Le nouvel eldorado qui effraye les scientifiques

L’exploitation des ressources minérales sous-marines intéresse de plus en plus les sociétés minières du monde entier. Tous les experts s’inquiètent toutefois de conséquences potentiellement catastrophiques pour les écosystèmes marins. L’Onu travaille actuellement sur un Code minier pour encadrer les activités dans les eaux internationales.

À l’instar du poète qui estimait que la femme était l’avenir de l’homme, les mineurs cherchent désormais leur avenir dans la mer. Tous les regards sont braqués vers les océans, dans tous les domaines, qu’il s’agisse de santé avec la recherche de nouvelles molécules, de transport, mais aussi en matière d’extraction minière. Les campagnes exploratoires conduites ces dernières décennies ont permis de mettre au jour des réserves colossales de métaux ou autres éléments rares.

D’après un rapport de la Banque mondiale de mai 2017, ces ressources intéressent tout particulièrement les États insulaires du Pacifique dont les opportunités de développement sont relativement limitées. La présence de terres rares, particulièrement utilisées dans la production d’appareils électroniques, a imposé l’extraction sous-marine comme une nouvelle et véritable industrie. Les premières explorations, dans les années 70, ont progressivement défini les contours de cette industrie aujourd’hui appelée « deep sea mining », exploitation minière en haute mer.

Il existe différentes méthodes d’extraction. L’une des principales est d’immerger une sorte de gros aspirateur qui prélève les éléments sur le plancher océanique. Un autre procédé, plus complexe, fait intervenir des robots foreurs qui préparent le minerai avant qu’il soit remonté à la surface à l’aide d’un tuyau.

La région Pacifique très riche en ressources

Dans la région Pacifique, les chercheurs ont établi la présence relativement importante de cobalt, de manganèse, de fer ou encore de sulfure riche en cuivre, zinc, or, argent ou encore nickel. On retrouve ces éléments un peu partout, mais plus particulièrement à proximité et à l’intérieur des monts sous-marins. La plupart des pays du Pacifique ont d’ores et déjà accordé des licences d’exploration des fonds marins de manière à évaluer les ressources disponibles. C’est notamment le cas de Fidji, des îles Salomon, de Tonga et du Vanuatu.

En la matière, la Papouasie-Nouvelle Guinée est un peu plus avancée que les autres puisque le pays a déjà accordé un permis d’exploitation au niveau de l’amas sulfuré de Solwara-1. Des études sur place ont estimé les coûts de production qui permettent de mieux comprendre les appétits des industriels. Selon les premières estimations, produire une tonne de cuivre reviendrait à un peu plus de 626 dollars US. Le coût moyen (calculé sur 66 % des gisements mondiaux) est de l’ordre de 2 651 dollars. Les premiers travaux doivent être engagés cette année.

Et ce n’est pas le seul avantage. La protection de l’environnement étant devenue un enjeu de premier plan, les nouveaux projets doivent nécessairement intégrer la dimension écologique. Comme le fait valoir la Banque mondiale, ces ressources contrastent avec l’appauvrissement des gisements terrestres exploités depuis de nombreuses années. Si les techniques ne sont pas encore maîtrisées, les coûts d’approche sont sans aucune comparaison. Les mines classiques nécessitent bien souvent de grosses infrastructures pour être exploitées. La composition des nodules polymétalliques est par ailleurs intéressante puisque contenant des métaux rares. Autre argument, le fait de remonter directement le minerai à bord d’un bateau permet de l’acheminer rapidement vers les acheteurs. Et c’est sans même parler de l’acceptabilité des projets miniers par les populations. L’exemple de l’usine de Vale, sur le site de Goro, est assez exemplaire en la matière.

Des enjeux stratégiques et environnementaux

Sur le plan économique et stratégique, ces ressources sont précieuses puisqu’elles sont utilisées massivement dans l’industrie de haute technologie et notamment pour les écrans et les batteries. La Chine, qui détient près de 37 % des ressources mondiales de terres rares, assure près de 90 % de l’approvisionnement du marché mondial. L’explosion attendue des véhicules électriques devrait accroître la demande pour ces métaux en voie de disparition sur terre. La plus grande attention portée aux ressources sous-marines a permis de découvrir des gisements hors norme.

C’est notamment le cas au Japon, au large des côtes des îles de Minamitori-shima. Les dernières estimations tablent sur un gisement de l’ordre de 16 millions de tonnes de ces terres. Autant dire que la ressource semble intarissable. D’après les échantillons, les auteurs de l’étude pensent que le Japon pourrait être en mesure d’alimenter le marché mondial pendant plus de 700 ans pour certains éléments.

Mais la Papouasie et le Japon ne sont pas les seuls à s’intéresser à ces ressources. Des industriels projettent d’exploiter les minéraux au large de Taranaki, sur la côte ouest de l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande. Cette zone est pourtant classée afin de préserver des dauphins en danger critique d’extinction. Les recherches à peine ébruitées ont suscité une levée de boucliers des associations de protection de l’environnement et des communautés maories, mais pas seulement. Les représentants de l’industrie de la pêche sont également montés au créneau.

Ces oppositions sont probablement l’une des principales raisons pour lesquelles les industriels envisagent plus sérieusement l’exploitation de ces ressources dans les eaux internationales où il n’existe pour le moment aucune réglementation et où l’opposition est moins grande. D’âpres discussions sont actuellement en cours au sein de l’Autorité internationale des fonds marins (ISA). Cette autorité a été mise en place par la convention des Nations unies sur le droit de la mer en 1973. Si des règlements existent déjà pour quelques types de ressources, c’est le cas pour les nodules polymétalliques, il reste encore à couvrir l’exploitation des encroûtements cobaltifères et des sulfures polymétalliques. Selon le site de l’Autorité internationale des fonds marins, le travail est en cours, pressé par les porteurs de projets qui se multiplient. En mai 2018, près d’une trentaine de contrats étaient déjà été établis. Ils permettent l’exploration 1,3 million de kilomètres carrés de fonds marins.

L’ONG Union internationale pour la conservation de la nature tire toutefois la sonnette d’alarme quant aux impacts environnementaux potentiels. Elle a récemment lancé un appel à l’Autorité internationale des fonds marins pour qu’elle réalise un travail plus approfondi sur la question en intégrant davantage la dimension environnementale. L’enjeu est de taille puisqu’une fois le code achevé, les permis d’exploitation pourront commencer à être délivré. La 24e session de l’ISA qui s’est tenue à Kingston, en Jamaïque, à la mi-juillet, a permis de mesurer les tensions existantes entre les pays pour et contre l’exploitation de ces ressources.

Toujours est-il qu’ils sont nombreux à demander l’extension de leur plateau continental, permettant une augmentation de surface des ZEE, zones économiques exclusives. C’est ce qu’a fait la France en 2015. Selon les déclarations de Walter Roest dans le Journal du dimanche, ancien responsable auprès de l’Ifremer du programme national d’extension raisonnée du plateau continental, « il y a sûrement un enjeu de souveraineté, mais l’enjeu principal, c’est l’exploitation du sol et du sous-sol marin ».

C’est ce type de robots qui sont susceptibles d’être envoyés dans les fonds marins.


La Nouvelle-Calédonie contre l’exploitation et contre l’interdiction

Pour une majorité de chercheurs, lancer ce type d’exploitation serait prématuré notamment en raison du manque de connaissances des écosystèmes fragiles qui peuplent le fond des océans, uniques pour certains. Une étude du CNRS de près de 900 pages a été commandée par le gouvernement en 2014. Pour les chercheurs, l’extraction des nodules polymétalliques, par exemple, conduirait invariablement à la destruction irrémédiable des habitats et de la faune. Le constat est le même pour les autres techniques d’extraction. Mais la destruction des habitats et des espèces n’est pas le seul danger. Le rejet des déchets miniers (sédiments et débris) en mer présente d’autres risques pour d’autres espèces, en particulier s’il est effectué à la surface. Il faut également prendre en compte des nuisances telles que les émissions acoustiques ou encore électromagnétiques qui peuvent perturber les mammifères marins. Ces dégâts irréversibles semblent pourtant être peu pris en compte pour le moment.

Les intérêts financiers énormes pourraient bien avoir raison des défenseurs de l’environnement. D’autant que les réglementations des eaux territoriales des différents pays offrent une protection toute relative. En Nouvelle-Calédonie notamment, Philippe Germain, le président du gouvernement à l’initiative du parc de la mer de Corail, a indiqué, à l’occasion de la présentation d’arrêtés de protection de récifs pristines, qu’il ne souhaitait pas que l’extraction minière soit pratiquée dans les eaux calédoniennes. Il a néanmoins précisé qu’il ne souhaitait pas non plus que cette interdiction soit inscrite dans le plan de gestion du parc. Une contradiction qui suggère qu’une exploitation pourrait être envisagée dans l’avenir.

Les intérêts et les sommes en jeu, bien plus importantes que celles de l’industrie de la pêche, pourraient bien compliquer l’objectif du gouvernement d’exporter le modèle du parc de la mer de Corail, d’autant que la Nouvelle-Calédonie a peu de leçons à donner en matière d’extraction minière. En Polynésie, l’Institut de recherche et de développement a publié, en 2017, une étude sur les enjeux d’une politique de valorisation des ressources minérales sous-marines. Les chercheurs soulignent la nécessité de définir une politique publique explicite basée sur une bonne connaissance scientifique et économique, de manière à pouvoir opérer des arbitrages entre développement économique et préservation de l’environnement.

M.D.

©Nautilus Minerals