« Les bonnes volontés qui s’expriment ont besoin de se parler »

 

Le gouvernement organisait, mercredi, le troisième rendez-vous des État généraux de l’habitat après les rencontres de Koné et de Wé. Les acteurs de l’habitat ont planché cette fois-ci sur la question de l’habitat insalubre, de la forte augmentation du coût du logement ces dernières années, sur la place du logement public et enfin, sur les possibles stratégies en matière de foncier. Questions à Philippe Dunoyer, le membre du gouvernement en charge du secteur du logement.

DNC : Les États généraux de l’habitat sont l’occasion de présenter des thèmes peu abordés d’ordinaire, comme vous l’avez rappelé, et notamment l’habitat insalubre. Quelle est l’ampleur de ce phénomène en Nouvelle-Calédonie ?

Philippe Dunoyer : Un inventaire a été fait par le Syndicat intercommunal du Grand Nouméa de 214 immeubles pour près de 1 800 logements recensés mais uniquement dans le Grand Nouméa. Il y en a forcément ailleurs. Nous sommes globalement largement au- delà des 2 000 sur l’ensemble du territoire. Il y a donc au moins 2 000 familles qui sont logées dans ces conditions aujourd’hui. C’est un vrai poids, ce sont des situations extrêmes. Ce n’est pas un simple problème d’électricité. Il s’agit véritablement de logements dangereux au premier sens du terme et donc, mauvais pour la santé et la sécurité des personnes qui y vivent. On n’en parle pas souvent. C’est un sujet peu abordé, peut-être parce qu’il était peu connu. Ce recensement est récent. Lors des ateliers, tous les acteurs ont reconnu qu’il y avait un manque de cadre, un manque de normes, d’incitation mais aussi de contraintes pour les propriétaires. Il faut trouver des solutions, entre l’incitation et la contrainte, mais il y a des situations où il faut simplement que cela cesse avec l’intervention de la puissance publique.

DNC : Cette question est finalement assez révélatrice d’un constat plus général sur le manque de cadre, de normes et de cohérence des politiques publiques…

Philippe Dunoyer : Oui, il y a un manque de coordination. C’est pour cela qu’aujourd’hui, nous avons des États généraux de l’habitat et non plus du logement. En regardant le logement stricto sensu, on retombe dans le mille-feuille des compétences. « C’est toi pour la norme, c’est moi pour la fiscalité, c’est lui pour l’opératif… » Avec l’habitat, on complexifie mais on rajoute une dimension qui permet de coordonner les politiques publiques. Aujourd’hui, il existe des schémas qui sont parfois un peu ésotériques, parfois pratiques, parfois anciens, parfois récents mais jamais connectés les uns aux autres. En métropole, il existe l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) qui a, entre autres, le soin de mettre en œuvre les politiques de rénovation ou de réhabilitation. Elle regroupe les différents acteurs institutionnels, financiers, etc.. Ils ont trouvé intéressant, à l’échelle de la métropole, d’avoir un interlocuteur dédié. Ce n’est pas peut-être pas la solution, mais il est nécessaire de trouver un espace ou un organe qui fédère. C’est tout l’enjeu.

DNC : Comment ces États généraux vont-ils apporter davantage de cohérence ? Comme vous le rappelez, chaque acteur a ses compétences et aucun ne souhaite les laisser à d’autres.

Philippe Dunoyer : La réponse va se trouver dans le rapport final. Il visera à envisager, pour les dix prochaines années, des actions ou des mesures incitatives fiscales, mais aussi des outils de gouvernance différents. Comment chacun, tout en restant dans son domaine de compétence, pourra interagir avec les autres de manière plus efficace et plus utile. C’est ce que l’on voit avec le programme de rénovation urbaine de Saint-Quentin. Il y a eu des changements d’interlocuteurs, d’autres qui ont changé d’avis et c’est un espace sur trois communes. C’est compliqué mais ce qu’il faut retenir, c’est que c’est la première fois que des collectivités, trois communes, un opérateur, la SIC, des services, comme le CCAS, et la province Sud se mobilisent sur cette question. Ils se fédèrent pour dire que c’est un vieux quartier et qu’il faut le rénover, qu’il faut réfléchir aux transports et à la manière de le desservir… On se pose ces questions tous ensemble et tous ensemble, on se met d’accord. Je suis convaincu qu’à la fin, si la bonne volonté qui s’exprime est maintenue, on trouvera des solutions sur ces différents enjeux de manière un peu plus coordonnée.

DNC : Il reste un dernier rendez-vous, quelle sera la suite des États généraux ?

Philippe Dunoyer : La suite, ce sera la feuille de route avec une ambition de dix ans, qui sera établie à l’occasion de ce dernier rendez-vous, au mois d’octobre, sur la base des ateliers.

DNC : Un document qui n’a pas vocation à s’imposer aux acteurs ?

Philippe Dunoyer : Non, comme en 2004. Les Assises du logement avaient débouché sur une feuille de route qui n’avait aucun caractère contraignant, si ce n’est, et c’est ça l’enjeu, que cette feuille de route a été établie par ceux qui sont censés la mettre en place. Mais ce n’est pas parce que l’on a participé à trois ou quatre que l’on engage une collectivité à 54 élus. Forcément, il y a un saut et il y a aussi le fait que l’on est confronté à une réalité aujourd’hui qui sera différente demain. Mais au moins, les enjeux et les priorités seront définis dans ce document.

Les synthèses des rendez-vous sont disponibles sur le site du gouvernement (www.gouv.nc) dans la rubrique Actions du gouvernement et la sous- rubrique des grands dossiers.


Quelle place pour le logement public ?

Les pouvoirs publics ont un rôle important en matière de logement. Ils répondent notamment aux difficultés qu’une grande partie de la population calédonienne éprouve pour se loger. Les États généraux ont été l’occasion de discuter de la place du logement public, dont les projets rencontrent un certain nombre de difficultés.

Les besoins sont indéniables. Pour s’en convaincre, un seul chiffre, 70 % de la population calédonienne est éligible aux logements sociaux. Si l’on entre un peu plus dans le détail, ce pourcentage chute à 50 % en moyenne sur Nouméa, mais peut atteindre 80 %

dans des quartiers comme Kaméré. La réalité, c’est aussi 70 % des ménages calédoniens qui ont un revenu inférieur à 366 100 francs, 50 % inférieur à 239 500 francs et 30 % des ménages calédoniens gagnent moins de 148 300 francs chaque mois. Autant de réponses à la question de savoir s’il faut du logement social ou pas.

Plutôt que de savoir s’il en faut ou pas, les participants aux États généraux de l’habitat se sont davantage interrogés sur la manière d’en faire et les freins qui existent. Selon les estimations, la Nouvelle- Calédonie aurait besoin chaque année de 1 000 logements sociaux supplémentaires. Un besoin qui permettrait notamment la décohabitation et la suroccupation des logements qui concernent tout de même 15 % des ménages et touche 17 000 enfants, ce qui ne favorise pas leur réussite scolaire.

Des freins identifiés

Philippe Michel, le président de la province Sud, a identifié trois principaux freins. Le premier obstacle est la rareté du foncier dont le prix a considérablement augmenté. Pour les projets privés, on estime aujourd’hui qu’il représente près du tiers du coût global des opérations. Autre frein, selon le président de l’exécutif provincial, la défiscalisation nationale serait de plus en plus difficile à mobiliser. Si les dossiers continuent d’être validés par Bercy, les délais ont considérablement augmenté. La dernière difficulté rencontrée par les promoteurs est l’attitude des communes qui rechignent à accueillir ce type de projet sans les financements nécessaires pour accompagner l’intégration des populations.

Un sujet qui rejoint la question de la mixité. Les représentants des bailleurs sociaux estiment qu’il n’existe que peu voire pas d’exemple. À l’occasion d’une visite en 2015, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine indiquait que le modèle privilégié aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, à savoir de mélanger les populations au sein d’un même immeuble, n’était pas forcément souhaitable. Pour elle, il serait plus intéressant de travailler sur des équipements publics permettant aux différentes populations de se retrouver.

Victime des préjugés

D’une manière plus générale, la réticence des communes reflète les préjugés de la population vis-à-vis du logement social, notamment en matière de tranquillité. La SIC, qui a réalisé une enquête approfondie sur Tuband, indiquait que sur les 300 familles qui y résident (350 si l’on prend en compte la suroccupation), moins de 3 % posent problème. De son côté le FSH estime que sur ses 52 résidences, seules trois posent quelques difficultés. Les conséquences sont relativement graves puisque, selon les institutions, les préjugés entachent l’ensemble de la politique d’habitat social. Derrière cette question, qui dépasse le simple cadre du logement, c’est toute une mise en réseau des acteurs qui doit être faite et accompagnée par des politiques plus globales en matière d’insertion ou encore de délinquance.

Il existe toutefois de nombreuses initiatives, du FSH par exemple. Pour répondre aux difficultés de déplacement des forces de l’ordre aux nombreuses sollicitations de la population, il a embauché des gardiens qui se rendent sur les lieux en cas de problème. Si un problème important est constaté, ils préviennent la police qui garantit une intervention dans ces cas-là. La SIC tente également de répondre à la question, en montant des opérations participatives qui associent l’ensemble des riverains.