La discrétion ne fait pas partie de sa personnalité. Nancy, 68 ans, incarne l’excentricité et la joie de vivre. Elle s’exprime à travers des chapeaux uniques qu’elle conçoit à son image.
Ne parlez surtout pas de personnes bien-pensantes à Nancy. « Je ne les supporte pas ! » Il faut dire que le conformisme n’est pas vraiment ce qui la caractérise. La pétillante Nancy est excentrique et le revendique. Elle ne sort jamais sans mettre un peu de couleurs sur ses vêtements, sur ses yeux… et sur sa tête.
Sa touche d’originalité se concentre au sommet de son crâne. D’immenses chapeaux atypiques viennent recouvrir ses cheveux blonds dès qu’elle franchit le seuil de sa porte. Ils racontent l’histoire de Causette des Misérables, les contes de Perrault, les contes de Grimm. Ils représentent le phare Amédée, la Roche percée, l’aérodrome de Magenta, l’usine de nickel. Des couvre-chefs uniques qu’elle confectionne depuis presque dix ans.
Avant, toute son imagination se glissait dans sa crinière. « J’avais les cheveux très longs, je me coiffais avec des thèmes. Si c’était Blanche-Neige, on voyait les nains sur ma tête. » Inquiète pour sa tignasse, sa fille la prévient : « Continue, tu vas t’abîmer les cheveux. » Ça n’a pas loupé.
Quand elle a vu que des bulbes commençaient à partir, Nancy a arrêté les bêtises. Elle a suivi une petite voix intérieure qui lui a dit de transposer sa fantaisie dans des galurins. C’est sur eux qu’elle raconte désormais ses histoires. De vrais tableaux en trois dimensions qu’on peut admirer partout où elle se trouve. « Pourquoi vouloir toujours exposer dans une galerie, attendre des plombes que des gens viennent. Un chapeau, ça se porte ! »
DE L’ART AMBULANT
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a le sens du détail. Des petits personnages en plastique, des paysages en feutrine, des sujets en porcelaine, des bouteilles de parfum. Il y a de tout. « Je mets des objets qui sont rares. Ce n’est pas de la gnognote », assure l’artiste.
Originaire de Russ, un petit village de la vallée de la Bruche en Alsace, Nancy retourne là-bas régulièrement pour chiner dans les brocantes, les antiquaires et rapporter de quoi alimenter sa créativité.
Des chapeaux sur le thème de Noël ? Elle en a au moins une dizaine. Des chapeaux toutes collections confondues ? Oh, pas plus de 175… Ils sont éparpillés entre chez elle et sa meilleure amie. « Nous deux, c’est à la vie à la mort. Quelle amie supporterait tout ça ? », dit-elle en désignant la montagne de chapeaux entassés sur les étagères.
En même temps, l’inspiration, elle l’a tout le temps. « Ça tourne 24 heures sur 24.» Il lui faut entre 20 et 40 heures pour fabriquer un chapeau. Elle travaille de nuit car la journée, elle est bien trop occupée. Une fois qu’il est terminé, elle rajoute une natte qui rappelle son thème. C’est sa petite griffe. Et ensuite ? Et bien elle le met pardi.
« Au marché de Nouméa, je suis connue comme le loup blanc. » Il y a bien eu des regards mauvais, des yeux interloqués. « Au début, ce n’était pas évident, les critiques allaient bon train. Il y avait ceux que ça dérangeait. » Mais Nancy n’allait sûrement pas changer pour eux. Elle ne l’a jamais fait en 68 ans, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va retourner sa veste.
LA CHAPELIÈRE FOLLE ?
Certains de ses chapeaux sont légers, d’autres pèsent trois à quatre kilos. Pour les supporter, l’artiste s’est confectionnée des grands turbans en mousse qu’elle enroule autour de la tête. Même lorsqu’elle voyage en avion, elle les emporte.
Une année, de passage aux Pays-Bas, elle portait le couvre-chef à l’image du pays, avec des moulins qui tournent. Le commandant de l’avion est sorti de sa cabine pour capturer ce moment avec elle. Attention ! Nancy en a parfois ras la casquette. Elle ne se prive pas de le dire aux touristes qui la prendraient un peu trop en photo à son goût. Son but, avant tout, est de se faire plaisir. Puis, aussi, d’apporter du bonheur aux autres.
Au fond, Nancy a gardé son âme d’enfant et elle ne veut pas la quitter. Elle a tellement la nostalgie du temps d’avant qu’elle a recréé toute sa vie sur un chapeau. Il représente « son chez elle » en Alsace, à l’époque où ils faisaient les foins, quand Saint-Nicolas passait. « Je tiens à marquer les mémoires. Pour moi, c’est une manière de rester un peu éternelle », confie-t-elle. Est-ce que Nancy est tombée sur la tête ? Non. Pour elle, le monde entier est fou. « Alors autant l’être jusqu’au bout. »
Edwige Blanchon
Dans son monde
Née en 1955, Nancy est Alsacienne. À 16 ans, elle découvre une exposition du peintre Vincent Van Gogh, à Strasbourg. Déclic.
Elle le sait : la peinture s’imposera dans sa vie. Mais pas tout de suite. À 18 ans, elle mise sur le sport. C’est une sprinteuse à l’avenir prometteur. « J’ai arrêté parce que l’hiver je n’avais pas envie de sortir, en dehors du ski et du patin à glace. »
Elle commence la peinture à 30 ans et propose sa première exposition six mois après. « J’ai obtenu mon diplôme d’arts sciences et lettres en peinture. Gemmanick (artiste peintre calédonienne, NDLR) m’avait pris sous son aile à l’époque. »
Pour sa carrière professionnelle, Nancy choisit le métier d’infirmière. Elle le restera quarante ans. « J’ai commencé dans le circuit général, en chirurgie, en médecine, en cancérologie, aux urgences, j’ai aussi été infirmière scolaire. »
Elle passe vingt autres années en tant qu’infirmière en psychiatrie. Elle travaille en Métropole puis en Nouvelle-Calédonie. « Je suis arrivée en 1982. Je suis restée dix ans, et puis je suis partie. Je suis revenue, repartie… » Elle est revenue définitivement depuis 15 ans. Ses chapeaux remportent un vrai succès à la Coupe Clark, deux fois de suite.
Elle expose une grande partie de ses couvre-chefs deux fois à la galerie Arte Bello. En 2018, Nancy publie son livre Chapeaux en scène qui contient un aperçu de ses créations.
