Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan : les lignes bougent, même en Nouvelle-Calédonie !

L’accord conclu avec le mouvement « Debout la France » de Nicolas Dupont-Aignan participe à la « dédiabolisation » du Front national de Marine Le Pen. Historique, symbolique, mais sans réelles conséquences électorales sur la présidentielle, il préfigure cependant d’une nouvelle stratégie frontiste aux législatives.

Si elle est élue, il sera son Premier ministre : c’est dit ! Mais, il ne faut pas se leurrer, l’accord conclu fin de semaine dernière, entre les leaders du Front national et de Debout la France a des accents de mariage arrangé. La dot, si elle est bonne à prendre, ne fait pas forcément les affaires de Marine Le Pen. Sur le plan arithmétique, tout au moins.

Au plan national, la candidate du FN, devenue celle « soutenue par le FN », a totalisé un peu plus de 7,6 millions de voix (21,3 % de l’électorat qui s’est exprimé). Nicolas Dupont-Aignan : 1,6 million pour 4,7 % des suffrages. L’addition de leurs suffrages (et on sait que ces calculs tombent rarement juste !) ne fait pas la bascule. Comme le report des votes communistes sur les socialistes pouvait autrefois l’emporter… Ou ceux des centristes sur la droite et vice versa.

Idem pour la Nouvelle-Calédonie qui ne déroge pas à la règle métropolitaine : Marine Le Pen a recueilli 25 290 voix (29,09 %) et Nicolas Dupont-Aignan 2 521 voix (2,9 %), sur un peu plus de 189 400 inscrits. Le candidat de Debout la France ne peut en outre se prévaloir du soutien du territoire. Et si ici la candidate frontiste fait un score au second tour, elle le devra au transfert des voix de droite, qui voudront envoyer un signal fort à Paris : celui d’une Nouvelle-Calédonie qui veut absolument rester française. Et ne sait plus sur quel ton le dire pour se faire entendre.

Non, la victoire de Marine Le Pen n’est pas dans ce mariage avec Dupont-Aignan, mais dans la noce qu’elle fait payer aux partis traditionnels. Le front républicain contre le FN n’existe plus : Dupont-Aignan l’a rendu caduc à droite, alors que Jean-Luc Mélenchon l’avait précédemment fragilisé à gauche. On est bien loin de 2002, où l’un et l’autre serraient les rangs derrière Jacques Chirac face aux 16,86 % de Jean-Marie Le Pen. Mais Marine n’est pas Jean-Marie, chacun l’a compris ! La fille a réussi en grande partie l’opération de dédiabolisation du FN : face au candidat des banques et de l’Europe de Bruxelles, le terreau était fertile, il est vrai. Du coup, le vote frontiste n’est plus honteux.

Ces noces de circonstances ont aussi fait sauter un verrou : celui, pour la droite, de s’allier au Front national. Qui lui aussi a compris qu’il ne parviendrait pas seul au pouvoir. Alors certains rêvent déjà d’une « droite hors les murs », autour de Marine Le Pen, qui picorerait, tant dans l’électorat républicain déboussolé que chez les souverainistes de tout crin. D’où une levée de boucliers immédiate chez Les Républicains pour enrayer tout risque de contagion : nombre de leurs ténors sont montés en ligne à l’instar d’Alain Juppé ou Bernard Accoyer pour « dénoncer cette aventure personnelle et opportuniste » qui conduit « sur le chemin le plus sombre », selon ses termes. D’autres, à l’aile droite du mouvement se sont tus, le regard fixé sur leurs circonscriptions et les législatives de juin…

Sauf peut-être en Nouvelle-Calédonie, où le vote frontiste recoupe la géolocalisation de l’électorat non indépendantiste et où les motivations sont autres. Les déclarations de Macron sur « la colonialisation », qualifiée de « crime contre l’humanité », sont restées en travers de la gorge de plus d’un Calédonien, tout comme son ralliement tardif à la Nouvelle-Calédonie française, après des mois de tergiversations. Ses propositions pour l’outre-mer se résument à l’aménagement d’une vaste zone de villégiature marine… S’il fait près de 13 % sur le territoire, c’est aussi son plus mauvais score national.

Le vote Le Pen en Nouvelle-Calédonie est-il pour autant un « vote refuge » sans lendemain, comme le croit Philippe Gomès, le député sortant de la 2e circonscription ? Ou serait-ce plutôt un signal envoyé, sans frais, à tous ceux qui glosent, au haut-commissariat ou ailleurs, sur l’insécurité « vécue ou ressentie », alors qu’elle pollue complaisamment la vie des Calédoniens depuis des mois. Et, sans que quiconque entérine la notion de « délinquance politique ». De là à imaginer, comme le fait José-Louis Barbançon dans le Club politique de RRB, « qu’une pointure du FN puisse venir se présenter en Calédonie aux législatives, avec Bianca Hénin comme suppléante » il n’y a certes qu’un petit pas. Mais très lourd à franchir.

En retour, cet accord Le Pen-Dupont-Aignan doit aussi heurter la vieille garde frontiste : les électeurs acquis au père, convertis à la fille. Pour eux, alors que la perspective du pouvoir se dessine enfin, voilà que l’on promet déjà Matignon à un extérieur au parti… De quoi nourrir quelques rancœurs, en effet ! Alors, si Marine Le Pen a accru son audience avec son accord souverainiste, elle n’a pas forcément élargi sa base électorale.

M.Sp.