Le taux de croissance « ne suffit pas »

L’indicateur économique le plus couramment utilisé a autant de limites que de qualités, insistent les responsables de l’Isee et de l’IEOM. Le produit intérieur brut (PIB) ne dit rien de l’emploi, des questions environnementales ou encore du bien-être de la population. Il nécessite systématiquement d’être appuyé par d’autres indicateurs.

Le PIB offre une mesure fiable de la richesse créée par les entreprises. Il permet aux gouvernements d’estimer les recettes fiscales. Utilisé dans le monde entier, il facilite les comparaisons entre pays. Voilà pour ses principales qualités… qui s’accompagnent inévitablement de défauts. « C’est un indicateur économique assez critiqué, constate Olivier Fagnot, directeur de l’Isee, parce qu’on lui donne souvent plus d’importance qu’il n’en a réellement. » Le taux de croissance « ne suffit pas » à l’analyse d’une économie, loin de là.

Pour Magali Ardoino, de l’IEOM, il faut commencer par analyser les raisons de la croissance. « Le PIB est-il tiré par les exports ? Par l’investissement ? Par les milliards injectés par l’État ? Selon les moteurs de la croissance, le taux n’a pas la même signification. » C’est même un indicateur « fruste ». « Il ne dit rien du niveau de l’emploi, de sa structure. Et je ne parle même pas du bien-être des personnes, qui dépend aussi du système de santé, de l’éducation », insiste Olivier Fagnot.

En 2021, la richesse créée par les entreprises est revenue à un niveau comparable à celui de 2014.

 

« Le PIB à zéro lien avec l’écologie »

Le taux de croissance est particulièrement critiqué par les écologistes. Un exemple classique : la destruction de la forêt amazonienne, souvent décrite comme le « poumon de la planète », est bénéfique à la croissance brésilienne. « Le PIB a zéro lien avec l’écologie, résume Olivier Fagnot. Pire : on peut imaginer qu’une catastrophe écologique aurait un effet bénéfique sur la croissance économique, par les réparations. »

Consciente de ces critiques déjà anciennes, l’ONU soutient depuis 1992 l’utilisation d’un PIB « vert », qui n’est jamais parvenu à s’imposer malgré des expérimentations aux États-Unis, en Australie ou encore en Norvège. Difficile à calculer, il est loin de faire l’unanimité, même chez les écologistes. Pour certains d’entre eux, le débat est ailleurs. « CO2 ou PIB, il faut choisir. » C’est l’expression de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, militant de la décroissance en France.

« Un chiffre, on peut lui faire dire ce que l’on veut »

Ce genre de critique n’est cependant pas réservé au PIB, loin de là, comme en témoignent les polémiques récurrentes, en Métropole, autour du taux de chômage (7,4 %), qui se trouve au plus bas depuis 15 ans. Le gouvernement y voit une excellente nouvelle, d’autres rétorquent que la précarité n’a jamais été aussi élevée, le temps plein cédant du terrain au temps partiel.

Pour Magali Ardoino, « il faut toujours associer un indicateur complémentaire pour apprécier l’information », ce que l’IEOM et l’Isee s’efforcent de faire dans chacune de leurs publications. « Un chiffre seul ne signifie rien, il faut l’interpréter. Ce qui signifie aussi que l’on peut lui faire dire ce que l’on veut, qu’on peut le manipuler. » Compliqué, l’économie ? « Ce n’est pas compliqué, c’est subtil. »

 

Gilles Caprais (© G.C.)