Le « pacte pour le nickel » se fait attendre

La filière métallurgique se trouve dans une situation très préoccupante, qui nécessite des mesures d’urgence mais aussi des réformes d’ampleur. (© Y.M.)

Proposé par le ministre Bruno Le Maire et destiné à sortir les métallurgistes d’une perspective de faillite, le « pacte pour le nickel » a reçu des réserves d’institutions calédoniennes. Le consensus n’est pas encore là. La chute du cours du métal complexifie de plus sa consolidation.

« J’ai pu mesurer la très vive inquiétude des milliers de Calédoniens qui vivent de l’activité du nickel et qui demandent, à juste titre, des perspectives », ainsi « nous leur devons des réponses, je le dis avec beaucoup de force et de cœur ». Derrière le pupitre du haut-commissariat, après la visite des trois usines métallurgiques de classe mondiale, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire affichait la volonté, à Nouméa le 27 novembre dernier, de rassembler les acteurs industriels et politiques afin de parvenir à un accord final sur le sauvetage de la filière « d’ici la fin janvier » 2024.

L’échéance espérée est arrivée, l’urgence s’accroît nettement, mais le locataire de Bercy n’a pas annoncé son retour en Nouvelle-Calédonie pour la signature du « pacte pour le nickel ». Parce que, même si « des avancées substantielles ont été enregistrées », « des réserves exprimées par certaines parties prenantes sur nombre de points » demeurent, selon le communiqué conjoint du groupe de travail nickel instauré pour le difficile exercice.

QUI FINANCE LA SUBVENTION « ÉNERGIE » ?

De nombreux participants posent effectivement des bémols sur des propositions avancées par le ministre Bruno Le Maire et ses collaborateurs. Sans surprise, la province Nord ne voit pas d’un très bon œil d’éventuelles modifications du code minier, comme la déclassification des réserves métallurgiques dont le gisement de Koniambo, ces espaces interdisant légalement aujourd’hui l’exportation du minerai brut. Et ce, même si l’institution provinciale à Koné n’est pas compétente pour une telle levée de la disposition.

Le gouvernement calédonien et la province Sud se seraient en outre ouvertement interrogés sur le mode de financement de la subvention à l’énergie par les collectivités la première année.

Les experts missionnés avaient estimé le coût annuel et global de cette aide en faveur des trois usines à 24 milliards de francs, sur dix ans. Le souhait de Paris visait, au départ, un partage de la somme pour moitié entre l’État et la Nouvelle-Calédonie. La charge pour le territoire aurait été ramenée à 8 milliards de francs par an, tout de même. Selon un industriel, le montant de la subvention est insuffisant pour atteindre les 50 à 60 dollars US le mégawattheure connus chez les concurrents en Indonésie.

Ce soutien à l’énergie interviendra le temps du déploiement d’un programme d’investissement visant l’alimentation des métallurgistes en électricité décarbonée, stable et à bas coût. L’État, intéressé par le nickel pour batteries à destination du marché européen, apportera une contribution substantielle. Le gouvernement calédonien et la province Sud auraient exprimé une réserve sur les modalités de financement de ce plan colossal chiffré à plus de 4 milliards d’euros, ou près de 478 milliards de francs.

LES PERTES CHIFFRÉES

Un facteur très lourd a surgi durant cette réflexion commune entre l’État, les métallurgistes, les mineurs et les politiques : le cours du nickel au London Metal Exchange, la première bourse des métaux au monde, a chuté autour des 16 000 dollars US la tonne, en raison d’un afflux de la production indonésienne et d’une croissance de la demande plus adoucie. Les prévisions de prix pour l’année ne sont pas bonnes.

Le chiffre aurait été mentionné durant les discussions du groupe de travail nickel, la perte cumulée des trois métallurgistes atteindrait environ 900 millions d’euros, soit 107 milliards de francs, en 2024. Or « l’État ne financera pas des activités industrielles à perte » a répété le ministre de l’Économie et des Finances à Nouméa. Mais les actionnaires de référence de ces complexes, c’est-à-dire Eramet, Glencore et Trafigura, ont déjà annoncé ne pas vouloir financer tout court, ou financer seul, les besoins de leur entité sur le territoire. Sous l’impulsion du groupe de travail nickel, il a malgré tout été demandé à ces majors présentes au capital d’examiner à nouveau les conditions d’un soutien financier. Les regards se fixent aussi ailleurs.

Les aiguilles de l’horloge tournent néanmoins : les trois complexes métallurgiques, KNS, SLN et Prony Resources NC, sont au bord de la cessation de paiement. Des formations syndicales telles que le Syndicat général des travailleurs de l’industrie (SGTINC) s’adressent aux actionnaires, aux institutions et à l’État. Des hypothèses sombres circulent même dans le Nord et le Sud. Depuis Paris, lundi, à l’issue de son rendez-vous au ministère de l’Economie, la présidente de la province Sud, Sonia Backès, a évoqué « l’accompagnement de l’État pour sauver Prony Resources NC et la SLN ».

L’impact économique du traitement du nickel est considérable sur le territoire. Un quart des salariés du privé dépend directement ou indirectement de son exploitation, a calculé l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee). Et la richesse globalement générée ici par le nickel, en 2019, s’est élevée à 20 % de la richesse marchande créée.

Auteurs d’un rapport déterminant publié en juillet 2023, l’Inspection générale des finances et le Conseil général de l’économie indiquent ainsi que la défaillance simultanée des trois usines conduirait à une augmentation du chômage sur le territoire d’environ 50 %. Une évaluation catastrophique pour la population calédonienne, les finances publiques et les comptes sociaux. Le gouvernement a annoncé, en fin de semaine dernière, la mise en place d’une cellule de suivi et d’accompagnement des entreprises et des salariés touchés par les difficultés dans la filière nickel.

Yann Mainguet