Les éternelles prolongations de Pierre Guillot

Pierre Guillot, « c’est LA référence du football calédonien », insiste le journaliste Anthony Fillet. « Il mériterait dès maintenant un stade à son nom. » (© Anthony Fillet)

Entré aux Nouvelles calédoniennes en 1978, le journaliste sportif a couvert neuf éditions des Jeux du Pacifique et des milliers de matchs. Ni la retraite, ni un AVC, ni l’arrêt des rotatives n’ont stoppé celui qui, à 80 ans, continue de suivre la Super Ligue de football.

Il observe les joueurs comme il a observé leurs pères et leurs grands-pères. Près du milieu du terrain, chasuble officielle sur le dos, appareil photo en main. Pierre Guillot est à son poste. Une bonne photo, quelques notes sur son carnet. Le lendemain, ses mots lui ressembleront : sobres, efficaces. Jamais de tacle assassin. « Il ne se met pas en avant mais, au contraire, fait briller les autres humblement », salue Anthony Fillet, ancien chef du service des sports des Nouvelles calédoniennes. Rigoureux, rapide et efficace : l’aîné est « un modèle pour tout journaliste ». « Avec Pierre, c’est toujours factuel, il se passe des commentaires superflus. Et c’est un récit à la minute près, au gramme près », confirme le photographe Thierry Perron, qui fut son collègue pendant près de 35 ans. « Quand je suis entré aux Nouvelles, en 1987, c’était déjà un pilier de la rédaction. Pierre, c’est LE journaliste de terrain. Celui qui connaît toutes les équipes, tous les joueurs. » Tous les sports, aussi.

L’UN DES RARES CONNAISSEURS DU CRICKET

Pierre Guillot a couvert neuf éditions des Jeux du Pacifique, de Suva 1979 à Port-Moresby 2011, des tours de Calédonie à en perdre le compte, et davantage de matchs de foot et de cricket que tous les autres journalistes du territoire réunis. « Il est l’un des rares journalistes, l’un des rares non-Kanak qui comprend les règles du cricket. Il a l’œil. On voit dans ses photos qu’il connaît parfaitement la logique du jeu », explique Steeven Selefen, dont Pierre avait réalisé le portrait en 1995, du temps où il était capitaine de l’AS Lössi.

Désormais directeur technique de la Ligue, il constate que le journaliste, si discret, s’est fait remarquer pour ses qualités humaines. « Il a toujours été avec nous. Parfois, on a partagé le bougna. Il s’est fondu dans notre paysage. »

QUATRE DÉCENNIES DE VOYAGES

Chez Pierre Guillot, la passion du sport a précédé le journalisme : jusqu’à ses 35 ans, en 1978, il occupait le poste de comptable dans l’entreprise familiale de construction. « C’est Michel Paties, le directeur tech- nique, qui m’a fait entrer aux Nouvelles calédoniennes. Il cherchait quelqu’un au service des sports, et moi j’étais bon en français même si j’ai raté mon bac », se souvient l’ancien élève du collège Lapérouse, qui a vécu sa carrière rêvée. « J’ai voyagé partout : aux Salomon, à Norfolk, à Guam… En Coupe de France de foot, j’ai suivi les déplacements des grandes équipes de Gélima, de Saint-Louis, de Baco. »

Il garde un souvenir ému de ces tours de Calédonie où le rédacteur en chef adjoint Jacques d’André, pilote privé, atterrissait à Koumac, récupérait les pellicules et regagnait illico Nouméa, où les précieuses « péloches » étaient développées dans la pénombre du labo photo.

« NOSTALGIQUE » DE CET ÂGE D’OR DE LA PRESSE

Sur le terrain comme dans l’ancienne rédaction exiguë de la rue de la République, d’où il entendait claquer les grenades pendant les Événements, Pierre Guillot estime avoir vécu un certain âge d’or de la presse. « Je suis nostalgique… Chacun avait sa rubrique. On avait trois photographes, des moyens. Le métier a évolué en mal. »

Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre. Après sa retraite en 2008, après un AVC en 2015, il continue de piger pour le service des sports. Après la liquidation du journal, début 2023, il ouvre une page Facebook où il publie ses comptes rendus de matchs de foot, dont il fait bénéficier bénévolement les Nouvelles, depuis leur résurrection sur le web. Tant qu’il y aura des matchs, Pierre Guillot jouera les prolongations.

Gilles Caprais