« L’enjeu est de maintenir le Pacifique comme un espace de paix et de liberté »

La représentante française pour le Pacifique est désormais basée en Nouvelle-Calédonie. © C.M.

Véronique Roger-Lacan, ministre plénipotentiaire, a été nommée, le 26 juillet en Conseil des ministres, ambassadrice, représentante permanente de la France auprès de la communauté du Pacifique et du programme régional océanien de l’environnement. L’ex-représentante de la France à l’Unesco et à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a pris ses fonctions à Nouméa.

DNC : Le gouvernement vous a nommée ambassadrice pour le Pacifique à Nouméa. Pourquoi maintenant ?

Véronique Roger-Lacan : Les changements d’épure pour certains postes diplomatiques se font souvent lors des changements d’affectation. Après trois ou quatre ans de poste, ma prédécesseur Marine de Carné devait passer à un autre chapitre, occasion pour les autorités françaises, à l’aune des stratégies Indopacifique française et européenne, et du renforcement de la volonté de l’État d’agir en faveur de l’intégration régionale de ses territoires dans le Pacifique, de décider de placer son ambassadeur/drice pour le Pacifique dans la région.

Est-ce une réponse au développement diplomatique des USA, de la Chine,
du Japon, de l’Australie ?

Il s’agit moins d’une réponse les concernant que d’un soutien aux États insulaires du Pacifique qui tirent la sonnette d’alarme sur les conséquences du dérèglement climatique dans leur zone géographique, sur l’importance stratégique qu’ils représentent pour la stabilité de la planète, sur le bien-fondé de leurs souhaits en termes de respect de leurs identités, de leur façon de voir le monde, de leur mode de communication entre eux et avec le reste du monde. Nous avons tous à apprendre les uns des autres. Du fait de sa distance géographique phénoménale avec les autres zones du monde et des distances qui séparent chacun de ces États insulaires, le Pacifique a toujours été une zone intimidante. Maintenant ce monde est si globalisé et interdépendant que nous devons nous connaître plus intimement.

Le Pacifique a toujours été une zone intimidante. Maintenant ce monde est si globalisé et interdépendant que nous devons nous connaître plus intimement.

Pourquoi à Nouméa ?

Il s’agit d’accompagner les territoires français du Pacifique dans leur intégration régionale. La Nouvelle Calédonie étant celui des trois territoires qui s’est vu jusqu’à présent transférer le plus de compétences de politique étrangère, il est dans l’intérêt mutuel du gouvernement de Nouvelle Calédonie et de l’État de faire aboutir au mieux leurs objectifs respectifs, coordonnés et conjoints, dans le cadre de leurs politiques élaborées, négociées et agréées dans le cadre constitutionnel.

À quoi sert cette mission en territoires français où l’on trouve des gouvernements locaux qui demeurent français, des représentants de l’État, de l’Armée, de l’UE, et plus largement des ambassadeurs bilatéraux dans les grands pays voisins ?

Il est vrai que pour la compréhension générale, un/e ambassadeur/drice est accrédité auprès d’un pays étranger pour représenter les intérêts de son pays. Ici, je suis une ambassadrice de France accréditée auprès d’un territoire français. En réalité, c’est la prolongation, sur un territoire français outremer, de la pratique des ambassadeurs de bassin, mes deux homologues pour l’Atlantique et pour l’Océan Indien, étant tous les deux comme moi sous double tutelle, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère de l’Intérieur et de l’Outre-Mer et basés à Paris. Les distances et la réalité stratégique étant ce qu’elles sont, il est plus facile pour mes homologues de se déplacer rapidement vers leurs zones de travail que moi. Il m’est plus aisé de parcourir le Pacifique à partir de Nouméa qu’à partir de Paris.

L’ambassadrice avec le président du gouvernement, Louis, Mapou et Stuart Minchin, Directeur général de la Communauté du Pacifique (CPS) lors de la signature d’un nouvel accord de partenariat entre la Nouvelle-Calédonie et la CPS. © C.M.
Véronique Roger-Lacan à la CPS avec le directeur de l’institution Stuart Minchin, le sénateur Georges Naturel, le président du gouvernement Louis Mapou et le président du Congrès, Roch Wamytan.© C.M.

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont exprimé leur volonté d’exercer de plus en plus leurs compétences de politique régionale – ce que semble soutenir le président de la République – voire de les étendre. Aurez-vous à les accompagner ou plutôt à définir, faire respecter un cadre ?

Nous aurons ensemble et dans notre intérêt mutuel, État français, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie, à mettre conjointement en œuvre le cadre déjà défini, celui de la Constitution française, de la volonté des suffrages et des intérêts de chacun. Sur cette base, il nous reviendra de définir un cadre d’action commun pour des politiques de relations extérieures et régionales coordonnées.

Le fait d’avoir des présidents indépendantistes complexifie-t-il les choses en la matière ?

Je ne vois pas, personnellement, cela comme une chose complexe. Il s’agit surtout de définir un mode d’action et une perspective qui conviennent à toutes et tous dans le cadre constitutionnel français qui est celui qui a été choisi par le biais du suffrage universel.

Comment trouver une voie commune par exemple au FIP où l’on trouve des positions anti-nucléaire, anti-armement, au Groupe Fer de lance mélanésien qui soutient l’indépendance kanak ?

Je ne pense pas que qui que ce soit dans l’État ait une opinion pour ou contre l’indépendance. Ce sont aux territoires de définir leur souhait, dans le cadre démocratique constitutionnel français, de ne pas subir d’influence qui puisse mettre en cause nos principes démocratiques communs. Car l’espace politique français est un des espaces de respect des droits et libertés fondamentaux les plus conformes à la déclaration universelle des droits de l’homme et aux pactes fondamentaux de 1966 relatifs aux droits civils et politiques d’une part et économiques et sociaux d’autre part.

Et en toute hypothèse, dans les enceintes multilatérale (Forum des îles du Pacifique) ou multinationale (Groupe fer de lance mélanésien), c’est le droit international public et le droit des organisations internationales qui prévaut. La voie commune, c’est donc le droit, un ordre international basé sur le droit, celui pour lequel nous agissons tous.

Je ne pense pas que qui que ce soit dans l’État ait une opinion pour ou contre l’indépendance. Ce sont aux territoires de définir leur souhait, dans le cadre démocratique constitutionnel français, de ne pas subir d’influence qui puisse mettre en cause nos principes démocratiques communs.

Le président Louis Mapou a déclaré que notre insertion dans la région devait passer par une contribution sur la base de notre développement, notre expertise. Le rejoignez-vous ? Que faut-il cibler pour éviter le foisonnement d’initiatives ?

La visite du président français dans la région en juillet dernier a confirmé notre engagement politique renouvelé envers la région, en concertation avec les présidents Mapou et Brotherson. Cet engagement se traduit par des actions concrètes, telles que le triplement de notre aide publique au développement en faveur de la région, le renforcement de notre réseau diplomatique et de développement ‒ y compris l’ouverture d’une nouvelle ambassade à Apia ‒ la mise à niveau de nos moyens militaires dans la région afin de soutenir un rôle plus actif de nos forces armées dans la sécurisation des zones maritimes et dans la fourniture d’une assistance humanitaire et de secours en cas de catastrophe. Nous voulons contribuer concrètement au renforcement de la résilience et de la souveraineté des États insulaires du Pacifique.

Quels exemples d’initiatives avez-vous à l’esprit ?

Un bon exemple de cette politique est l’organisation du premier French Pacific Business Forum à Auckland, au mois de mars, dédié à la promotion de 50 PME calédoniennes et polynésiennes, soutenu par le gouvernement français avec la participation de notre ministre délégué au commerce extérieur, Olivier Becht. La première édition ayant été un succès, nous espérons reproduire ce format dans d’autres pays du Pacifique prochainement.

L’initiative KIWA est un excellent exemple de notre engagement en faveur de la protection de l’environnement, de la biodiversité et des moyens de subsistance dans la région. De nouveaux projets à dimension locale ou régionale sont régulièrement lancés dans tout le Pacifique, grâce à un budget qui atteint actuellement 75 millions d’euros.

Avec d’autres partenaires nous allons par ailleurs lancer à la COP28 de Dubaï, le Country-package pour la préservation de la forêt en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG). Cette plateforme se veut inclusive  pour apporter des soutiens multiples à la PNG dans ce défi de conservation de cette forêt qui représente un bien commun.

Nous sommes aussi mobilisés pour la réponse d’urgence aux catastrophes naturelles avec le mécanisme FRANZ [réunissant France, Australie et Nouvelle-Zélande]. Nous souhaitons rendre ce mécanisme plus inclusif en présentant son fonctionnement aux États insulaires du Pacifique. Nous poursuivons cet engagement au-delà, avec la construction de stocks humanitaires en lien avec l’Australie (et Partners in the Blue Pacific) et avec des actions de formation.

Lors de son voyage dans la région, le président de la République a annoncé aussi notre intention de monter une Académie du Pacifique, basée à Nouméa, offrant des formations sur tous les aspects de la sécurité aux États insulaires du Pacifique. Ces formations iraient de la sécurité maritime à la protection civile. Nous souhaitons l’insérer au mieux dans l’architecture régionale afin qu’elle soit complémentaire des initiatives existantes.

Enfin, nous poursuivons une coopération efficace au sein du Pacifique QUAD (France – États-Unis – Australie – Nouvelle-Zélande) et au bénéfice des États insulaires, pour tout ce qui relève des patrouilles en mer et d’opérations de police des pêches. Nous souhaitons approfondir cette coopération et étudions la possibilité de faire embarquer des officiers des États du Pacifique lors de ces patrouilles.

Lors de son voyage dans la région, le président de la République a annoncé  notre intention de monter une Académie du Pacifique, basée à Nouméa, offrant des formations sur tous les aspects de la sécurité aux États insulaires du Pacifique.

Véronique Roger-Lacan et Denise Campbell Bauer, Ambassadrice des États-Unis en France en visite sur le territoire. ©US Embassy Paris Press Office
©US Embassy Paris Press Office

Quels sont les enjeux des grands rendez-vous de cette fin d’année comme le Forum francophone d’Asie Pacifique, les Assises de l’économie maritime Indopacifique qui se tiennent cette semaine ou encore le Forum des Îles du Pacifique, le Sommet régional de la défense de la région Indopacifique en décembre ?

Les enjeux de ces nombreuses manifestations sont exactement, chacune dans leur domaine, ceux-là : maintenir le Pacifique comme un espace de paix et de liberté fondé sur le droit international public et les coopérations régionale et internationale.

Défendre la francophonie, dans le Pacifique comme ailleurs, correspond à l’impératif de préserver une diversité linguistique, favoriser la coopération économique maritime revient à maintenir aussi la liberté, l’état de droit et le libre-échange dans cette vaste zone maritime.

Quand au sommet régional de la défense de la région Indopacifique en décembre, l’enjeu est de consolider la coopération de défense et de sécurité entre les États du Pacifique, insulaires et métropolitains, qui sont dotés de forces armées et ceux qui agissent sans, tant dans les domaines d’action classique de sécurité et de défense que de la gestion des crises en soutien à la sécurité civile.

Propos recueillis par Chloé Maingourd