« L’efficacité du système n’est pas à la hauteur des enjeux »

Le cluster maritime de Nouvelle-Calédonie a organisé les premiers États généraux de la mer les 5 et 6 juillet dernier. Pour l’association, le but était de faire prendre conscience des potentiels de la Nouvelle-Calédonie en matière d’économie bleue. Retour avec Lluís Bernabé, le président et Lionel Loubersac, le manager du cluster.

DNC : Dans une interview accordé à la revue le Marin, vous avez récemment déclaré que les Calédoniens avaient oublié qu’ils étaient sur île…

Lluís Bernabé : Ici, le nickel existe mais pas la mer. C’est un constat et une question très humaine. Quand une personne a une chose facile à faire, elle ne cherche pas à faire autre chose.

Lionel Loubersac : C’est ce que l’on appelle le syndrôme hollandais. Cette manne du nickel fait vivre cette île depuis la découverte par Jules Garnier au gré des montées et descentes des cours du nickel. Jusqu’à présent ça se passait plus ou moins bien, mais là, c’est devenu beaucoup plus difficile. Aujourd’hui, on regarde passer les bateaux alors que le port, c’est le poumon de Nouvelle-Calédonie. Sans port, la Calédonie n’exporte plus et n’importe plus tout ce qui sert à la vie courante. Les voitures, la nourriture… Au niveau alimentaire, nous sommes autosuffisants à 15 % et ce n’est pas l’avion qui va nous amener tout ça. L’avion a remplacé le bateau pour ce qui est du transport de passager mais pour le reste, soit 98 % des échanges, tout passe par la mer. Du point de vue de l’empreinte écologique, c’est un des moyens de transport les plus économiques et les moins producteur de CO2.

Lluís Bernabé : Pour avoir des retombées économiques de la mer, il faut beaucoup plus d’imagination que dans la mine. Avec la mine, tu grattes pour récupérer le minéral. Au niveau de la mer, nous avons commencé à gratter un petit peu et nous avons identifié 26 secteurs. Cela veut dire qu’il y a beaucop de choses que l’on peut faire dans ou sur la mer mais nous avons besoin d’imagination. Pour faire venir des touristes par exemple, parce que de jolies plages, il y en a partout, mais des jolies plages de Nouvelle- Calédonie, il n’y en a qu’ici. C’est à nous de les valoriser.

DNC : C’est ce constat qui vous a poussé à créer le cluster ?

Lluís Bernabé : Nous nous sommes rendu compte que tout le secteur maritime existait mais qu’il était éparpillé et que chacun faisait sa petite partie du puzzle dans son petit coin. Mais on n’a pas l’image de référence du puzzle. Nous avons donc gratté et l’on s’est dit que ce serait bien de regrouper tous les acteurs du monde maritime afin d’avoir une vision globale de l’économie maritime. C’est ce que l’on a fait depuis bientôt deux ans que nous avons créé le cluster. Au début, l’idée était de faire une association mais nous nous sommes vite rendu compte que l’on était en train de redécouvrir ce qui existait déjà. Nous nous sommes donc rapproché du cluster maritime français. Plutôt que de créer quelque chose de nouveau qui se superpose, l’idée est de faire en sorte que chacun apporte un petit plus pour faire davantage. Alors que si chacun reste dans son coin, nous n’irons pas très loin.

DNC : Comment s’articulent les États généraux dans le développement du cluster ?

Lionel Loubersac : L’année dernière, nous avons établis une feuille de route pour 2016 autour de trois axes. Il fallait premièrement monter un observatoire de l’économie maritime pour que l’on sache combien nous sommes d’acteurs, quels emplois cela représente, quelles sont les dynamiques des 26 secteurs identifiés, parce que l’on dispose de très peu de données. Au niveau statistique, on ne sait évaluer, en gros, que la pêche et l’aquaculture. Mais tout le reste… On ne sait pas grand chose. Il y a une nébuleuse autour de la plaisance, du tourisme, du récréatif ou encore des sports. On ne sait pas combien il y a d’emplois. Le deuxième sujet était de dire qu’il y a un besoin de reconnaissance de la mer. Si l’on fait le rapport entre la surface de terre émergée et celle de la zone économique, la mer représente plus de 98 % du pays et l’on ne s’en ait pas vraiment occupé au niveau stratégique. Notre troisième axe était d’ouvrir des voies. Les États généraux de la mer s’inscrivent dans cette démarche et avaient pour objectif de faire prendre conscience du poids de la mer. Nous ne sommes pas là pour imposer quoi que ce soit mais nous souhaitions que les gens soient au même niveau de prise de conscience que l’économie bleue est une chance pour le pays et qu’il faut la saisir maintenant. D’où ces États généraux qui ont été un succès très large.

DNC : L’impulsion doit venir de la société civile ou du monde politique ?

Lluís Bernabé : Je vais vous poser une question. Qui sont les politiques ? Ils représentent la société civile, c’est donc à la société civile d’amener à une certaine manière de voir les choses. C’est ce que l’on fait. Nous devons faire valoir cette culture de la mer, pour les jeunes notamment. Sur la quasi-totalité des étudiants qui sont partis en métropole, presqu’aucun n’est dans une filière liée à la mer. La mer est perçue ici comme un endroit où l’on peut aller librement faire un coup de pêche, mais elle n’est pas perçue comme une possibilité de développement économique. C’est important de montrer que la mer peut être une source de revenus et de croissance économique. Durant les deux jours des États généraux, un de nos membres est arrivé le premier jours avec en tête l’idée de licencier deux personnes pour éviter le pire. Le deuxième jour, il a expliqué qu’il attendrait l’année prochaine pour licencier. Cela veut dire que le cluster maritime a donné un peu d’espoir. Si l’on a servi à ça, c’est déjà beaucoup.

DNC : Quel sont les potentiels réels de croissance ?

Lluís Bernabé : Il faut créer une stratégie claire. Nos entreprises ont besoin de vision à moyen terme, de 5 à 10 ans. Là, les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer.

Lionel Loubersac : Nous en sommes maintenant au niveau de la décision publique. Il faut qu’il y ait une stratégie ou au moins des projets concrets et d’envergure, pas des petits bouts de projets comme cela a été le cas pendant longtemps où chacun a essayé de tirer son petit avantage au détriment des autres. L’efficacité du système n’est pas à la hauteur des enjeux.

DNC : Après les États généraux, que va-t- il se passer ?

Lionel Loubersac : La prise de conscience est engagée. Nous travaillons sur la rédaction du rapport de synthèse qui devrait être présenté d’ici à une dizaine de jours. Au niveau européen, quand on regarde bien les grands secteurs à promouvoir au niveau de l’économie bleue, il y en a 11. Sur les 11, il y en a 10 qui sont possibles ici. Cela passe par le transport, la gestion intelligente des ressources naturelles, les biotechnologies ou encore les énergies marines renouvelables. Les polynésiens l’ont bien compris alors que nous sommes un peu en retard. Mais Enercal va entrer au sein du cluster. On est en train de monter en puissance, maintenant, les politiques prendront leurs décisions en définissant leurs priorités. Nous sommes une zone convoitée et il faut se protéger. Si on le fait bien, la Nouvelle Calédonie peut devenir exemplaire par rapport à ses voisins et représentative de nouvelles voies de développement équilibré.

DNC : N’est-il pas trop tard pour s’engager dans cette voie ?

Lionel Loubersac : Il faut y aller maintenant et la fenêtre de tir, nous l’avons. Le mot crise en chinois est le même mot qu’opportunité. On a une crise mais on va se retrousser les manches et saisir les opportunités. Ce que nous disons, ce n’est pas l’un ou l’autre mais les deux. On se demande pourquoi le pays n’a pas commencé à mettre la clef dans une des serrures dont on parle. Il y a eu Nouvelle- Calédonie 2025 sur les grands axes stratégiques. En dehors de la mine, de l’agriculture, des technologies de l’information, la mer était absente. Elle est maintenant prise en compte.

Lluís Bernabé : En Calédonie, on ne peut pas construire une usine de voiture par exemple, mais nous avons des cerveaux et c’est le plus important. Il faut les faire travailler, c’est ça notre avenir.