L’insupportable cercle vicieux du laisser-faire et du déni

Encore de la violence, des blocages, encore et toujours l’instrumentalisation de la peur et la menace du fameux « jour d’après ». Presque oubliés dans ce nouvel épisode, les Calédoniens ont une nouvelle fois été privés de leur liberté de circuler, d’échanger, tout simplement de vivre normalement. Que valent face à cela les missions d’experts, les rapports de spécialistes de la sécurité et de la prévention de la délinquance, les propos lénifiants de responsables politiques ou coutumiers expliquant qu’il faut se pencher sur une jeunesse en rupture de repères ?

L es évènements qui se sont déroulés tout au long du week-end dernier à Saint-Louis sur la commune du Mont-Dore mais aussi sur la RT1 à hauteur des Riz de Saint-Vincent sur la commune de Païta posent et reposent des questions essentielles auxquelles semble-t-il personne ne veut répondre.

Et c’est d’autant plus irresponsable qu’approche la perspective du référendum de sortie de l’Accord de Nouméa, porteur, de par la nature binaire des questions envisagées, de risques évidents de tensions communautaires.
Il ne fait aucun doute que, s’il existe certainement des causes profondes et un malaise pour ne pas dire un mal-être d’une certaine jeunesse essentiellement kanak mais pas seulement, le laxisme qui prévaut à tous les étages depuis des années doit être pointé du doigt et dénoncé avec vigueur.

Des règles, pour tous

Si depuis 1988, la Nouvelle-Calédonie est entrée dans une nouvelle phase de son histoire récente, si depuis les accords de Matignon et de Nouméa, de nombreuses compétences ont été transférées, ce sont bien les règles de la République qui prévalent sur l’ensemble du territoire, à Saint- Louis comme ailleurs.

Dans ces conditions comment ne pas s’étonner qu’une population jusqu’à présent responsable ne s’alarme pas de voir bafouer les lois élémentaires qui constituent pourtant le socle de notre vivre-ensemble. Comment ne pas comprendre la colère profonde des habitants du Mont-Dore et d’ailleurs, quand ils constatent qu’un jeune, multirécidiviste, évadé du Camp-Est depuis 15 mois, vit tranquillement au sein de sa communauté, entouré de ses amis, de sa famille, de son clan ?Comment accepter, sans effarement, que des groupes de jeunes voyous aient la main sur un stock d’une soixantaine de voitures, volées pour plupart dans les quatre communes de l’agglomération ? Faut-il se résigner à inscrire la tribu de Saint-Louis,comme d’autres à Thio, Canala ou Houaïlou, sur la liste des territoires perdus de la République ?

Déni

Il n’est pas non plus interdit de se demander par quelle aberration de l’esprit ou par quelle altération des facultés cognitives, des leaders d’opinion peuvent justifier de tels comportements. S’ils sont indépendantistes, doit-on en déduire que c’est là leur vision du « jour d’après » ? S’ils prônent la « chienlit », qu’ils aient l’honnêteté de le dire clairement, d’annoncer la couleur. S’ils sont ici ou en métropole, garant des libertés publiques, qu’ils nous éclairent sur cette forme insupportable de laisser-faire et d’impunité. S’ils sont dépositaires du pouvoir issu des urnes, qu’ils nous disent quels moyens ils comptent mettre en œuvre pour mettre hors d’état de nuire tous ceux qui se rendent coupables de crimes et de délits.Et s’il est une constante intolérable dans cette triste escalade qui fait peser un sourde menace sur l’avenir, c’est le déni affiché dès lors qu’il s’agit de dire les choses telles qu’elles sont.

À ce titre, les indépendantistes portent une lourde responsabilité dans la nature du message qu’ils adressent à leur électorat depuis trente ans. C’est pourquoi, ils doivent dire, pourquoi pas à l’occasion du Comité des signataires de lundi, s’ils se sentent toujours engagés dans les accords successifs qui font de la Nouvelle-Calédonie une société pluriculturelle assumée.
Ils doivent enfin convenir solennellement qu’ils sont prêts à accepter le verdict des urnes, y compris dans l’hypothèse où la réponse des citoyens calédoniens serait de rester dans la France.
« Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » disait Boileau et il y a manifestement dans cet adage une résonnance à ce qui se produit ces temps-ci. Faute d’envisager un avenir sans équivoque, les slogans fusent, souvent contradictoires et laissent la population au milieu du guet, sans guide ni garde-fou. C’est là le terreau à tous les extrêmes et à toutes les dérives.

C.V.

Photo AFP/F.Payet