Nickel : un nouveau pacte de l’État sous condition

Les « délais sont courts », a martelé Bruno Le Maire, pour conserver la « ressource stratégique » que représentent les usines pour le territoire. (© B.B.)

Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique souhaite trouver une « solution globale » aux difficultés de la filière, qui devra notamment passer par l’exportation de minerai et une refonte énergétique.

À écouter Bruno Le Maire, le nickel ne relève pas de la politique. Celle-ci n’aurait d’ailleurs « rien à faire là-dedans », a-t-il insisté devant des représentants syndicaux et des salariés de la SLN mobilisés lors de sa visite, le 27 novembre. « Je voudrais que nous mettions la politique de côté, parce que la politique tuera les usines », a-t-il ajouté.

Fidèle à son portefeuille, le ministre a tenté de « remettre les sujets économiques au cœur des discussions » pour répondre le plus vite possible à la « gravité de la situation » avec trois usines dans le rouge. « La situation financière des trois sites industriels est critique. Nous avons besoin de solutions concrètes et immédiates pour éviter toute faillite et ouvrir des perspectives à long terme », a-t-il répété. Et la réponse ne sera pas un nouveau chèque de l’État, mais un « cadre de négociations » qui doit aboutir à un « accord global ». Son « pacte », qui est « à portée de main », passerait par trois volets : l’exploitation et l’exportation, la refonte énergétique, et de nouveaux débouchés économiques.

Mais la question nickel n’est pas facilement dissociable du fait politique. C’était sans compter sur la non-participation de Paul Néaoutyine. Le président de la province Nord n’a pas rencontré le ministre lors de son déplacement à Koniambo, ni lors de la réunion du groupe nickel. L’élu Union nationale pour l’indépendance (UNI)-Palika reste farouchement opposé à l’exportation, première solution avancée par Bruno Le Maire pour sauver la filière industrielle. Paul Néaoutyine n’accepte que les exportations de minerai vers les usines situées à l’étranger et détenues par des capitaux calédoniens, à savoir l’unique site de Corée du Sud partagé entre la SMSP (51 %) et le géant de l’acier coréen Posco.

Bruno Le Maire s’est rendu dans les trois usines à Goro, Nouméa et Voh. Ici sur le site de KNS. (© C.M.)

OUVRIR LES VANNES DE L’EXPORTATION

Le plan de Bruno Le Maire prévoit cependant de revoir les autorisations des permis d’exploitation délivrées actuellement par les provinces et de s’attaquer aux réserves géographiques métallurgiques. « Nous devons parvenir à un engagement sur la déclassification, l’exportation et la valorisation des ressources minières inutilisées », insiste le ministre.

Des stocks de minerai non exploitables localement dormiraient dans les massifs de Koniambo, Goro et Tiébaghi. Ils ne peuvent pas être exportés parce que les trois sites sont exclusivement réservés à la production locale. « On a du minerai qui reste en verse et dont on ne fait rien. Il faut envisager toutes les possibilités, ne sera pas l’État. l’exportation simple ou vers des usines offshore », réclame Sonia Backes, présidente de la province Sud (Les Loyalistes). Cela représenterait « 15 millions de dollars par an », soit plus d’1,5 milliard de francs, de retombées pour l’usine du Sud, calcule l’élue.

 

180 MILLIARDS DE FRANCS

C’est le besoin de financement total des trois usines de nickel (1,5 milliard d’euros). Le chiffre a été avancé par Bruno Le Maire.

 

Le gouvernement collégial, qui délivre les autorisations d’exportations, ne serait pas contre. Louis Mapou, le président indépendantiste (UNI) de la Nouvelle-Calédonie, a demandé d’évaluer les ressources inutilisées et combien il serait possible d’en tirer financièrement. Un projet de loi du pays datant de la présidence de Thierry Santa est toujours dans les tuyaux pour ouvrir les trois réserves géographiques métallurgiques. Il devrait repasser prochainement au Congrès porté par Gilbert Tyuienon (Union calédonienne), en charge des affaires minières. « Il y a des débats autour de la question des exportations, reconnaît Louis Mapou. On a convenu [avec Bruno Le Maire] qu’on ne s’en sortira pas s’il n’y a pas des efforts de part et d’autre et qu’on ne travaille pas ensemble. »

UN PRÉALABLE MINIER

La question de l’accès à la ressource, finalement difficile à dépolitiser, est le préalable indispensable à tout accord. La « condition sine qua non », insiste Bruno Le Maire, pour débloquer le deuxième volet du plan : des subventions sur l’énergie pendant cinq à dix ans. « Si jamais nous avons un accord sur le premier point, l’État est prêt à investir pour avoir une énergie décarbonée, moins chère dans les années à venir », précise le ministre. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) doit rendre un rapport sur le système électrique calédonien et ses possibles évolutions. Le mix entre énergie solaire et gaz serait l’une des meilleures solutions, même si le gaz est contestable parce que polluant.

La solution immédiate ne sera pas l’État. L’État ne fera pas le chèque. Il ne financera pas des activités à perte. Il est prêt à s’engager totalement pour des sites rentables, mais pas pour des sites qui perdent de l’argent.

Des aides seraient aussi envisageables pour soutenir des débouchés vers le marché européen, le troisième volet du plan. En 2022, 7,3 millions de tonnes humides de minerai de nickel ont été exportées vers la Chine (47 %), la Corée (32 %) et le Japon (21 %). « C’est toujours dangereux d’avoir des clients uniques, prévient Bruno Le Maire. Il peut être utile et pertinent d’étudier une ouverture vers l’Union européenne qui investit massivement dans les batteries et les voitures électriques. » Si les industriels ont la volonté et la capacité de répondre à cette demande spécifique. Pour l’instant, seul Prony Resources produit le nickel nécessaire à la fabrication de batteries électriques. Or, son principal client est le constructeur de voitures de luxe américain Tesla. Dans le Nord, KNS a annoncé commencer à y réfléchir cette année. À Nouméa, la SLN a fermé en 2016 son atelier Bessemer dédié à la matte. L’industriel pourrait envisager de le rouvrir.

RENDEZ-VOUS EN JANVIER

Le calendrier demeure néanmoins restreint, n’a cessé de répéter le ministre. Il est question de mois, voire de semaines. Les actionnaires principaux de KNS et de la SLN ont posé le premier trimestre 2024 comme limite. La survie de leurs usines en dépendrait. « Notre situation financière s’aggrave. Il faut des réponses fortes, très rapides, indique Jérôme Fabre, directeur général de la SLN. Le chemin du retour à l’équilibre repose sur le prix de l’électricité et l’accès à la ressource. » Béatrice Pierre, directrice de Prony Resources, n’a pas non plus caché les « difficultés à court terme » auxquelles fait face l’usine du Sud qui a « besoin de temps » pour montrer toutes ses capacités.

 

TROIS USINES FORTEMENT ENDETTÉES
Koniambo Nickel SAS (KNS)
1 600 milliards de francs (13,7 milliards d’euros)

Société Le Nickel (SLN)

59 milliards de francs (493 millions d’euros)

Prony Resources (PRNC)
18 milliards de francs (149 millions d’euros)

 

Une nouvelle mouture du projet d’accord, prenant en compte les modifications et les suggestions des métallurgistes, des miniers et des collectivités, devait être envoyée dans la foulée de la visite ministérielle. Avec tous les acteurs de la filière, dont le président de la province Nord, en destinataire. « L’enjeu dépasse le nickel, l’enjeu, c’est l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, de son système social, de son développement économique, de sa place dans la région Indo-Pacifique », a alerté Bruno Le Maire. Le ministre espère revenir fin janvier pour signer un accord final.

 

Une école des mines à Nouméa ?

Le ministre de l’Économie souhaite aussi des « dispositifs de formation ». Il propose notamment l’ouverture d’une « École des mines calédonienne à Nouméa ». Un diplôme Métallurgie existe déjà à l’Université de Nouvelle- Calédonie (UNC). Les premiers diplômés ont été recrutés par Prony Resources en juin dernier.

 

Brice Bacquet