Depuis juillet dernier, Marie-Laure Williams sillonne les tribus de Poum pour proposer des produits d’épicerie. Une offre salutaire dans cette commune isolée et confrontée à la crise du nickel.
Pour Marie-Laure, l’épicerie ambulante est plus qu’un travail, c’est un vecteur de lien social. Car à Poum, la fermeture de la mine SLN et de la Sonarep a entraîné celle de la station-service et du principal magasin de la commune, rendant la vie des habitants, déjà passablement isolés, encore plus compliquée. Sans compter l’argent qui ne rentre plus, beaucoup de familles vivant de la mine directement ou indirectement. « Pour aller faire les courses à Koumac, soit vous avez la chance d’avoir quelqu’un qui peut vous emmener en voiture, soit vous devez y aller en bus, payer le car et perdre la journée », raconte Marie-Laure.
De ce constat est née l’envie de développer une activité « qui amènerait les produits essentiels au plus près des habitants ». Du pain, du riz, des conserves, du poulet surgelé, mais aussi des paniers de légumes d’un maraîcher de Koumac, ou encore des glaces, une idée du mari de Marie-Laure, natif de Poum. « Moi je n’y aurais pas pensé, mais il m’a dit : “Ici, c’est un vrai petit luxe. Quand tu vas faire tes courses à Koumac, tu ne peux pas prendre de glaces, elles ne tiennent pas.” Alors un cornet, ça fait rêver les enfants. »
Lancée le 17 juillet, l’activité de Marie- Laure a trouvé sa place, bouche à oreille aidant. Au « lot », à mi-chemin entre l’embranchement du village et la tribu de Tiabet, les habitants se retrouvent sous le baraquement de tôle en bord de route qui fait office de petit marché ou d’arrêt de bus, c’est selon, pour attendre le passage de l’épicière. Ailleurs, un pochon accroché à un niaouli signale une demande d’arrêt d’un client. D’Arama à Malabou en passant par Boat Pass et le village, le camion de Marie-Laure est désormais attendu de tous. Une source de joie pour la jeune quadragénaire à l’accent chantant de Bordeaux, qui a toujours vu en Poum son havre de paix.
DE SECRÉTAIRE MÉDICALE AUX MARAIS SALANTS DE POINGAM
Arrivée en Nouvelle-Calédonie il y a 10 ans, après avoir tout quitté et vendu sa maison, Marie-Laure atterrit d’abord à Nouméa et se souvient « d’une intégration difficile au début. J’avais vu le pays de rêve, mais il y avait aussi la réalité du monde du travail et les difficultés que l’on rencontre nécessairement quand on doit s’intégrer à une nouvelle culture ». La secrétaire administrative de formation multiplie les expériences, « chez Cartopac par exemple, mais j’ai aussi été secrétaire médicale. Je n’y connaissais rien, mais ça m’a beaucoup appris sur le pays parce qu’on partait, avec la médecin pour qui je travaillais, faire des campagnes de vaccination contre le papillomavirus. Là, je me suis rendue compte de la situation que vivaient certaines jeunes filles : elles nous racontaient des expériences compliquées, il y a des histoires qui m’ont vraiment émue. »
Alors la jeune femme prend l’habitude de venir se ressourcer à Poingam. De fil en aiguille, elle finit par travailler aux marais salants et à la distillerie d’huiles essentielles. « On faisait tout à l’ancienne, sur un cahier, mais j’en garde un souvenir génial », raconte Marie-Laure, qui habite sur place et rencontre bientôt le nouveau comptable du Relais de Poingam, garçon de la région qui a tout plaqué à Nouméa pour rentrer dans sa tribu natale et qui est aujourd’hui son mari. Après un retour sur Nouméa non concluant, « en plein Covid », le couple décide de revenir à Poum. Croyants, ils s’investissent ensemble dans l’association protestante Dorcas. « C’est là que j’ai découvert à quel point les courses pouvaient être un casse-tête pour certaines familles. »
Le projet d’épicerie ambulante mûrit et finit par se concrétiser, avec un prêt d’Initiative NC et une subvention de la province Nord obtenus en début d’année. Mais entre les business plans, les démarches administratives et autres embûches, Marie-Laure le reconnaît, elle a « failli abandonner plus d’une fois. Mais à chaque fois je croisais quelqu’un des îlots ou des tribus qui me disait : « Quand est-ce que tu viens avec le camion ? » Et aujourd’hui, tous ceux-là, ils sont toujours au rendez-vous pour m’acheter quelque chose, alors je me dis que j’ai bien fait. »
Signe de la solidarité des gens de Poum, un petit pot de verre trône sur le comptoir de Marie-Laure. Ceux qui le peuvent y laissent le « restant de monnaie » : il servira à compléter le paiement de ceux qui se trouvent dans le besoin.
Charlotte Mannevy