être ni être grosse, ni tatouée… Et encore moins avouer ton homosexualité », relate Miss Satan’s Angel, que la troupe a eu la chance de rencontrer au musée du BHOF. Pétillante et chaleureuse, cette plantureuse septuagénaire a commencé le burlesque alors qu’elle n’avait que 17 ans. Soixante ans plus tard, elle n’a rien perdu de sa verve, ni de ses atours. « Je suis naturelle, ni lifting, ni seins siliconés » Seule sa crinière blonde est artificielle, la faute à une grave maladie. « De notre temps, le public était avant tout masculin. Mais avec l’arrivée du New Burlesque dans les années 1990, les choses ont évolué. Maintenant, tu as le droit d’être qui tu veux, grosse, maigre, avec des piercings, bisexuelle ou homosexuelle… » Depuis sa résidence de Palm Springs, au sud de la Californie, celle que l’on surnommait autrefois la « Maîtresse du diable » continue de vivre pour le burlesque en conseillant les jeunes performeuses sur leur image, leurs tenues, leurs numéros… Et leurs sites Internet.

Texte et photos Coralie Cochin