Les feux australiens, annonciateurs du pire

Plus de 10 millions d’hectares carbonisés, une trentaine de victimes, une estimation d’un milliard d’animaux tués, plus de 2 000 maisons détruites, des milliers de déplacés… L’apocalypse climatique pourrait avoir démarré, cet été, en Australie. Cela suffira-t-il à nous faire réagir ?

Depuis samedi, de violentes précipitations s’abattent sur l’est et le sud-est de l’Australie. Les fumées ont laissé place aux inondations, aux coupures de courant, des axes routiers majeurs ont dû être fermés, des mois de pluie sont tombés en seulement quelques heures. On parle des plus fortes précipitations depuis dix ans dans le Queensland, d’une grêle destructrice à Canberra, d’immenses tempêtes de poussière en Nouvelle-Galles du Sud. L’île continent n’en a pas fini avec le déchaînement des éléments.

Heureusement, la pluie est au moins favorable aux incendies destructeurs qui n’en finissent pas de sévir. Les orages ont éteint ou empêché la progression de certains feux, offrant un peu de répit aux pompiers, physiquement et mentalement exténués. Parmi les bonnes nouvelles : les pompiers ont enfin réussi à contenir le feu de Kangaroo Island, après trois semaines de bataille intense.

Mais « la crise est loin d’être terminée », ont prévenu les autorités. Plus de 60 feux brûlaient encore, mardi, dans le New South Wales (Snow Valley, Gospers Mountain…), selon les médias, une vingtaine dans le Victoria (Gippsland…). Par endroits, l’eau a rendu impossible l’utilisation des bulldozers ou des écobuages comme moyens de lutte. L’air s’est assaini, mais Sydney, Canberra et Melbourne figuraient encore, en début de semaine, parmi les villes les plus polluées au monde. Une reprise du danger est attendue dans les jours prochains, une fois cet épisode humide passé.

PETER PARKS / AFP

Pertes immenses

Depuis le mois de septembre, soit cinq mois, l’Australie, en particulier sur son flanc Est, est en proie à des incendies colossaux et incontrôlables. Une situation sans précédent par son ampleur et sa durée.

Si les feux de brousse sont communs à cette époque et participent même à la régénération des écosystèmes, cette saison, ils ont pris une dimension catastrophique. En cause, une vague de chaleur et de sécheresse historique, couplée à des vents soutenus. L’Australie a connu son mois de décembre le plus chaud, l’année la plus chaude et la plus sèche depuis le début des relevés météorologiques.

Les feux ont pu être causés par des éléments organiques transformés en combustibles par la foudre, mais aussi par la présence ou la négligence humaine (réseau électrique, ferroviaire, routier…). Les vents ont fait voyager les flammes. Des phénomènes étranges ont été observés comme ces énormes nuages épais, issus des incendies et produisant à leur tour des « orages de feu » ! Des nuages épais ont recouvert le ciel, les villes, et se sont déplacés dans le Pacifique… Les pompiers ont expliqué n’avoir jamais vu cela de leur carrière.

Au total six millions de personnes ont été concernées par les feux. Une trentaine de personnes sont décédées, dix millions ont été intoxiquées par les fumées. 6 000 bâtiments ont été détruits, dont 2 000 habitations et des terres agricoles. Les assurances auraient pour l’instant évalué à 700 millions de dollars la facture occasionnée par les feux de forêt (9 000 dossiers déposés). Ce bilan humain et matériel est pourtant relativement faible comparé aux risques potentiels de ces feux.

La perte pour la biodiversité, elle, est indescriptible. L’Australie aurait perdu plus d’un milliard d’animaux dont 800 millions dans la région de Sydney, sachant que ce calcul ne compte que les mammifères, les oiseaux et les reptiles, mais pas les insectes, amphibiens, chauve-souris… Le koala, animal particulièrement vulnérable, aurait vu sa population diminuer de 30 % en Nouvelle- Galles du Sud. Plus de 30 000 auraient péri dans la réserve de Kangaroo Island, dans le sud de l’Australie méridionale.

En ce qui concerne la flore, 80 000 m2 de terres, de forêts sont parties en fumée. Des sites exceptionnels ont été durement touchés : 80 % de la forêt d’eucalyptus des Montagnes bleues, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a été brûlée, 50 % des réserves de la forêt tropicale de Gondwana.

On sait que le feu, en Australie, fait partie des cycles saisonniers, qu’il a une utilité. La question est de savoir si de tels dégâts écologiques, colossaux et répétitifs, permettront effectivement une résilience.

« Wake up call »*

Les Australiens, mais pas seulement, garderont longtemps en mémoire les images de ces « mégafeux » de la taille de pays européens, des villageois de la station balnéaire de Mallacoota, retranchés sur une plage et obligés de s’évader sur un bateau de l’armée, de koalas aux pattes brûlées, de troupeaux anéantis sur le bord des routes, de forêts millénaires décimées. Ils se souviendront de l’épais ciel gris et enfumé, de son odeur, son âcreté. De ces proches évacués des fermes et inquiets pour leur bétail.

Depuis, le désarroi a laissé un peu de place à la colère. À la crise humanitaire et écologique s’est ajoutée une crise politique. Le Premier ministre, Scott Morrison ou « ScoMo », aura beau finaliser ses plans de relance de deux milliards de dollars pour les villes les plus touchées, organiser des tables rondes pour définir les prochaines étapes de l’intervention du gouvernement fédéral, il s’est brûlé les ailes durant cette catastrophe. Ses vacances ont été trop longues, son implication trop distante, sa propension à ne pas affronter le phénomène du changement climatique insupportable pour beaucoup.

Les Australiens sont terriblement affectés par cet épisode. Il y a eu des précédents, certes, mais ils sentent bien qu’un tournant a été franchi. La production de charbon, la destruction de la Barrière de corail… ont un goût terriblement amer. Cet amas de flammes, est-ce donc l’avenir qu’il leur est réservé ?

La question hante au-delà de l’île continent comme en Nouvelle-Calédonie, victime elle aussi d’une sécheresse grandissante. L’environnement semble nous presser à agir. Mais cela sera-t-il suffisant ?

Peut-être faudra t-il attendre que le réchauffement climatique menace l’économie. On n’en est pas loin… Pour la première fois le Forum économique mondial, dans son « Global Risks Report » a placé cinq problèmes environnementaux parmi les risques les plus susceptibles de menacer nos sociétés d’ici à l’horizon 2030 : la météo extrême, l’inaction climatique, les catastrophes naturelles, la perte de la biodiversité et les catastrophes environnementales causées par l’activité humaine. Le risque comportant l’impact le plus fort sera l’inaction climatique dont tous les pays du monde sont accusés notamment par la jeunesse.

*Prise de conscience

C.M.

©AFP