L’économie calédonienne au bord du gouffre ?

La Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie a tenu, en fin de semaine dernière, une conférence de presse afin de tirer la sonnette d’alarme quant à la dégradation de la situation économique dans son ensemble. L’atterrissage de la croissance risque bien de coûter cher à l’emploi.
Les élus de la CCI ont mis sur la table 11 propositions et ont organisé, mardi 24 mai, des assises du commerce afin de définir un plan d’action concerté.

 

La situation va mal et pas seulement pour le nickel. Par effet d’entraînement, c’est toute l’économie calédonienne qui est en train de sombrer. Les institutions ont pris conscience de la nécessité de soutenir le secteur du nickel mais le nickel devra également faire de gros efforts. Une analyse récente du cabinet Wood Mackenzie place les trois usines calédoniennes au dernier rang mondial en matière de compétitivité. Les prévisionnistes estiment que les cours remonteront, mais jamais au niveau que l’on a pu connaître ces dernières années.

La croissance calédonienne a donc probablement « atterri » pour un bon moment, après une petite dizaine d’années de surchauffe La crise actuelle est le fruit de cette période d’euphorie où les entreprises ont embauché à tour de bras, où les gouvernements successifs ont augmenté les dépenses publiques sans adopter des recettes pérennes correspondantes et où l’inflation a fortement progressé. Le rythme de croissance de la Nouvelle-Calédonie retrouve donc un niveau correspondant davantage à sa réalité économique qui peut être perçue comme une crise tant son impact sur l’emploi risque d’être profond.

Changer les mentalités

Cette « insouciance » a, d’une certaine manière, été passée au crible lors du premier colloque sur les ressources humaines, organisé par l’université de Nouvelle-Calédonie. L’intitulé même de ce colloque, « Quels enjeux pour quelles recherches ? », n’est pas anodin et met en lumière le manque en la matière. Les intervenants ont en particulier souligné un important déficit en termes d’anticipation ou encore de gestion prévisionnelle de formation.

Là encore, la prise de conscience fait son chemin, même si certains chefs d’entreprise considèrent toujours la formation comme inutile. Les gaspillages et plus généralement l’échec en la matière sont la parfaite illustration d’une conception extensive de l’économie et peu soucieuse de la compétitivité. Le travail s’engage mais, comme le souligne Jenny Seagoe, la présidente de la CCI, au-delà de traiter les questions de fond, la Calédonie est au bord du gouffre et c’est donc l’urgence qu’il faut également traiter.

Agir pour éviter le pire

Et les chiffres avancés par la chambre consulaire sont éloquents. Sur les quatre premiers mois de l’année, les ventes de pick-up, parmi les véhicules les plus prisés, ont chuté de 40 %. Pour l’ensemble du parc automobile, le volume des ventes a régressé de 22 % par rapport à 2015. Toujours dans le commerce, sur les 929 cellules commerciales du centre-ville, 10 % sont vides. Sur ces 10 %, 45 % ont fermé depuis moins d’un an, soit plus de 40 commerces. Les chiffres du logement social sont également inquiétants. Alors que le besoin en logements est de 1 600 par an, en 2015, les bailleurs sociaux en ont produit à peine 200. De manière générale, l’indicateur du climat des affaires construit par l’IEOM a atteint son plus bas niveau depuis sa mise en place en 2008.

Pour aider à passer le cap de la « crise » et assurer la transition, la CCI a mis 11 propositions sur la table (lire en hors-texte). Onze propositions qui ne sont une amorce de réflexion et une invitation lancée à tous les partenaires pour éviter d’entrer dans un cercle vicieux destructeur d’emploi. Après les assises du commerce organisé mardi 24 mai (elles font suite aux premières assises qui se sont tenues en 1998), la CCI devrait produire un livre blanc qui proposera un diagnostic et des propositions plus complètes.

 

Onze propositions pour agir à court terme :

1/ Raccourcir les délais de paiement

Le défaut de trésorerie est à l’origine de la disparition de nombreuses entreprises. Un travail doit être mené sur les délais de paiement des institutions et des établissements parapublics. La CCI propose que la Nouvelle-Calédonie se rapproche de ce qui se fait en métropole, à savoir que les délais de paiement sont à 30 jours avec des intérêts moratoires en cas de dépassement. Aujourd’hui, le système est très opaque. À 45 jours à partir du mandatement, les entreprises n’ont aucune visibilité et, dans certains cas, les délais peuvent dépasser l’année. Autre idée, si une entreprise n’est pas payée, le paiement de certaines de ses charges comme la TSS, par exemple, sera décalé.

2/ Privilégier les entreprises locales pour les appels d’offres

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les entreprises calédoniennes sont très souvent défavorisées lors d’appels d’offres alors que la loi prévoit une préférence pour l’emploi local. L’idée est donc d’introduire un nouveau critère dans les appels d’offres, celui du poids pour l’économie locale. Autrement dit, l’entreprise qui laissera davantage de salaires ou d’achats sur le territoire sera privilégiée par rapport à une autre.

3/ Modifier et assouplir la loi anti-trust

Il est question de relever le seuil pour déclencher le dispositif anti-concentration de 600 millions de francs à 1,2 milliard de francs en particulier pour des secteurs à risque qui seraient définis en fonction de leur impact sur le pouvoir d’achat des ménages et l’économie. Les chiffres d’affaires retenus des groupes ne seraient plus le chiffre d’affaires global mais ceux des secteurs concernés par les fusions de sociétés.

4/ Engager des projets publics structurants

Deuxième tranche de la quatre voies jusqu’à Tontouta, barrage à Ouinné, quai des paquebots… Il existe des grands projets structurants dont tout le monde a plus ou moins entendu parler. Mais sans informations plus précises, les entreprises ont du mal à anticiper leurs investissements ou encore les embauches. Elles veulent donc plus de visibilité de la part des institutions.

5/ Promouvoir la destination Nouvelle-Calédonie

Les contrats de destination mis en place entre Aircalin et les hôteliers ont porté leurs fruits en matière de tourisme. La CCI estime qu’il faut poursuivre dans cette direction et insister encore davantage sur la promotion touristique afin d’attirer de nouveaux « vrais » touristes, à savoir non affinitaires ou d’affaires.

6/ Faciliter la détaxe dans tous les commerces

Cette mesure permettrait aux croisiéristes d’accéder plus facilement aux produits détaxés et de dynamiser le commerce de centre-ville. Le gros avantage de cette mesure est qu’elle ne coûte rien et qu’elle permettrait de générer des ventes additionnelles.

7/ Changer d’heure

La proposition ne date pas d’hier. Elle a des partisans comme des détracteurs. Pour la CCI, cela permettrait de profiter d’une heure supplémentaire le soir ce qui favoriserait la consommation. En 2015, une étude montrait que 47 % des personnes interrogées étaient pour, contre 27 %.

8/ Élargir la défiscalisation

Pour la CCI, la défiscalisation est un outil essentiel de soutien à l’économie outre-mer qui a un certain nombre de handicaps. Le dispositif est toutefois trop complexe. Il faudrait donc le simplifier mais aussi ne plus limiter à l’appareil productif de l’industrie mais à l’ensemble des secteurs d’activité.

9/ Établir des partenariats avec les banques

Pour les entrepreneurs, il serait bon de réduire les délais d’instruction d’accès aux crédits, de mettre en place des facilités bancaires, notamment en matière de trésorerie, mais aussi de faire en sorte que les refus des banques soient plus transparents, sans parler, bien sûr, de la réduction des frais.

10/ Céder des actifs publics

La CCI estime que les institutions devraient procéder à certaines ventes comme, par exemple, l’université de Magenta, afin de laisser la place à davantage de projets privés. La Chambre demande qu’un audit soit réalisé en toute transparence afin de susciter les initiatives privées.

11/ Identifier des mesures concrètes

Cette dernière proposition un peu fourre-tout couvre des mesures comme l’allégement de charges sociales et/ou fiscales, un assouplissement au moins temporaire de la réglementation du travail.