Le retour des missionnaires

Comme en 2016, revoici les observateurs des Nations unies. La délégation conduite par Flavien Misoni prendra part à la fois aux commissions de révision de la liste électorale spéciale et de la liste référendaire. Le travail des premières a débuté hier et se poursuivra jusqu’au 28 mars, les secondes débuteront le 29 mars pour s’achever le 31 mai au terme des différentes voies de recours. Si les élus du Congrès, après quelques débats, ont émis un avis favorable à la désignation de ces 13 observateurs, nombreux sont les Calédoniens qui voient d’un œil suspicieux ce qu’ils considèrent comme une ingérence.

Il est indéniable que la constitution des corps électoraux, aussi bien pour la liste spéciale que pour la liste référendaire, représente un sujet d’une extrême sensibilité non seulement pour les Calédoniens qui y sont déjà référencés et dûment inscrits que pour ceux qui y aspirent.
Cette question a été au cœur des négociations qui ont conduit aux deux accords de paix de 1988 et de 1998.

Les indépendantistes ont régulièrement qualifié leur démarche de « mère de toutes les batailles ». Les partisans d’une Nouvelle-Calédonie durablement installée dans la France, s’ils n’usent pas de la même rhétorique, ne se sont pourtant pas moins mobilisés, pas toujours d’ailleurs avec le succès attendu de la part de leur électorat (gel du corps électoral). Or, même s’il y a un peu plus d’un an, en février 2016, le Comité des signataires indiquait dans son relevé de conclusions que le « le litige est définitivement clos », force est de constater que la revendication n’est pas finie puisque des demandes de radiation ont, depuis, été formulées par l’Union calédonienne et il n’est pas exclu que de nouvelles demandes du même type soient formulées, cette année, pendant les commissions de révision.

Que dire de la constitution de la liste référendaire ? Fin 2017, cette liste a été arrêtée pour la première fois, elle comporte aujourd’hui environ 155 000 individus, mais il est de notoriété publique que ce chiffre et la composition même de la liste ne satisfont pas une partie non négligeable du camp indépendantiste qui exige que les Kanak soient inscrits automatiquement, ce qui apparaît aujourd’hui tout simplement comme impossible aux termes de la loi en vigueur et de la Constitution française qui nous régit. C’est dire si la présence, même avec le simple statut d’observateurs, des missionnaires de l’Onu peut susciter un sentiment de suspicion.

Car si chacun convient que le scrutin que doit organiser l’État en 2018 revêt l’impérieuse nécessité d’être incontestable dans son résultat, ils sont nombreux à ne pas comprendre ou tout simplement à refuser qu’ « un œil de Moscou » onusien vienne surveiller les opérations de constitution des listes, ce qui sous-entendrait que des fraudes soient non seulement possibles voire inévitables. Cette défiance peut d’ailleurs se comprendre justement puisque l’an dernier, ces mêmes missionnaires ont convenu dans leur rapport que les opérations se déroulaient en toute transparence, en dehors de quelques réglages de détails et qu’en conséquence aucune fraude d’ampleur n’était à redouter.

L’ombre d’un doute

Cette suspicion d’ingérence n’est pas totalement infondée dans la mesure où la Nouvelle- Calédonie, réinscrite le 2 décembre 1986 sur la liste des territoires non autonomes de l’Onu, a beaucoup évolué depuis cette date et que justement, elle exerce aujourd’hui un nombre tel de compétences, que ce statut même est sujet à caution.

L’autonomie acquise par la Nouvelle-Calédonie ces trente dernières années dans tous les domaines, y compris en matière de relations internationales, ne souffre d’aucune controverse. Et ce d’autant moins que ces évolutions institutionnelles consécutives ont été acquises au terme de processus démocratiques qui sont incontestables, obtenus après consultation d’un corps électoral spécifique. Par ailleurs, l’intervention de cette mission d’observation n’a été rendue possible qu’avec l’accord formel du gouvernement français pour faire suite à la demande du FLNKS, ce qui implique donc que l’Onu n’a pas vocation, dans le processus en cours, à exiger unilatéralement l’intervention de ses observateurs.

Pour toutes ces raisons, la présence dans chacune des commissions de révision des listes électorales des missionnaires, même si elle apparaît la plupart du temps bienveillante, fait peser un doute dans la perspective des consultations de 2018 et 2019. Et ce n’est certainement pas les menaces à peine voilées en provenance d’une partie du FLNKS de demander à l’Onu l’organisation du référendum de sortie de l’Accord de Nouméa si la France refusait l’inscription automatique de tous les Kanak qui risquent de lever ce doute.

C.V. 

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