Les dépenses des Calédoniens passées au crible

L’Institut de la statistique et des études économiques vient de présenter les premiers résultats de l’enquête Budget des familles. Une enquête particulièrement importante qui examine minutieusement la consommation des Calédoniens. Elle montre que les dépenses ont stagné depuis onze ans.

« Dis mois ce que tu consommes, je te dirai qui tu es ». Cette maxime traduit plutôt bien la trame de l’enquête Budget des familles (BDF), réalisée en 2019 par l’Institut de la statistique et des études économiques. Un document statistique central qui passe à la loupe les habitudes de consommation d’une population et dont on tire un grand nombre d’enseignements. L’étude permet, notamment, de définir les pondérations utilisées pour le calcul de l’indice des prix. Mais au-delà de cet usage technique, l’enquête BDF donne à voir l’évolution des modes de vie des Calédoniens en lien avec leur consommation.

Cette étude, très lourde, sera déclinée en plusieurs volets par l’Isee qui, après avoir présenté les dépenses, devrait dévoiler les ressources. Ces chiffres, qui permettent de mesurer les inégalités entre les Calédoniens, sont particulièrement attendus, à un moment où un grand nombre de personnes estiment que le niveau atteint n’est plus soutenable. Un sondage réalisé pour nos confrères d’Océane FM montrait récemment que 84 % des Calédoniens disent qu’il y a trop d’inégalités.

En matière de dépenses, le premier résultat montre que, par individu, elles ont stagné ces onze dernières années après une période de hausse. Afin de pouvoir obtenir des éléments de comparaison, l’Isee a corrigé les chiffres de l’inflation, ce qui donne une dépense mensuelle par individu de l’ordre de 110 000 francs (valeur de 1991) pour une dépense d’à peine 70 000 francs cette année-là. En francs courants (à la valeur actuelle), la dépense s’élève aujourd’hui à 176 050 francs par individu et par mois, soit un niveau légèrement supérieur à celui de 2008. Un tassement qui, selon l’institut, est calqué sur celui de la croissance calédonienne. Après des années de surchauffe, notamment liée aux grands projets métallurgiques, la Nouvelle-Calédonie a connu un atterrissage de sa croissance.

Pas de changements concernant les principaux postes de dépenses

Dans le détail, les grands postes de consommation n’ont pas véritablement changé. En tête, on retrouve le logement qui représente 26,8 % du budget global. À noter qu’en 2008, l’habitat occupait une place plus importante (30,8 %). La moyenne mensuelle par individu se situe désormais à 88 500 francs. Selon l’Isee, la baisse s’explique par une diminution des crédits à l’immobilier, traduisant le fait que les Calédoniens accèdent moins à la propriété et sont davantage locataires. À noter également que les prix des loyers ont augmenté de 10 % en moyenne en 11 ans. La dépense d’électricité augmente, elle aussi, de l’ordre de 5 % par individu. Une hausse qui s’explique notamment par la démocratisation d’équipements électriques comme les climatiseurs.

Le deuxième poste est celui de l’alimentation qui ne cesse de progresser : 24 % au lieu de 21 % en 2008. Les principales dépenses sont consacrées à la restauration hors domicile qui regroupe les restaurants, mais aussi les bars, les nakamals et les autres points de vente proposant des services de traiteur. En 2019, il était vendu environ 11 000 barquettes par jour et pas loin de 120 000 nems chaque mois pour un montant de 18 millions de francs ! L’Isee constate que ce poste est en augmentation, traduisant une évolution dans les modes de vie des Calédoniens qui consacrent probablement moins de temps à la préparation des repas et privilégient de plus en plus les plats tout préparés.

La part du budget consacrée à l’alcool reste stable, mais les fortes augmentations de prix ont modifié les usages. En moyenne, les ménages dépensent 17 500 francs par mois. L’enquête fait ressortir des évolutions dans les habitudes des Calédoniens en matière d’alimentation. Ils sont désormais majoritaires à s’approvisionner dans des grandes surfaces (51 %), soit 7 % de plus qu’en 2008. Cette progression se traduit par une réduction des parts de marché des petits commerces, qui passent de 26 % à 12 %. Les Calédoniens achètent également plus dans les discounts, qui captent désormais 13 % des dépenses réalisées dans les grandes surfaces.

Comme en 2008, le transport est le troisième poste de dépenses des ménages. Le secteur connaît un léger recul (18,5 % contre 19,1 %). Ce constat s’explique essentiellement par une diminution d’achats de véhicules neufs. Ils passent ainsi au deuxième rang, derrière l’entretien, les ménages investissant plus dans la maintenance de leur véhicule que dans son remplacement. Cela n’empêche pas les dépenses de déplacement d’augmenter fortement (carburant, bus, taxis). Un phénomène que l’Isee explique par la périurbanisation de l’agglomération et, notamment, la forte progression démographique de Dumbéa et Païta.

Deuxième territoire le plus inégalitaire

S’il faut attendre encore un peu pour avoir les résultats sur la question des ressources, les dépenses donnent toutefois quelques indications sur les inégalités. En 2019, près de 60 % des ménages n’atteignent pas le niveau de dépenses mensuelles moyen de 176 050 francs dénotant d’importantes disparités. La communauté d’appartenance est un des déterminants de ces disparités. Les Kanak présentent ainsi un niveau des dépenses très inférieur aux autres ethnies. En moyenne, un Kanak dépense un peu plus de 80 000 francs par mois contre un peu moins de 240 000 francs pour une personne d’une autre communauté. L’Isee souligne que l’autoconsommation est un facteur important d’atténuation des inégalités.

Près de 37 % des ménages pratiquent l’autoconsommation. Les familles kanak arrivent en tête avec 55 %, contre 25 % pour les autres. Pour les Kanak, l’autoconsommation pèse plus de 35 % des dépenses alimentaires. Un facteur d’atténuation qui a tout de même des limites. Si l’on additionne les dépenses monétaires et l’autoconsommation, les dépenses des Kanak demeurent sensiblement inférieures à celles autres.

De manière plus générale, il existe des écarts de dépenses très importants entre les ménages les plus modestes et les plus aisés. Le rapport est de presque 4 (3,7), autrement dit, les ménages les plus riches dépensent presque quatre fois plus que les moins favorisés. Ces inégalités sont parmi les plus importantes de l’ensemble des territoires français d’outre-mer, derrière Mayotte et devant La Réunion. Enfin, la Nouvelle-Calédonie détient le triste record pour le poids des dépenses en matière d’alcool et de tabac.

Pas d’indication à l’échelle provinciale

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les décideurs calédoniens n’ont pas retenu les échantillons permettant les comparaisons entre provinces. À l’heure où la Nouvelle- Calédonie s’apprête à sortir de l’Accord de Nouméa, il ne sera donc pas possible de mesurer les inégalités entre les trois provinces, comme dans la précédente enquête de 2008. À l’époque, 4 000 ménages avaient été interrogés, contre 1 500 en 2019 (3 000 ont été sollicités). En revanche, en 2008, la question d’appartenance communautaire n’avait pas été posée.

M.D.

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