Mercenaire, un premier film puissant

Quels que soient les prix qui seront décernés ce vendredi sur la programmation internationale, le 18e Festival du cinéma de La Foa restera celui de Mercenaire, le premier long-métrage de Sacha Wolff sur le parcours difficile d’un jeune rugbyman wallisien de Nouvelle-Calédonie en métropole. Récompensé à Cannes, acclamé ici, salué globalement par la critique, ce film, tout à fait édifiant, est promis à un bel avenir.

Si le projet – un peu fou – de Sacha Wolff a germé il y a six ans, « c’est véritablement cette semaine, avoue- t-il, qu’il a pris tout son sens ». Le film doit sortir en janvier prochain dans les salles de cinéma mais le réalisateur s’est fait une joie de le présenter avec son équipe en avant-première au Festival de La Foa.

Mercenaire, c’est l’histoire de Soane (Toki Pilioko), pilier et grand bébé de 111 kg. En Nouvelle-Calédonie, à 19 ans, il est approché, sans grandes convictions, par un certain Abraham (Laurent Pakihivatau) pseudo-agent sportif, qui lui promet un bel avenir dans le monde du rugby en métropole. Soane saisit cette opportunité rêvant surtout de s’émanciper de son père, Leone (Petelo Sealeu), un homme brutal, porté sur l’alcool, son fouet et sa carabine.

Renié par son père, parti sans bagages et sans argent, il tombe de (très) haut à son arrivée en métropole où on le juge d’emblée « pas assez gros ». Abandonné par son « agent » (qu’il doit quand même rembourser), livré à lui-même, il va se battre envers et contre tout pour s’en sortir, dans un « club de merde » semi-pro du Sud- Ouest, payé 400 euros par mois. Cette odyssée conduit Soane, jeune homme doux et touchant, à devenir un homme, un mercenaire, et finalement, à s’émanciper du fardeau paternel.

Genèse

En sortant du cadre du cinéma français, en faisant « converser » le monde des Wallisiens de Nouvelle-Calédonie et celui des petites équipes du rugby français, Sacha Wolff, qui a également écrit le scénario, n’a pas fait le choix de la facilité.

L’idée est partie d’une envie de parler de rugby, sport pas forcément exploité au cinéma mais qu’il jugeait pourtant plein de potentialité à l’instar de la boxe, pour une fiction dramatique et sociale. Puis, un article du Monde évoquant les joueurs étrangers (Roumanie, Géorgie, Afrique du Sud…) et français d’outre-mer qui viennent jouer dans les clubs (souvent pour une saison), l’a convaincu de mener des recherches.

C’est ainsi qu’il est finalement tombé sur « Paki », Laurent Pakihivatau, installé en métropole depuis 23 ans, véritable « clé de voûte de ce projet » qui lui a ouvert les portes de son monde, de sa famille, de ses traditions. « Je n’imaginais pas faire ce film sans venir en Nouvelle-Calédonie, raconte le réalisateur. Quand je suis arrivé je n’étais personne, qu’un petit Zoreille avec son projet et ils m’ont accueilli. Sans eux, je n’aurais pas pu faire ce film ».

Le projet, finalement, s’est construit au fil des rencontres. Et Sacha Wolff a choisi de ne pas travailler avec des comédiens professionnels, mais, comme il aime à le dire, avec des « comédiens en puissance ». Le film s’appuie tout particulièrement sur son héros, filmé de près, captant parfaitement la lumière et passant ses émotions tout en sobriété. Toki évolue au centre de formation d’Aurillac en semi-pro. Les rugbymen et le président du club de Fumel jouent leurs propres rôles. Tous sont des gens que l’« on n’a pas l’habitude de voir » et le résultat est assez bluffant.

Un film océanien

La dimension océanienne s’est du même coup imposée d’elle-même. Avec toute sa force, sa puissance, sa simplicité aussi.

On parle des Wallisiens empreints de religion, de la situation particulière de ces Français que la mère patrie ne ménage pas forcément et, de façon moins évidente, d’une population en marge dans différents territoires. Mais Sacha Wolff insiste : « Je n’ai pas voulu adopter un point de vue ethnographique, comme j’ai voulu rester loin des clichés de cartes postales que l’on pouvait attendre, cela ne m’intéresse pas. Mon but était de construire une fiction, de parler du sport en général, du monde du travail, de l’intégration, d’un père et d’un fils qui essayent de se comprendre et les éléments traditionnels comme la langue, les danses, costumes et coutumes… m’ont aidé à construire l’histoire du personnage. »

Reste une violence intrafamiliale très forte que les spectateurs calédoniens n’ont pas manqué de relever, davantage peut-être que les métropolitains habitués aux films « miroirs » de leurs propres violences. Le fait est qu’il n’y a jamais eu de film de cette ampleur sur les Wallisiens !

« Il y a des choses dans le film qui sont difficiles, admet Sacha Wolff. Je ne voulais pas faire une success-story, quelque chose qui soit une apologie du monde océanien. J’interroge un peu le monde tel qu’il peut être. » Ces scènes ont été particulièrement difficiles à jouer et à tourner, surtout dans un monde plutôt pudique. « Sacha nous a poussés dans nos limites, dans ces zones d’ombre. Mais c’est une face cachée que l’on doit évoquer », dira simplement l’un des acteurs.

Une tragédie sociale

D’autres retiendront davantage la violence, le déchirement de l’éloignement, les nombreux rêves brisés en métropole et parfois aussi le déshonneur familial que peut représenter un retour anticipé.

Dans le public à Nouméa, Sylvain Mafutuna, entraîneur en Nouvelle-Calédonie, a été particulièrement touché par ce film qui pourrait tout à fait retracer sa propre histoire de joueur. « Cela montre avec véracité comment on est perçu et ce qu’il peut se passer quand on est livré à nous- mêmes quand on n’a pas l’habitude d’un nouveau pays, d’une nouvelle mentalité… Il y a aussi ces pseudo agents que ma génération appelait « les négriers ». Cela se retrouve partout dans le sport et c’est une réalité. C’est un parcours du combattant. » Heureusement, dit-il, depuis une dizaine d’années, des gens comme Laurent Paki (qui bizarrement incarne un rôle tout à l’opposé de ce qu’il est) et les entraîneurs comme lui, revenus formés, essayent de préparer la jeunesse au départ.

De son côté notre héros, Toki, évoque la difficulté de finir étranger partout, d’être sans cesse pris en France pour un Maori ou un Samoan. « Personne ne connaît Wallis. Et c’est aujourd’hui une fierté que de faire connaître le monde wallisien en France et à l’international. » Gageons que ce film voyagera, tant il est juste, touchant et remuant.

En attendant, Sacha Wolff, qui aura donné sept ans de sa vie à ce film, a peut être réussi son principal objectif : séduire le public en Nouvelle-Calédonie. Car, ce film, confie-t-il, il l’a « peut- être plus fait pour les spectateurs wallisiens, calédoniens, océaniens, que pour les autres ».

C.Maingourd 

————————————

Mercenaire

Drame français de Sacha Wolff (2016). Durée : 1 h 44.

Avec Toki Piloko, Lliana Zabeth, Mikaele Tuugahala, Lauren Pakihivatau, Petelo Sealeu…

Production Timshel Productions-3 B Productions- Arte France cinéma, avec le soutien de la province Sud (Capac), distribué par  Ad Vitam Distribution. Les ventes internationales sont pilotées par Be for Films.

Palmarès et projections

Mercenaire a obtenu le Prix Label Europa Cinémas à la Quinzaine des réalisateurs du 69e Festival de Cannes. Un label discerné par un jury d’exploitants au meilleur film européen de la section parallèle.

Le film va être projeté en avant-première à La Rochelle, au New Zealand Film Festival fin juillet, au Melbourne Film Festival, en divers endroits de métropole cet été, puis d’autres festivals internationaux avant une sortie officielle en France, en janvier. Il sera également sur Netflix.