Le retour des violences

Les antagonismes portant sur le devenir de l’usine du Sud, renforcés en cette période de sortie de l’Accord de Nouméa, pourraient bien faire voler en éclats la paix régnant sur ce territoire depuis trente ans. Les voyants sont en tout cas bien au rouge.

Terre de parole, terre de partage… Voilà une devise décidément à des années-lumière de la réalité de ce territoire, qui peine à aller de l’avant et à se défaire de ses vieux démons. Une fois n’est pas coutume, c’est sur le terrain du nickel que s’affrontent les « deux » Calédonie. Cette fameuse richesse calédonienne.

Il y a un an environ, Vale annonçait son intention de partir de Nouvelle-Calédonie. Cela paraissait un peu irréel, personne n’y croyait vraiment. Peu à peu, on a compris que l’industriel était même prêt à fermer l’usine pour tourner la page. Il fallait donc absolument sauver et gérer la ressource ainsi que les quelque 3 000 emplois.

Le bras de fer opposant les organisations indépendantistes et les coutumiers – en faveur d’un partenariat Sofinor/Korea Zinc – à la province Sud et Vale soutenant d’abord New Century Resources, puis Trafigura Prony Resources, s’est renforcé au fil des mois au gré des négociations, des promesses, des tromperies, des positionnements ou retraits de repreneurs potentiels, des déclarations politiques tonitruantes.

Finalement, un nouveau préalable minier a été posé par les indépendantistes. Depuis un mois environ, la mobilisation sur le terrain du collectif « Usine du Sud = usine pays » et de l’Ican (Instance coutumière autochtone de négociations), s’estimant menés en bateau et pas considérés, a pris de l’ampleur avec un soutien accru des formations politiques et des populations. Ce mercredi, alors que la situation était déjà en train de basculer, annonce a été faite de la signature d’un accord entre Vale Nouvelle-Calédonie et Trafigura, une « avancée » laissant néanmoins présager le pire sur le terrain.

Du déjà-vu

Si l’on connaît le potentiel de crispation du secteur du nickel, on sait aussi reconnaître certaines méthodes – regrettables – déjà éprouvées par le passé sur divers sujets. On sentait la situation s’envenimer, notamment dans le Sud où des forces de l’ordre avaient été blessées. La grosse claque est survenue lundi : au petit matin, les amarres du navire de Vale ont été coupées. Puis, les Nouméens ont assisté, abasourdis, dans leur ville dont les entrées étaient bloquées, à de véritables scènes de guérilla urbaine entre manifestants et forces de l’ordre sur le quai Ferry et la rue Gallieni. Des scènes très impressionnantes, même si elles n’ont pas impliqué énormément de monde, mais que l’on pensait d’un autre temps.

On a vu les jets de pierre, la destruction de vitrines, les incendies de voitures et de pneus et cette banderole « La ville blanche prise en otage » qui a donné quelques frissons. On a vu la puissance des forces d’intervention, entendu les gros « boums » des grenades de désencerclement. Au final, 47 personnes ont été interpellées (des peines allant de 4 mois de prison ferme à 4 mois avec sursis ont été prononcées). Cette journée a porté à 17 le nombre de gendarmes et de policiers blessés sur le terrain. Des dégâts ont aussi été causés à Nouville, isolée.

Autour de l’usine, la situation s’est dégradée avec des conflits et des introductions sur le site. Le sud du Mont-Dore a aussi été le théâtre d’affrontements qui ont culminé, mardi soir, par l’incendie de la station Mobil du centre commercial de La Coulée et le saccage du parc. La situation a aussi été tendue à Bourail, La Foa (Fonwhary), Païta (Bangou)… Conséquences : des conducteurs bloqués, des écoles et des lycées fermés, des examens ratés, des coupures internet, une agence postale dégradée, des agences OPT fermées, les bus Taneo perturbés, le réseau Raï à l’arrêt, une pénurie de carburant déjà sur la côte Est et VKP. Le groupement des gérants de stations-service a annoncé la fermeture des stations ce jeudi pour demander au haut-commissaire de la République, Laurent Prévost, le maintien de l’ordre public et la sécurité des biens et des personnes.

Une rotation aérienne en provenance de Wallis-et-Futuna a été annulée. Il faut dire que les derniers arrivés sur le territoire la semaine dernière s’étaient fait caillasser…

Contre-barrages

L’exaspération est montée d’un cran au sein de la population. Un premier « contre-barrage » s’est instauré à Bourail, avec une posture politique et des pamphlets tels que « Nous avons gagné le référendum ». Les Loyalistes ont annoncé une marche pour les « libertés », samedi matin, au départ de Moselle.

À Païta, mardi, Harold Martin a publié une vidéo appelant à la mobilisation face à « l’immobilisme » de l’État. Il organisait le soir même une réunion à l’Arène du Sud qui a réuni 400 à 500 personnes. Le lendemain, 300 se positionnaient sur le pont d’Ondémia dans un face-à-face tendu avec leurs « opposants ». Des images de personnes armées ont circulé sur les réseaux sociaux. Willy Gatuhau est allé sur place demander la levée totale des barrages. Au Mont-Dore, l’association des citoyens mondoriens s’est aussi « organisée », après un rendez-vous au warf de La Coulée.

Par voie de communiqué, Patrick Robelin, maire de Bourail, et Eddie Lecourieux, maire du Mont-Dore avaient condamné les blocages. Le premier a appelé au calme, le second a demandé à l’État des moyens plus conséquents pour soutenir les policiers, les gendarmes et les pompiers. À La Foa, le maire, Nicolas Metzdorf, a interdit la vente d’alcool. Observant l’escalade des tensions, l’Ican, le collectif et certaines formations indépendantistes ont souligné que leur lutte était pacifiste et appelé leurs troupes « à ne pas répondre aux provocations ». Le haut-commissaire, le président du gouvernement ont appelé au calme à plusieurs reprises, tout comme le comité des sages ou encore des personnalités comme Max Foucher, président de ContraKmine.

Réactions

Mardi, au regard des dégradations et intrusions sur le site de l’usine du Sud, le président du gouvernement, Thierry Santa, a déclenché le plan particulier d’intervention (PPI) Vale NC, préparant le centre opérationnel du gouvernement à mobiliser ses moyens et à intervenir en fonction de l’évaluation de la situation sur ce site de 73 hectares, classé à haut risque industriel (Seveso 2). Le gouvernement et le haut-commissaire ont, d’un commun accord, décidé de faire sortir prématurément de quatorzaine les mobiles arrivés sur le territoire. Mercredi, le haut- commissariat a interdit le port et le transport d’armes, de munitions et d’éléments de munitions. Des blindés ont été déployés pour libérer les barrages.

Ces décisions ont suscité plusieurs réflexions. Les interventions sont-elle intervenues trop tardivement ? Avec le site de Vale à protéger, les effectifs de gendarmerie étaient-ils suffisants ? Les moyens déployés lors du référendum ont peut-être été retirés trop tôt, le contexte mal jaugé ou complexifié par la situation métropolitaine également tendue. D’ailleurs dans leurs interventions, ni Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, ni Jean Castex, Premier ministre, n’ont semblé prendre la mesure de la situation locale.

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Sur le plan purement politique, la situation risque également de se compliquer. Selon nos informations, les cinq membres indépendantistes du gouvernement n’ont pas siégé en collégialité, mardi, et se sont opposés par écrit contre la sortie de quatorzaine des gendarmes. Est-ce là la fin de ce gouvernement qui a décidément bien du mal à surmonter les crises ? Les indépendantistes participeront-ils aux prochaines réunions Leprédour ? Quel positionnement pour eux dorénavant, et pour quelle crédibilité ?

Dans un communiqué, mercredi, le Sénat coutumier a fait part de sa stupéfaction sur la suspension de quatorzaine de « 150 gardes mobiles à peine débarqués dans le pays ». L’institution estime que le gouvernement « fait courir un réel danger à la population par une contamination générale de tout le pays calédonien, à l’exemple de nos frères polynésiens ». Comme plusieurs intervenants politiques avant eux, ils rappellent qu’aucun obstacle ne pourra arrêter « la lutte du peuple kanak qui va dans le sens de l’histoire ».

On revient une nouvelle fois au fond de cette affaire : la politique et le devenir de ce pays. Là-dessus, encore une fois, deux « camps » s’opposent : les partisans de l’indépendance, qui ne lâcheront visiblement jamais leur lutte et leurs moyens d’y parvenir, et les partisans de la Calédonie dans la France, dont « l’honneur » est de nouveau mis en avant. Il y a aussi la voix du milieu, celle de l’Éveil océanien, qui appelle à la raison et au consensus, soulignant au passage que « les nostalgiques d’un glorieux passé se trompent ». Enfin, il y a Calédonie ensemble qui estime qu’aucun dialogue politique ne pourra être réinitié sans un accord préalable sur l’usine du Sud et affiche encore une fois clairement son positionnement. Nous ignorons où tout cela va nous mener, mais gageons que nous ne sommes pas au bout de nos peines avec, en plus de cela, en perspective, le « combat » du troisième référendum.

C.M.