Le turtle watching à l’essai

La province Sud a mandaté l’Aquarium des lagons pour étudier la faisabilité de créer une activité éco-touristique d’observation de la ponte des tortues. L’étude, qui comprend des analyses comparatives et un test grandeur nature à la plage de la Roche, à Bourail, a commencé en janvier et devrait être sur le bureau de la province d’ici juillet. Différents scénarii seront proposés à l’institution qui aura à choisir.

C’est sans tambours ni trompettes que le turtle watching a été lancé, début décembre, à la plage de la Roche percée à Bourail. L’activité, dont l’Aquarium des lagons a la charge, est en réalité une opération pilote commanditée par la province Sud. Si peu de publicité a été faite, c’est que les acteurs de la préservation ont encore en mémoire une mauvaise expérience, il y a dix ans. À l’époque, l’association Bwärä tortues marines, qui œuvre à la protection des tortues venant pondre sur la plage de Bourail, offrait la possibilité d’observer les tortues pour les personnes qui devenaient membres. Rapidement, les bénévoles s’étaient retrouvés débordés et avaient dû mettre un terme à l’activité.

Avec le développement touristique, la province Sud a souhaité voir dans quelle mesure il était possible de mettre en place une activité éco- touristique d’observation de la ponte des tortues et de l’émergence des juvéniles. Pour ce faire, elle a mandaté l’Aquarium des lagons qui travaille scientifiquement depuis des décennies sur ces reptiles particuliers et dispose également d’une expertise en matière touristique. L’aquarium a 18 mois pour rendre son rapport à la province Sud. Un rapport qui devra proposer différents scénarii à l’institution qui aura ensuite la charge de décider de l’avenir de l’activité.

Phase pilote achevée au mois de juillet

« La phase pilote qui est réalisée à Bourail est un des volets de l’étude de faisabilité qui doivent permettre d’évaluer le potentiel éco-touristique du turtle watching, indique Richard Farman, le directeur de l’Aquarium des lagons. Il y a également une partie bibliographique et d’analyse des informations récoltées ailleurs. » Et pour cause, l’observation des tortues est loin de constituer une activité inédite. Elle est pratiquée depuis des dizaines d’années un peu partout dans le monde et en particulier chez nos voisins australiens. Bundaberg, sur la Gold Coast, est notamment le site de ponte le plus important au monde pour la tortue grosse tête. La Calédonie est le deuxième site.

En théorie, l’observation a peu d’impacts sur les tortues, à condition de faire les choses dans les règles. Le Code de l’environnement de la province Sud en prévoit déjà quelques-unes et plus particulièrement l’interdiction d’éclairer une tortue avec sa lampe torche ou encore de s’en approcher à moins de 10 mètres, sous peine d’une amende de 90 000 francs pour une perturbation intentionnelle et d’un million de francs pour une atteinte à leur conservation. Si les amendes sont dissuasives, on peut juste regretter que les contrevenants ne soit que rarement, si ce n’est jamais, verbalisés, ne serait- ce que pour l’exemple.

Le futur projet devra relever le défi d’éviter les impacts sur le milieu et les espèces, de participer à la conservation et l’éducation en étant à la fois une véritable activité touristique. Si l’étude qui repose en partie sur les retours des visiteurs au travers d’un questionnaire est loin d’être achevée, plusieurs options se dessinent déjà. La première est tout simplement le statu quo. Il serait alors tout simplement question de ne rien changer à la situation actuelle. En dehors du statu quo, il pourrait être question de tout boucler afin de protéger les tortues. De l’autre côté de l’éventail, on trouve l’option Bundaberg qui pourrait être le « miroir » de la Nouvelle-Calédonie. On y trouve là-bas un vrai centre d’accueil, et pour reprendre le résumé de Richard Farman, « le top ». Entre l’interdiction totale et la mise en place d’une superstructure touristique, il existe un certain nombre de déclinaisons possible, gérées par le public, le privé ou un mélange des deux.

 

Entre 50 et 70 tortues fréquentent la plage de la Roche percée. La saison des pontes s’étale de décembre à la fin du mois de janvier, les émergences des bébés tortues se poursuivent dans les deux mois suivants. Les tortues sont des animaux en grand danger. En cinquante ans, c’est la moitié de la population mondiale des tortues qui a disparu.

 

Donner du sens au développement touristique

Une des idées, qui avaient déjà été portées par l’association Bwärä à l’occasion des derniers contrats de développement, pourrait refaire surface. Il serait question de mettre en place une Maison de la tortue. Cette structure serait en charge du turtle watching pendant la saison et assurerait également la sensibilisation du public le reste de l’année. La Maison de la tortue pourrait également prodiguer les soins aux tortues blessées dont s’occupe aujourd’hui l’aquarium et coordonnées les recherches scientifiques et les actions de conservation ou encore de formation. En résumé, cette maison, à vocation territoriale et pas uniquement provinciale, deviendrait la référence en matière de tortues, pour les touristes ainsi que la population calédonienne. Un projet qui aurait le mérite de donner du sens au développement touristique et pourrait être au cœur d’autres activités autour de la tortue existant déjà de manière plus ou moins formelle à l’île des Pins ou au phare Amédée. Sans compter sur d’autres sites de ponte encore mal connus, notamment dans les îles. Ce développement de l’éco-tourisme s’appuierait sur la très riche biodiversité dont la Nouvelle-Calédonie se gargarise d’être un des hauts lieux mondiaux sans pour autant qu’elle soit réellement mise en valeur.

En matière de tourisme et de conservation, le territoire a une carte à jouer. Elle compte d’importantes concentrations de raies Manta à Touho par exemple, de tortues, mais également d’oiseaux devenus rares ou endémiques comme de nombreux oiseaux marins ou encore le cagou, sans parler des baleines. Un engagement des collectivités dans ce sens serait aussi l’occasion pour le territoire de s’affirmer au niveau régional comme un acteur majeur de la protection des espèces emblématiques et de peser dans les discussions, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.


Visite à l’australienne

Le rendez-vous est fixé à 20 heures sur le parking à l’entrée de la Roche percée. Des gardiens surveillent le parking pendant que les éco-gardes prennent en charge les visiteurs. En tout, ils ne peuvent pas être plus de 45. Malgré le peu de communication autour de l’activité, la plupart des soirées affichent complet. Toutes ces personnes, ce sont principalement les bénévoles qui vont s’en occuper. Des jeunes, pour la plupart, de Bourail et d’ailleurs, en service civique ou en job d’été.

En retrait de la plage, le staff vous accueille, en français et en anglais, autour d’un thé ou d’un café et présente l’activité. Des tivolis, des nattes et des toilettes constituent le camp de base rudimentaire, loin de ce que l’on peut retrouver chez nos voisins anglo- saxons, mais l’esprit est bien là. Tyffen Read, chargée de mission pour l’Aquarium des lagons et spécialiste des tortues, a largement contribué à l’organisation de l’activité et s’est directement inspiré de ce qui se fait à la plage de Mon Repos, à Bundaberg où elle a passée quelque temps notamment lors de ses études. Pendant que des éco- gardes cherchent pour vous les tortues sur la plage afin d’éviter toute perturbation, vous attendez tranquillement sur les nattes où l’on vous propose des ateliers autour des tortues marines mais aussi des jeux.

L’idée, comme le précise Tyffen Read, est de faire l’inverse de ce qui s’est passé pour le whale watching où l’encadrement est venu après la structuration de l’activité par les privés. La phase de test permettra par exemple de savoir combien de temps on peut passer auprès d’une tortue ou encore combien de personnes peuvent venir en même temps.

Si dans l’ensemble les visites se passent bien, l’équipe de bénévoles doit tout de même essuyer quelques plâtres. C’est le cas de visiteurs indélicats qui arrivent régulièrement, parfois en bande de trente personnes. Il faut alors appeler la gendarmerie, la police municipal et les gardes nature. Mais les petits soucis peuvent également venir des visiteurs, parfois exigeants, qui ne comprennent pas l’attente ou le fait que les tortues ne soient pas toujours au rendez-vous. Si le site de la Roche est le deuxième pour les tortues « grosse tête », on recense entre 50 et 70 femelles. On ne voit donc pas chaque soir 150 tortues venir pondre. Mais dans l’ensemble, très peu de groupes n’ont pas eu la chance de pouvoir observer de tortue.

Si la plage de la Roche reste une plage publique sur laquelle tout le monde peut aller et venir, dans le respect des règles du Code de l’environnement, passer par ces visites présentent des avantages. Le premier est de pouvoir bénéficier des explications de personnes spécialement formées. Le deuxième est de pouvoir s’approcher à deux mètres au lieu de 10 grâce à une autorisation spéciale de la province Sud et de pouvoir allumer une lumière infrarouge permettant de mieux observer la ponte des animaux.


L’Aquarium des lagons et l’éco-tourisme

Depuis trois ans, l’Aquarium mène un travail d’éco-tourisme au phare Amédée, en partenariat avec l’opérateur privé. Grâce à un bateau à fond de verre, les bénévoles font découvrir les beautés du récif aux touristes. Une visite de l’îlot permettant de découvrir la faune et la flore leur est ensuite proposée. Ces visites, qui font un tabac, sont l’occasion de passer des messages de sensibilisation et de récolter de l’argent pour financer la conservation. L’opérateur reverse 100 francs par passager. En trois ans, les bénévoles de l’aquarium ont encadré près de 60 000 touristes.

M.D.

Informations et résevations : eticket.nc