Macron-Le Pen, encore

A man walks by campaign posters of French presidential candidates, incumbent president Emmanuel Macron (L) and French far-right party Rassemblement National (RN) presidential candidate Marine Le Pen in Denain, on April 11, 2022. - Emmanuel Macron won 27.85 percent of votes in the first round of France's presidential election, while far-right veteran Marine Le Pen scored 23.15 percent, according to final results from the interior ministry on Monday. The results allow both to advance to a run-off, while far-left leader Jean-Luc Melenchon came in third at 21.95 percent, knocking him out of the first round but still a higher score than many polls had predicted. (Photo by Ludovic MARIN / AFP)

Le duel entre les finalistes de 2017 aura donc bien lieu. Emmanuel Macron est arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril devant Marine Le Pen. Les projections à l’échelon national font craindre un match plus serré qu’il y a cinq ans.

Le président sortant a obtenu 27,8 % des suffrages, soit 9,7 millions de voix, contre 24 % il y a cinq ans. Emmanuel Macron a acquis de l’expérience et s’est installé comme le candidat du centre droit et de la droite. Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, en lice pour la troisième fois, obtient 23,15 % des voix (8,1 millions d’électeurs) contre 21,3 % en 2017 et 17,9 % en 2012. Sa campagne de « dédiabolisation » ‒ servie par le positionnement plus extrême d’Éric Zemmour (7 %) ‒ a parfaitement fonctionné.

Avec près de 22 % et 7,7 millions de bulletins, Jean-Luc Mélenchon gagne une place en troisième position (11,1 % en 2012 pour le Front de gauche, 19,5 % en 2017 avec La France insoumise). Moins de 500 000 voix le séparent de Marine Le Pen. LFI est devenue la plus grande formation de gauche. La France est à nouveau éclatée entre trois grandes forces, qui profitent ou ont causé l’effondrement des traditionnels Républicains (4,7 %) et Parti socialiste (1,75 %).

TRIPTYQUE

Emmanuel Macron s’impose chez les plus aisés, les cadres, les professions libérales, les retraités, les inactifs, dans les grandes villes et incarne la continuité d’une politique libérale, le vote rassurant. Marine Le Pen domine dans les classes populaires, les campagnes, auprès de ceux qui « subissent » la mondialisation, la désindustrialisation, l’immigration. Elle est également en tête chez les 25-34 ans.

Jean-Luc Mélenchon est plébiscité chez les 18-24 ans, les étudiants, les professeurs, les classes moyennes, les quartiers populaires et mixtes des grandes villes où il fait d’excellents scores, et les outre-mer, en particulier aux Antilles. Il incarne une volonté sociale et toujours une insoumission au pouvoir en place. On peut aussi imaginer qu’il a bénéficié d’un vote « utile » notamment des électeurs sensibles à l’environnement, les Verts n’ayant pas convaincu (4,6 %) malgré l’enjeu.

Si Emmanuel Macron a fait le plein de ses voix à droite et que Marine Le Pen s’en sort bien malgré Zemmour, les électeurs de la France insoumise ont un goût amer : avec toutes les voix de gauche (Verts, PS, PCR, etc.), ils « auraient pu » disent-ils, faire la différence (et défendre l’écologie au second tour). Peut-être aussi que Jean-Luc Mélenchon n’a pas réussi à rassembler ni à convaincre les abstentionnistes qu’on imagine opposés au pouvoir. Au global, la gauche réunie pèse environ 32 % des suffrages, comme le centre et la droite, comme l’extrême droite. Un bulletin sur trois est allé vers Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan.

TOUS CONTRE MACRON POUR LE PEN

Pour le deuxième tour, Marine Le Pen veut rassembler tous ceux qui ne veulent plus d’Emmanuel Macron. Après la « femme d’État », son slogan est désormais « Pour tous les Français ». Sur sa nouvelle affiche, son nom et celui du parti ont disparu. Un appel a été formulé aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon dont 28 % pourraient se tourner vers le Rassemblement national (43 % pour Macron, 29 % vers l’abstention). « Soyez de vrais insoumis, (…), n’allez pas sauver la tête d’Emmanuel Macron et signer pour la retraite à 65 ans », a ainsi déclaré Sébastien Chenu, porte-parole du RN. L’appel concerne également les potentiels abstentionnistes. « S’abstenir revient à réélire Emmanuel Macron », dit la candidate. Marine Le Pen axe son argumentaire sur le pouvoir d’achat, la critique du bilan du Président, les divisions, les injustices sociales, le « mépris » du peuple, le « laxisme » en matière de sécurité et d’immigration. Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan lui ont apporté leur soutien.

UNITÉ ET SÉRIEUX POUR MACRON

Emmanuel Macron doit aussi convaincre au-delà de son camp, à gauche et chez les abstentionnistes. L’idée est de miser sur son sérieux, d’insister sur les propositions sociales (un repositionnement, notamment sur la retraite). Son camp veut aussi expliquer que la victoire de l’extrême droite est possible sans trop moraliser. « Marine Le Pen peut gagner », martèlent les macronistes. Emmanuel Macron veut l’affronter sujet par sujet, discréditer son programme, insister sur ses promesses intenables, ses erreurs, son positionnement international (son rapport à Vladimir Poutine), ses revirements sur l’Europe (« cette élection est aussi un référendum sur l’Europe ») montrer comment se porterait la France avec elle, la raccrocher à Éric Zemmour.

Le Président ne semble pas miser sur le front républicain, fragile comparé à 2017 ou 2002. Anne Hidalgo, Fabien Roussel, Yannick Jadot le suivent. Valérie Pécresse a dit qu’elle voterait pour lui en son nom comme certains ténors de son parti. Mais les Républicains se sont contentés de dire qu’il ne fallait accorder « aucune voix » au RN. C’est également la position de Jean-Luc Mélenchon, qui doit encore consulter ses parrains, ou encore de Philippe Poutou. Jean Lassalle votera blanc et Nathalie Arthaud ne se prononce pas. Le Président s’est dit « pleinement conscient » que ces soutiens ne visent pas son projet. Il appelle à un « grand mouvement d’unité et d’action ». Mercredi, il était crédité de 54 % des suffrages, Marine Le Pen 46 %.

Chloé Maingourd

© Ludovic Marin / AFP