Nickel, quelles solutions sur la table ?

Le monde du nickel calédonien traverse une tempête qui pourrait avoir des conséquences économiques et sociales pour l’ensemble du territoire. Au-delà des oppositions politiques entre indépendantistes et non-indépendantistes qui semblent difficilement conciliables, quelles sont enjeux pour la SLN et les options posées sur la table pour l’usine du Sud ?

  • La SLN, un avenir incertain

La SLN est en grande difficulté depuis plusieurs années. Après avoir planché sur sa compétitivité au travers de ses ressources humaines et l’organisation du travail, la SLN étudie un autre des trois axes de son plan de sauvetage, celui des exportations. Elles sont censées compenser le manque de compétitivité de la production métallurgique. Un volet qui cristallise également des oppositions politiques. Le gouvernement a ainsi donné son accord pour le plan d’exportation de quatre millions de tonnes de minerai en avril 2019, mais vient de refuser une nouvelle demande pour deux millions de tonnes supplémentaires. Le plan validé en 2019 prévoyait plusieurs conditions et, en particulier, des teneurs moyennes inférieures à 1,8 % de nickel.

Il était également prévu que la SLN présente des rapports concernant les recrutements pour permettre ses exportations nouvelles, ainsi que les synergies développées avec les autres acteurs calédoniens et en particulier la NMC. Si le gouvernement n’a pas communiqué sur le sujet, la SLN a indiqué avoir exporté près de 2,5 millions de tonnes de minerai, alors qu’elle disposait d’une autorisation de trois millions de tonnes pour 2020. Ce qui interroge donc les élus et que ne dit pas la SLN, c’est pourquoi elle sollicite deux millions de tonnes supplémentaires, alors qu’elle ne semble pas être en mesure d’assurer son plan d’exportation actuel. Il se pourrait que ces autorisations supplémentaires constituent des gages en vue d’une levée de fonds. Toujours est-il que le gouvernement a rejeté, le 27 janvier, la demande de l’industriel*.

Reste qu’au-delà du sauvetage de l’entreprise, cette dernière ne dispose pas véritablement de stratégie de développement à moyen-long terme. C’est ce que réclame notamment Calédonie ensemble et d’une certaine manière les élus indépendantistes. Au-delà du soutien des collectivités calédoniennes, ces responsables politiques en appellent aux actionnaires de la SLN qui nécessitera des investissements pour se maintenir, à commencer très prochainement par le remplacement d’un des fours. Calédonie ensemble demande un audit complet de l’entreprise afin de mieux comprendre les raisons de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le métallurgiste qui s’engage de plus en plus dans la voie de l’exportation.

Des premiers éléments pourraient être apportés par la mandataire ad hoc, qui doit rendre son rapport très prochainement. À noter qu’une autre procédure, de conciliation cette fois, a été engagée. Ces deux procédures ont vocation à remettre sur de bons rails la SLN en définissant les grands axes de travail pour assurer la pérennité des activités. Les blocages sur les différents sites miniers compliquent toutefois la tâche de l’industriel qui devra trouver des solutions sur ce dossier.

*Philippe Germain, membre du gouvernement Calédonie ensemble, justifie son abstention par le fait que le président du gouvernement aurait présenté un arrêté différent de celui qui prévoyait des engagements de la SLN en matière d’investissements et de gestion (apurement des dettes). Engagements qui, selon lui, avaient été pris par la direction devant le gouvernement lors d’une réunion le 15 janvier.

  • Quelles solutions pour l’usine du Sud ?

À l’arrêt depuis près de deux mois, l’usine du Sud attend toujours des décisions qui lui permettent d’envisager un avenir serein. La conférence de presse, organisée au belvédère le 26 janvier et qui a suscité l’indignation de l’industriel, avait pour but de réaffirmer les positions du collectif « Usine du Sud = usine pays » et la détermination de ses membres à aller jusqu’au bout. Les représentants du mouvement ont rappelé leur volonté que soit l’offre associant Prony Resources à Trafigura soit retirée. Ils ont également indiqué leur souhait de voir mis en place un espace de dialogue associant le collectif, l’État, la province Sud et Vale Toronto. Sur le plan environnemental, le FLNKS, l’Ican (Instance coutumière autochtone de négociation) et les autres structures réclament le confortement du barrage ainsi que le lancement des études sanitaires et environnementales au plus tôt. Dernier élément et non des moindres, en cas de refus « de la province Sud d’avancer vers un projet partagé de reprise de l’usine du Sud par une entité calédonienne, la mise en place du plan de mise sous cloche ou de fermeture de l’usine tel que prévu par les textes réglementaires s’imposeront à Vale ».

Les perspectives sont donc plutôt sombres si l’on considère les dernières déclarations de la présidente de la province Sud qui a rappelé sa détermination à faire aboutir la « seule offre aujourd’hui sur la table ». Comme elle l’a précisé, les documents pour confirmer le projet de cession de l’usine de Vale Toronto à Prony Resources ont d’ores et déjà été envoyés. Les démarches visant à finaliser la transaction sont également en cours, c’est le cas des convocations du Comité consultatif des mines ainsi que du Conseil des mines. Un Comité d’information, de concertation et de surveillance (CICS) de l’usine du Sud est par ailleurs prévu le 4 février. Un CICS duquel certaines associations de protection de l’environnement un peu vindicatives comme Action biosphère, Codev Sud ou encore Ensemble pour la planète, ont été écartées. Une assemblée de la province est enfin fixée le 11 février, la veille de la date prévue pour la signature des documents entre Vale Toronto et Prony Ressources.

Si la province Sud avance sur le dossier, la constitution de l’actionnariat reste encore la grande inconnue, notamment la participation éventuelle des communes du Mont-Dore et de Yaté. Et il existe de sérieux risques en termes de sécurité si la reprise devait être effective. Là encore, la présidente de la province Sud a indiqué qu’une solution de sécurisation du site industriel et minier était en cours. Il pourrait s’agir du recours à une société privée de sécurité. Les affrontements qui se poursuivent sur le site et la fin de non-recevoir déposé par le collectif pour le projet Prony Resources ne présagent toutefois rien de bon. Sur les réseaux sociaux des documents font parler. Prony Resources aurait été immatriculée à Paris, son président en serait Antonin Beurrier, résident fiscal de la Polynésie française et serait domiciliée au sein d’un espace de coworking à Paris.

Au-delà de l’offre Prony Resources, d’autres idées ont été mises sur la table. Les indépendantistes envisagent, par exemple, la reprise de l’ensemble du capital de l’usine par la SPMSC, qui regroupe les trois provinces. Seul souci, en dehors des engagements de Vale à financer Lucy et de l’État, la société ne dispose d’aucune liquidité et la situation budgétaire rend difficile le recours à l’endettement. Calédonie ensemble, de son côté, en appelle à l’État pour prendre temporairement le contrôle de l’usine, au travers de ses organismes de participation tels que BpiFrance, Banque publique d’investissement, ou encore l’Agence de participation de l’État, et la nomination d’un médiateur pour faire avancer le dossier. La réponse du ministre des Outre- mer se fait néanmoins attendre.

  • Byms l’outsider 

Depuis maintenant 17 mois, la société Byms porte une proposition de reprise. Elle en est à sa troisième, pour être plus précis. Byms, c’est un groupe calédonien créé en 2007 qui regroupe 22 sociétés œuvrant dans les différents métiers de la mine. Il dispose également de filiales au Kazakhstan, en Chine ou encore en France et affiche un chiffre d’affaires de l’ordre de 1,4 milliard de francs. Au fil des mois, l’offre a été affinée et Byms propose désormais un actionnariat constitué à 49 % pour la Comind (portant les intérêts de Byms et de la banque d’affaires qui apporterait les fonds nécessaires) et 51 % pour le pays et dont la répartition est laissée aux responsables politiques. Il est néanmoins prévu d’associer les communes du Mont-Dore et de Yaté ainsi que les coutumiers.

Afin de répondre aux interrogations des parties prenantes, Byms est allé chercher des partenaires industriels. Des engagements ont été passés avec l’institut des mines Jean-Lamour, à Nancy, ainsi qu’avec un industriel français, en particulier pour les questions environnementales. Sur le fonctionnement, Byms entend conserver l’ensemble des emplois et relancer la production de la raffinerie, notamment grâce à l’expertise de ses partenaires. Détail qui a son importance, le groupe assure, document à l’appui, disposer d’une ligne de crédit de 600 millions de dollars US auxquels pourrait s’ajouter une rallonge de 300 millions, soit près d’un milliard de dollars US. Des fonds dont l’origine peut poser question. Pour le promoteur de cette solution, la banque d’affaires CC-CIB, basée au Maroc et qui s’adosse à des fonds souverains, exerce sur la plupart dans grandes places internationales comme New York, Paris ou encore Shanghai. Yves Mignot, le directeur de Byms présentait le projet, les 26 janvier, dans les locaux de l’USTKE.

  • Les jeunes du Grand Sud déterminés 

La conférence de presse, organisée par le collectif au belvédère de l’usine du Sud, était l’occasion de rencontrer des jeunes issus des tribus du Sud, d’Unia, de Touaourou, de Goro, de l’île Ouen ou encore de l’île des Pins. « Pour nous, la lutte a commencé avec la construction de l’usine, explique le groupe. Nous vivons avec tous les jours et y avons toujours été opposés. On n’a jamais pris en compte notre avis. Le seul moyen de nous faire entendre, c’est de brûler. Ce qui a été cassé ici, ce n’est que du matériel, mais ce qui nous importe, nous, ce sont nos montagnes et elles ne pourront pas être remplacées. On entend beaucoup les salariés de l’usine, les responsables parler d’économie, mais personne ne vient nous demander ce que l’on en pense. Notre environnement, c’est notre vie, ce n’est pas des salaires. Nous défendons l’intérêt de nos familles, de notre pays. On ne veut pas laisser un pays mort à nos enfants et l’on ne comprend pas que l’État défende les intérêts d’une multinationale plutôt que les nôtres, alors que nous sommes des citoyens français. Les seules retombées que l’on voit, c’est de l’embellissement et des trottoirs, mais rien ne change ici. Par contre, nous voyons bien les pollutions. On se pose des questions sur l’eau avec les boues, on voit le blanchissement du corail et il y a moins de poissons. On nous traite de terroristes. Nous ne nous battons pas contre les employés, mais pour notre survie. La seule chose que Vale a fait ici, c’est diviser nos familles. Nous irons jusqu’au bout, même si nous devons laisser nos vies dans ces montagnes, ces montagnes, ce sont les montagnes de nos vieux. »

M.D.

@Martial Dosdane