Les Tours de Magenta, le laboratoire

La résidence historique n’attire plus les locataires. Même les appartements rénovés peinent à trouver preneur. En cause, un bâti et un climat dégradés depuis plusieurs années. La cité a été retenue pour y impulser une nouvelle dynamique. Reportage.

« On est les premiers à tester ce dispositif d’habitude mis en place en tribu, on est un peu des cobayes », sourit Mado, 34 ans. Résidente aux Tours depuis 2016, elle participe avec sept autres locataires au premier chantier d’insertion qui se tient au pied des immeubles. Un avantage indéniable. « Le travail est venu à nous, on n’a pas à se déplacer. En plus, il n’y a pas d’âge ou de diplôme requis, seule la motivation compte. »

Depuis février et jusqu’au mois de novembre, les jeunes ont dix mois pour installer des workout dans le parc. Le moyen de s’échapper du quotidien. « On est moins dans nos soucis, cela permet de nous occuper l’esprit. » Et de nourrir une expérience formatrice. Mado se voit poursuivre dans cette voie. « Je pense que ça peut nous ouvrir des portes, pourquoi pas me diriger vers la comptabilité dans le milieu du terrassement ? »

Les liens entre les jeunes, qui habitent tous aux tours, s’en retrouvent aussi renforcés. « Cela a développé notre esprit d’équipe. Au début, c’était un peu dur, mais après un mois, tout le monde s’est intégré. » Et puis, souligne Mado, il n’y a eu aucun vol de matériel depuis le début du chantier. « On dirait qu’il y a une forme de respect parce qu’on est d’ici. »

Mado vit aux Tours depuis six ans. Elle veut se servir du chantier d’insertion, auquel participent aussi les familles locataires en préparant le repas du midi (contre rémunération) comme d’un tremplin pour poursuivre sur une autre formation. 

 

Cours de musique, école du dimanche et snack

Ce chantier, financé par la province Sud et encadré par l’association Active, s’inscrit dans le cadre de la politique de « renouvellement urbain » que la SIC souhaite mettre en place dans des sites anciens cumulant densité et difficultés sociales, comme Tindu, Pierre-Lenquette et Saint-Quentin. Les Tours en sont les premiers bénéficiaires, en partenariat avec la province Sud, la mairie de Nouméa et Mieux Vivre à Magenta Tours. L’association de locataires agit notamment auprès des moins de 13 ans. « On part du principe que ce sont nos enfants qui font les dégradations et que cette délinquance est de notre responsabilité », indique Ézéquiel Waneux, le président.

Outre les études, en place du lundi au vendredi après l’école, les enfants sont sensibilisés à l’environnement et à la propreté avec l’association Olétri qui intervient le mercredi et, nouveauté, « l’école du dimanche », tournée sur l’éducation, est proposée depuis peu. Des cours de musique vont également bientôt être dispensés par les grands frères. Pour les plus âgés, place à la chorale deux fois par semaine.

Ézéquiel Waneux nourrit d’autres projets, dont l’ouverture d’un snack associatif, « un lieu de partage », la tenue d’un autre chantier d’insertion l’an prochain, cette fois pour restaurer le parc de jeux pour enfants. Il sollicite également la création d’une salle de gymnastique pour les seniors ainsi que la réalisation d’une case. Enfin, l’aménagement de nouvelles parcelles de jardins familiaux a été demandé à la mairie.

Léon Vama, trésorier adjoint de l’association Mieux Vivre à Magenta, est chef cuistot (notamment de l’ancien restaurant L’Assiette du Cagou au Quartier-Latin). C’est lui qui doit s’occuper du futur snack associatif. Il souhaite notamment valoriser les plantes locales qui poussent sur les parcelles des jardins familiaux cultivées par les résidents.

 

Activité économique, sportive et rénovation

La SIC essaye d’attirer les entreprises en les exonérant de charges au début. L’île Ô pépites, société de vente en ligne de vêtements de seconde main pour enfants, vient de s’installer et doit organiser des boutiques éphémères pour animer le site. Le bailleur envisage également, avec les Kimonos du cœur, la mise en place d’un dojo solidaire.

Parallèlement, la rénovation des logements et des parties communes se poursuit. Mais cela reste insuffisant face à la dégradation du bâti, déplore Ézéquiel Waneux. « C’est vieux, le matériel se détériore, les appartements, les escaliers et les ascenseurs sont en mauvais état, sans compter les nuisances et les tags. On aimerait aussi que les travaux soient davantage contrôlés, ce qui pourrait être fait par une petite société des tours, et que les résidents participent davantage à l’entretien des locaux. »

Pas de compromis, pour Marie, assise à l’entrée de la tour C. « Il faudrait tout refaire », lance cette locataire depuis 37 ans. « La génération d’avant, c’était différent. À l’époque, c’était nickel », se rappelle celle qui ne se voit pourtant pas quitter le coin, très bien situé, parce qu’elle y est « habituée ».

Ézéquiel Waneux, président de Mieux Vivre aux Tours de Magenta, Noël Wahena, secrétaire adjoint, et Léon Vama, trésorier adjoint, devant le local de l’association, situé au cœur de la cité.

 

« Pas la même ambiance »

Les anciens regrettent ce « temps d’avant », celui où il faisait bon vivre dans le quartier. « J’ai grandi dans la D2 dans les années 1970 et 1980. Il y avait alors les militaires, les agents de la Westpac, et tout le monde s’entendait bien, témoigne Joanna. Aujourd’hui, ce n’est pas pareil, il n’y a pas la même ambiance. » Un environnement qui explique la vacance des logements. Les Tours n’attirent pas. « Il y a de la méfiance entre voisins et de l’insécurité. Il faut vivre de façon plus communautaire, être plus ouverts les uns envers les autres », insiste Ézéquiel Waneux.

Si le projet en cours semble être un début, la bonne formule a-t-elle été trouvée ? Combien de temps faudra-t-il pour inverser la tendance ? « Il y a tous les ingrédients pour réussir », assure Benoît Naturel, directeur de la SIC, qui va consacrer 1,2 milliard de francs aux Tours sur les trois ans venir. Mais, beaucoup reste encore à inventer.

 

Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)