Les Églises protestantes du Pacifique en soutien à l’autodétermination

L’événement, organisé par l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie (EPKNC), a réuni à l’Université près de 300 délégués issus de 28 Églises du PCC et partenaires. L’Église catholique était invitée en observateur. / © C.M.

La conférence des Églises du Pacifique (PCC) devait réaffirmer ce jeudi 23 novembre son franc soutien à l’autodétermination du territoire. Dans une longue tradition de « fraternité » culturelle océanienne.

« Vous faites partie de nous, vous appartenez à la maison et au peuple du Pacifique plus que vous appartenez à l’Europe. » C’est en ces termes que le révérend Tevita Havea, modérateur tongien du PCC, a clamé en ouverture de la conférence la « vision » de l’orga- nisation œcuménique pour la Nouvelle- Calédonie, développée depuis 57 ans et son assemblée inaugurale à Lifou. « L’autodétermination fait partie de cette vision (…) Nous sommes là pour faire ce voyage avec vous », a-t-il assuré, invoquant ensuite le concept kanak Do Kamo (homme en devenir) placé au cœur de l’événement.

Le révérend fidjien James Bhagwan, secrétaire général, a promis des « déclarations fortes ». L’indépendance est défendue par l’EPKNC (Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie), c’est une « issue attendue en bout de course » pour le révérend qui préfère néanmoins insister sur la construction d’une nation multiculturelle bien dans sa peau. Le pasteur Var Kaemo, président de l’EPKNC, Victor Gogny, du Sénat coutumier et Roch Wamytan, du Congrès, avaient fait part des « aspirations profondes » du peuple kanak. Ils ont trouvé pour leur trajectoire d’émancipation un soutien réaffirmé des Églises protestantes océaniennes.

« DEUX JAMBES DE L’ÊTRE HUMAIN »

La 12e assemblée générale s’est aussi penchée sur le cas de la Polynésie française, de la Papouasie occidentale et des Aborigènes après le référendum australien. Gilles Vidal, professeur de l’Institut protestant de théologie et représentant de la Cevaa (communauté évangélique d’action apostolique), rappelle que dans le Pacifique, « on trouve toujours cette alliance entre le politique, le religieux, le culturel », avec cette idée que « la politique et la religion vont ensemble, un peu comme les deux jambes de l’être humain ».

Il est ainsi tout à fait commun « que des réunions politiques commencent par une prière » et on se souvient que localement les deux premiers partis mélanésiens étaient confessionnels (Uicalo et Aiclf). Le « tournant » intervient dans des années 1960 et les indépendances des différents États. Elles font émerger des discours de revendication d’une identité proprement océanienne qui « va se répercuter dans le domaine des Églises qui vont se détourner de la théologie classique des missionnaires ». Le choix de cette thématique a en soi démontré que ce mouvement était encore vivace.

CONSTRUCTION

Dans un discours plutôt prudent, le président du gouvernement Louis Mapou a affirmé qu’ici, depuis les années 1950, « les conditions d’exercice de l’autodétermination n’ont pas été des meilleures et des plus respectueuses d’un idéal ou d’une éthique ». Mais selon lui, « ce mécanisme de rapport de force génère un processus lent qui fermente et construit une prise de conscience salutaire pour l’exercice du droit à l’autodétermination politique » tout en induisant « une envie de plus de responsabilité ». Pour Louis Mapou, l’autodétermination est « plus que jamais d’actualité ». Soulignant le principe de laïcité qui prévaut ici, il s’est autorisé à rappeler que les églises « ont contribué à la destruction des sociétés autochtones lors des premiers contacts de colonisation » ; il les invite maintenant à « aider à la construction de la Kanaky Nouvelle-Calédonie ».

Elles peuvent aussi « aider à l’insertion » du territoire dans sa région. L’organisation de la conférence y a certainement contribué à Nouméa, Canala, Houaïlou et Lifou ; faisant au passage mieux connaître l’Université. Le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, a fait part de son intérêt pour ce qu’il a entendu et d’une forme d’étonnement. « Tous les échanges sont marqués par une blessure mémorielle liée à la colonisation (…) On a le sentiment qu’ils sont rivés à un passé qu’il est vraiment difficile de dépasser. » Le chef des protestants qui dit rencontrer régulièrement le président de la République, entend lui « glisser des idées sur le processus du pardon ». « On a, dans le christianisme, su dépasser des conflits plusieurs fois centenaires entre catholiques et protestants, au sein du protestantisme, entre luthériens et réformés, il y a des moyens pour guérir les mémoires. »

Pour le révérend Bhagwan, l’Église a un rôle à jouer en particulier auprès des jeunes générations. « Comment on amène ces jeunes de toutes les ethnies qui sont nés ici à reconnaître qu’ils sont un peuple ? » Sur le rapport entre politique et religion, le pasteur Krieger juge que « toutes les sociétés doivent trouver leur forme de laïcité », mais que « tous les gouvernants ont besoin de discuter avec les religions parce qu’elles sont au sein de la société, et souvent porteuses d’éthique, de vision, de vivre ensemble… » Un nouveau signe de la société civile pour participer à un processus pour l’instant surtout réservé à une partie de la classe politique.

Chloé Maingourd

Histoire

L’EPKNC, principale église protestante du territoire, d’origine calviniste, a pris position en faveur de l’indépendance en 1979 à la tribu de Gouarou à Houaïlou. Elle compterait 40 000 membres. Avec d’autres courants, l’Église protestante représenterait 30 % des fidèles.

L’Église catholique représenterait 60 % des fidèles (environ 110 000 membres). Elle a demandé pardon pour les torts causés aux Mélanésiens à Balade en 1993.