Les économies ultramarines affectées pour plusieurs années

La CCI organisait, le 4 juin, une visioconférence avec l’expert Olivier Sudrie afin d’évoquer les conséquences du Covid-19 sur les économies ultramarines. La chambre consulaire, qui relaie l’étude commandée par l’association des CCI des outre-mer, en a profité pour faire un focus sur la Nouvelle-Calédonie.

Les économies du monde entier vont être profondément impactées par la crise liée au Covid-19 et en particulier à cause des mesures de confinement. L’évaluation des répercussions de l’arrêt de l’économie mondiale reste toutefois encore très difficile. C’est à cet exercice complexe que s’est livré Olivier Sudrie, économiste spécialiste des outre-mer, à la demande de l’association des CCI des outre-mer. Le 4 juin, il a livré, par visioconférence, les résultats de ses travaux à l’occasion d’un Rendez-vous de l’économie organisé par la CCI qui réunissait des membres consulaires, des élus de la province Sud et du gouvernement ainsi que des acteurs du monde économique.

Olivier Sudrie a présenté les différentes hypothèses de reprise économique à la sortie du confinement. Au total, il existe quatre scénarios, symbolisés par les lettres U, V, W et S. La version en U signifie qu’une fois les mesures de confinement levées, la création de valeur ajoutée reprend instantanément son niveau d’avant confinement. Selon ce scénario, les pertes liées à l’inactivité représentent 30 milliards de francs et 2 000 emplois en moins, soit 4 % de l’emploi marchand. D’après cette hypothèse, la baisse du PIB en 2020 serait de l’ordre 3,4 %. Une estimation proche de celle réalisée à la fin du mois d’avril, dans le cadre des Comptes économiques rapides pour l’outre- mer.

Un scénario écarté pour l’ensemble des territoires puisque l’activité y a repris de façon beaucoup plus progressive sans compter que des secteurs ont tout simplement dû être maintenus à l’arrêt, à commencer par le tourisme et l’aérien dont les perspectives demeurent toujours incertaines.

Le profil en V envisage la reprise de manière progressive, ce qui correspond davantage à la réalité. Cette fois, le recul de la croissance dépend de la date d’un retour à une pleine activité. Avec une reprise au 1er juin, la baisse duPIBpour2020estestiméeà6%,à7,7% pour une reprise au 1er juillet et à 11,5 % au 1er septembre. Dans ce dernier cas, près de 9 % de l’emploi du secteur marchand seraient menacés.

Des scénarios plus ou moins optimistes

Le troisième scénario, en W, prévoit un début de reprise lente brisée par des défaillances en chaîne d’entreprises, contraintes de fermer leurs portes. Ce schéma conduit à encore plus de pertes de richesses et repousse d’autant le retour à la situation d’avant la mise en confinement de la population. Dans ce cas, les conséquences économiques et sociales seraient tout simplement catastrophiques et pèseraient à long terme sur la dynamique économique calédonienne.

La dernière hypothèse est la plus souhaitable. Elle prévoit une reprise progressive de l’activité jusqu’en 2021 et une période de « sur-rattrapage » entre 2021 et 2023, qui permettrait de combler les pertes enregistrées. Un scénario séduisant, mais peu crédible si l’on considère les taux de croissance qu’il implique. Pour une reprise lente ou rapide et un retour à la normale en 2023, 2024- 2025, le modèle d’Olivier Sudrie a besoin, au minimum, d’une croissance de l’ordre de 4 %. Pour une reprise rapide à l’horizon 2021-2022, les taux de croissance nécessaires devraient être supérieurs à 7,4 %.

Les conclusions de l’économiste concernant le territoire sont plutôt évidentes : « La Nouvelle-Calédonie risque de porter longtemps les stigmates de la crise sanitaire ». Le rapport estime que le scénario en V, avec un retour à un niveau de PIB d’avant crise à l’horizon 2023, est le plus probable. Mais pour éviter le pire, à savoir un scénario en W, Olivier Sudrie insiste sur la nécessité d’une intervention publique forte. Pour l’économiste, elle doit être rapide et massive afin d’éviter les défaillances des entreprises pour maintenir l’emploi. Elle doit aussi passer par un soutien de la consommation des ménages et de l’investissement public et privé.

En matière de consommation, Olivier Sudrie suggère une baisse ciblée de l’impôt sur le revenu et/ou une baisse des cotisations sociales à la charge des salariés ainsi qu’une augmentation des transferts publics, en particulier pour les ménages les plus en difficulté. Des propositions qui prennent à contrepied les orientations du gouvernement qui travaille actuellement sur des réformes structurelles de l’économie calédonienne. Ces réformes ont été détaillées dans l’annexe de la convention encadrant le prêt garanti par l’État octroyé par l’Agence française de développement.

Dès le 1er juillet, les 45 000 personnes prises en charge à 100 % dans le cadre de la longue maladie devront assumer 10 % de leurs consultations. Une mesure destinée à rétablir les comptes sociaux qui aura forcément une incidence sur le revenu disponible des ménages. Toujours en matière de santé, il est prévu de créer de nouvelles taxes dès le début de l’année 2021 pour un montant de l’ordre de 10 milliards de francs. En dehors de la santé, de nouvelles taxes ou l’augmentation du rendement de celles existantes sont également à prévoir pour un montant légèrement inférieur. La TGC, taxe générale sur la consommation, est au cœur de cette réforme avec l’instauration d’un taux unique qui doit permettre d’augmenter considérablement les recettes afin d’atteindre le niveau initialement attendu de 51 milliards de francs.

La lutte contre les inégalités, une des clefs du problème

On est donc loin des préconisations de l’économiste qui plaide pour un choc interventionniste. Un choc que la Nouvelle-Calédonie n’a pas ou peu les moyens de se permettre et qui risque de compliquer la reprise de l’économie (sans compter la tenue du deuxième référendum qui devrait jouer négativement sur la consommation), d’autant que les mesures envisagées ne semblent pas aller vers davantage de redistribution, comme le suggère Olivier Sudrie. En réponse à la question de savoir s’il serait souhaitable d’augmenter la taille de la population afin d’atteindre une dimension permettant d’assurer la compétitivité des entreprises, l’économiste a souligné l’importance de travailler sur une meilleure répartition de la richesse dans le but de permettre à l’ensemble de la population déjà présente en Nouvelle-Calédonie d’accéder au marché.

Pour Olivier Sudrie, la question des inégalités est centrale en outre-mer et en particulier en Nouvelle-Calédonie, où leur niveau est élevé. Des inégalités qui constituent un réel frein au développement économique en écartant une partie de la population de la consommation. Et selon l’auteur de l’étude, les inégalités de revenus ne s’expliquent pas uniquement par des écarts de productivité entre les salariés. Si l’on y regarde de plus près, les engagements pris dans le cadre du prêt destiné à financer les mesures liées à la crise du Covid-19 reprennent trait pour trait les propositions faites par deux autres économistes, Etienne Wasmer et Quentin David, dans un rapport sur la situation économique de la Nouvelle-Calédonie en août 2012*. Un rapport « prophétique » dans lequel les deux experts s’inquiétaient de l’avenir économique du territoire en l’absence de réformes structurelles. Huit ans plus tard, le train des réformes semble être engagé sauf peut-être sur ce point clef mis en lumière une nouvelle fois par Olivier Sudrie : une meilleure répartition des richesses.

L’enregistrement de la visioconférence ainsi que le rapport complet (y compris le zoom sur la Nouvelle-Calédonie) sont consultables sur le site internet de la CCI (www.cci.nc).

Le rapport d’Etienne Wasmer et Quentin David est téléchargeable à l’adresse suivante : www.ufcnouvellecaledonie.nc/wp-content/uploads/2013/12/situation-economique-de-la-nc.pdf

 

M.D.

©Public Sénat